Le Conseil d’Etat a suspendu l’entrée en vigueur de la réforme du mode de calcul des allocations chômage prévue pour le 1er juillet. Une satisfaction pour les syndicats qui dénoncent la dangerosité du texte depuis des mois.
Le coup de frein est arrivé neuf jours avant la date fatidique du 1er juillet. En décidant, mardi 22 juin, de suspendre la mise en place de la réforme de l’assurance chômage, prévue pour le premier jour de juillet, le Conseil d’Etat a évité de faire rimer période estivale et casse sociale pour plus d’un million de demandeur⋅euses d’emploi. Les juges, saisis en référé par sept syndicats et des associations de guides conférenciers, ont estimé que la situation économique était « trop incertaine pour une application immédiate des nouvelles règles de calcul de l’allocation ». En clair, ce n’est pas le moment. « C’est un sacré camouflet pour le gouvernement, se félicite Denis Gravouil, en charge des négociations pour la CGT. Et c’est surtout un immense soulagement pour le 1,15 million de saisonniers, intérimaires ou habitués des contrats de courte durée, qui auraient vu leurs droits baisser drastiquement dès le mois d’août puisque le paiement de l’allocation se fait le mois suivant. »
En moyenne l’allocation devait baisser de 17% en moyenne. dans certains cas, elle aurait même dévissé de 40% ! En effet, le montant de l’allocation de retour à l’emploi (ARE) versée par Pôle emploi est fixé à partir du salaire journalier de référence (SJR). Pour le moment, ce SJR se calcule en ne prenant en compte que les jours travaillés sur les douze derniers mois. Dès le mois de juillet, c’est l’ensemble de la période de référence qui aurait été retenue, y compris les jours non travaillés, avec pour effet immédiat de réduire les sommes versées aux demandeur⋅euses d’emploi. « Ce sont tous ceux et toutes celles qui ne travaillent pas à temps plein et qui ne sont pas dans une logique d’emploi stable qui risquaient de payer les pots cassés de cette réforme, complète le sociologue et maître de conférences en droit social et emploi à l’université de Nanterre, Mathieu Grégoire.
« Cette réforme sera tout aussi violente dans six mois ou un an »
Des conséquences dramatiques pour des personnes déjà précaires et fragilisées par la crise sanitaire. Si le contexte post-Covid rendait la mesure inacceptable, la suspension ne règle pas tout. « Nous souhaitons évidemment que le projet soit enterré, commente Denis Gravouil. Nous attendons l’avis du Conseil d’Etat qui devrait se prononcer sur le fond du texte avant la fin 2021. » D’ici là, un décret doit prolonger les règles actuelles. Le gouvernement, lui, refuse d’interpréter cette décision comme un coup d’arrêt à ses velléités réformatrices. Ce n'est pourtant pas la première fois que le Conseil d'Etat lui tape sur les doigts. En novembre dernier, la juridiction avait déjà souligné des risques de « rupture d’égalité » entre les différents allocataires. En mai, le ministère avait aussi publié un décret censé corriger les futurs effets pervers du nouveau SJR pour les personnes ayant connu des périodes de creux et une baisse de rémunération dans leur carrière comme le chômage partiel ou – coucou mesdames – un congé maternité ou parental. Clairement, la réforme est mal barrée depuis le début ! Mais pour la ministre du Travail, Elisabeth Borne, qui s'est exprimée le 22 juin sur RTL, il n’est « pas question de repartir d’une page blanche ». Elle compte d’ailleurs « chercher le meilleur chemin pour une mise en œuvre rapide (…) dans les prochains mois ».
Cet entêtement ne rassure pas vraiment les opposant·es. « Cette réforme sera tout aussi violente dans six mois ou un an », rétorque Mathieu Grégoire, hostile à la philosophie du texte, censé traquer l’alternance entre petits contrats et indemnisation, également appelée permittence. Outre la modification du calcul de l’allocation chômage, la réforme prévoit aussi un système de bonus-malus pour les entreprises qui abusent des contrats de très courte durée, souvent légion dans des secteurs comme la restauration ou l'événementiel. Ces sanctions financières n’ont toujours pas vu le jour et sont prévues pour septembre 2022, c'est-à-dire dans très longtemps. En attendant, c'est du côté des chômeuses et des chômeurs que l'effort se porte. « Il est évident que la seule modification du calcul du SJR n’aurait eu aucune incidence sur le marché du travail », résume Denis Gravouil. Baisser les droits des chômeurs n’a jamais permis de créer des boulots stables. »