121 au boulot ostéopathe © Camille Besse
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Aurore Sacarrère, osthéo­pathe : « La pra­tique me prend autant d’énergie qu’elle m’en donne »

Avec ses mains, elle gué­rit le corps. Aurore, 35 ans, est ostéo­pathe, un métier qui réunit son inté­rêt pour la science, les arts et les autres.

« J’ai décou­vert l’ostéopathie au Salon de l’étudiant. Quand j’ai vu que ça consis­tait à soi­gner avec les mains, j’ai com­pris que je vou­lais faire ça. J’ai tou­jours été manuelle, j’adore des­si­ner, bri­co­ler, mais j’aime aus­si les sciences et m’occuper des gens. Après deux ten­ta­tives en méde­cine, j’ai inté­gré une école pour cinq années payantes et intenses qui per­met d’obtenir le sta­tut de DO : “diplô­mé d’ostéopathie”. Dès le début, on pra­tique beau­coup, tout en appre­nant les bases ana­to­miques et médi­cales. En paral­lèle, l’ostéopathe doit aus­si gérer son secré­ta­riat, sa comp­ta­bi­li­té et sa communication. 

J’ai fini l’école en 2012 et j’ai tout de suite ouvert mon cabi­net dans une salle d’escalade en région pari­sienne. Je tra­vaille éga­le­ment dans un centre plu­ri­dis­ci­pli­naire de méde­cine douce qui vise à redon­ner une san­té glo­bale au patient. Dans l’histoire de la méde­cine, l’ostéopathie a mis du temps à être recon­nue. Elle a été inven­tée par Andrew Taylor Still (1828−1917), un fils de méde­cin trau­ma­ti­sé par la perte de sa femme et de ses enfants, que la méde­cine allo­pa­thique n’avait pas pu sau­ver. Il com­mence alors à soi­gner avec les mains, sans aucune recon­nais­sance pour cette méde­cine holis­tique, sans médi­ca­men­ta­tion. Progressivement, l’ostéopathie se trans­met de per­sonne à per­sonne et se déploie dans les pays anglo-​saxons. Aujourd’hui, c’est un métier qui a trou­vé sa place grâce aux patients : les méde­cins n’ont pas eu d’autre choix que de recon­naître notre travail.

La pre­mière séance com­porte tou­jours beau­coup de ques­tions sur ‑l’historique de san­té du patient. Puis l’ostéopathe écoute avec ses mains. Quand je pra­tique, je me concentre sur ce que je sens : les muscles, les ten­dons, les os, mais aus­si la cha­leur, la cir­cu­la­tion du sang, la peau et éga­le­ment l’état émo­tion­nel du patient. Je traite le corps dans sa glo­ba­li­té et pas seule­ment la dou­leur pour laquelle on vient me consul­ter. Des choses s’installent dans le corps, que je peux per­ce­voir avant que les patients les res­sentent. Je tente d’apporter davan­tage d’équilibre aux gens, je ne vois pas ce que je pour­rais faire de mieux dans la vie. 

Pour aller plus loin, je me suis for­mée à la psy­cho­so­ma­tique, c’est-à-dire une écoute ver­bale qui s’ajoute à la pra­tique manuelle, cela me per­met de faire le lien entre la psy­cho­lo­gie et le fonc­tion­ne­ment du corps. Contrairement à un ostéo­pathe méca­nique, qui mani­pule sans par­ler, je cherche aus­si à com­prendre ce que res­sent le patient pour prendre en compte le lien entre l’influx anxio­gène (stress, émo­tions fortes, évé­ne­ments trau­ma­tiques…) et sa mani­fes­ta­tion soma­tique, per­cep­tible en par­ti­cu­lier au niveau des muscles. Un corps, ça ne triche pas. Par exemple, quand on ne par­vient pas à pleu­rer ou à exté­rio­ri­ser sa colère, ces émo­tions conte­nues peuvent déclen­cher de l’urticaire ou des tor­ti­co­lis. Certaines per­sonnes sont très connec­tées à leur corps, elles com­prennent tout de suite le lien entre émo­tions et res­sen­ti phy­sique. D’autres sont dés­in­car­nées, très céré­brales, ana­lysent mais ne sentent pas. Pendant les séances, l’ostéopathe psy­cho­so­ma­tique les amène à sen­tir plu­tôt qu’à réfléchir. 

Mon tra­vail consiste à réveiller le corps. Les tren­te­naires s’intéressent à leur corps, mais j’ai des patients de 50 à 60 ans qui découvrent tar­di­ve­ment le droit d’avoir mal, de pleu­rer, d’éprouver. Je me sou­viens d’un homme d’environ 60 ans qui venait pour des dou­leurs de dos. Un mon­sieur sym­pa­thique, mais peu bavard. Donc, je com­mence à tra­vailler avec l’approche méca­nique. Je le sens figé sans savoir à quoi c’est lié. Sur la fin de la séance, je lui fais part de mon res­sen­ti et, sou­dain, il se confie. Sa femme est alcoo­lique, et tous les jours, il se demande s’il doit quit­ter la mai­son pour pro­té­ger sa fille de sa femme. Il se sent pié­gé. Là, il se relâche dou­ce­ment et je peux finir la séance avec un réel accès à son corps. 

Il arrive sou­vent qu’un non-​dit, une situa­tion ten­due, une his­toire trau­ma­tique se mani­festent par une réac­tion cor­po­relle plus ou moins per­sis­tante. Tout ne se dit pas, mais tout s’exprime. Depuis un an, beau­coup de per­sonnes ont des pro­blèmes de dia­phragme, elles sentent une pres­sion au niveau du plexus solaire, elles res­pirent mal et cela reflète leur dif­fi­cul­té à se pro­je­ter dans la période actuelle. 

Moi, la pra­tique me prend autant d’énergie qu’elle m’en donne. Je me sens chan­ceuse de savoir que je peux gué­rir quelqu’un et, au-​delà, l’aider à mieux se com­prendre. J’éprouve aus­si une grande satis­fac­tion de tra­vailler avec mes mains : je peux les empor­ter par­tout, je n’ai besoin de rien d’autre. Même ma table de pra­tique, je peux m’en pas­ser et mani­pu­ler par terre. Je mobi­lise aus­si le reste de mon corps avec des équi­libres et des dépla­ce­ments qui font pen­ser à un art mar­tial. C’est pri­mor­dial de trou­ver la posi­tion de tra­vail la plus par­faite pour m’effacer et être en capa­ci­té d’écouter l’autre. Ainsi, l’effort se dif­fuse dans tout le corps, alors que si je n’utilise que mes mains, je finis vite avec une tendinite. 

Quand je ne vais pas bien, tra­vailler n’est pas un sou­ci : pen­dant la consul­ta­tion, je ne pense pas à moi. Mon sta­tut de thé­ra­peute me rend forte, m’oblige à me dépas­ser, à aller bien quoi qu’il arrive pour soi­gner le patient en face de moi. » 

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