Vincent
© Astrid di Crollalanza

Aidants fami­liaux : com­ment Vincent Valinducq est deve­nu le parent de ses parents

Médecin au par­cours aty­pique, Vincent Valinducq a accom­pa­gné sa mère, atteinte d’un Alzheimer pré­coce, pen­dant qua­torze ans. Un com­bat qu’il raconte dans “Je suis deve­nu le parent de mes parents”, un livre bou­le­ver­sant sur le vécu des aidants familiaux.

Certain·es le connaissent pour ses chro­niques san­té dans Télématin (France 2) où il offi­cie depuis 2020. D’autres l’avaient décou­vert en 2019 dans l’émission Zones bleues, les secrets de la lon­gé­vi­té (France 5), où il met­tait à pro­fit, là aus­si, ses com­pé­tences de méde­cin géné­ra­liste. Pourtant, rien ne pré­des­ti­nait Vincent Valinducq à embras­ser la méde­cine. Issu d’un milieu ouvrier, ce gamin des années 80 a gran­di à Harfleur, près du Havre, entre sa mère Nadine, femme au foyer, et son père Denis, docker. Et s’il cares­sait le rêve, depuis l’enfance, de deve­nir un jour tou­bib, il n’était pas fran­che­ment copain avec l’école. 

Vincent Valinducq © Astrid di Crollalanza 17 1
© Astrid di Crollalanza

“Si mon car­net de notes ne res­pi­rait pas la vic­toire assu­rée en études de méde­cine, c’est sur­tout le déter­mi­nisme social qui ren­dait mes parents dubi­ta­tifs. Pour mon père, “il faut être fils de méde­cin pour être méde­cin”. Étant lui-​même docker, il lui était impos­sible d’envisager que je puisse faire de telles études. Mon che­min était tout tra­cé : je m’inscrirais en BEP ou en CAP, peu impor­tait le domaine, puis, à 18 ans, je devien­drais docker sur le port du Havre”, raconte Vincent Valinducq dans un livre poi­gnant, Je suis deve­nu le parent de mes parents, paru en sep­tembre der­nier (édi­tions Stock). 

C’est en par­tie ce qui s’est pas­sé : à 18 ans, son bac pro en poche, il com­mence à tra­vailler comme docker, mar­chant dans les pas de son grand-​père, de son père et de son frère aîné. Mais en paral­lèle, il se lance dans des études de bio­lo­gie : sur les docks la nuit, à la fac le jour. Cinq ans plus tard, finie la double vie : il com­mence à tra­vailler dans la recherche phar­ma­ceu­tique. Sans renon­cer à son rêve de gosse. 

À 24 ans, et après une intense réflexion, j’ai tout pla­qué pour retour­ner sur les bancs de la fac, en méde­cine cette fois”, se sou­vient Vincent Valinducq, qui décro­che­ra son doc­to­rat neuf ans plus tard. Entre-​temps, pour pou­voir suivre ses études à Rouen, le jeune homme est retour­né vivre dans le modeste pavillon fami­lial. Il ne le sait pas encore, mais c’est à nou­veau une double vie – infer­nale, celle-​ci – qui va com­men­cer pour lui. 

“De garde 24 heures sur 24

À ce moment-​là, en 2009, il remarque que sa mère a des petits oublis : un appel télé­pho­nique, le menu du déjeu­ner, les paroles d’une chan­son qu’elle a l’habitude de chan­ter… À pre­mière vue, rien d’inquiétant : jeune cin­quan­te­naire, Nadine est pro­ba­ble­ment en proie à un sur­me­nage, un épi­sode dépres­sif, ou peut-​être essuie-​t-​elle sim­ple­ment les effets de la méno­pause, (se) ras­sure l’étudiant en méde­cine. Mais la mémoire de sa mère faillit de jour en jour et, de plus en plus, elle a du mal à effec­tuer des gestes banals du quo­ti­dien. Alors, la famille se résout à consul­ter le méde­cin de famille, puis un neu­ro­logue. “Presque quatre ans se sont écou­lés entre l’apparition du pre­mier symp­tôme et l’orientation vers un diag­nos­tic”, rap­porte Vincent Valinducq. En 2016, le cou­pe­ret tombe défi­ni­ti­ve­ment : sa mère tant aimée est atteinte d’une mala­die d’Alzheimer dite “appa­ren­tée”, soit une forme qui réunit dif­fé­rents symp­tômes emprun­tés aux mala­dies d’Alzheimer et de Parkinson.

Pour la famille, c’est une longue et dou­lou­reuse plon­gée en apnée qui s’amorce. Avec son père et son frère, Vincent a pro­mis à leur mère qu’ils ne la lais­se­raient pas tom­ber et, sur­tout, qu’elle n’irait jamais en ins­ti­tu­tion. “Cette pro­messe, que beau­coup d’aidants ne peuvent s’empêcher de faire, est à l’origine d’une grande culpa­bi­li­té et d’une impor­tante souf­france psy­cho­lo­gique”, confie Vincent Valinducq. Car, jour après jour, la mala­die neu­ro­dé­gé­né­ra­tive gagne du ter­rain. Pour faire face aux symp­tômes et à la perte d’autonomie gran­dis­sante de Nadine, la famille s’organise de façon qua­si mili­taire : Denis, son mari, est à ses côtés nuit et jour et l’assiste pour tous les gestes du quo­ti­dien. Et Vincent, qui a pris un poste de méde­cin rem­pla­çant à Paris, revient chez eux chaque week-​end pour prendre le relais de son père et de son frère. 

La semaine, à Paris, quand il n’est pas contraint d’annuler ses rendez-​vous pour retour­ner en urgence au che­vet de sa mère, il gère l’aspect médi­cal (rendez-​vous, renou­vel­le­ment des médi­ca­ments, ges­tion d’une fièvre ou d’une chute…) ain­si que les – nom­breux – dos­siers admi­nis­tra­tifs. “J’avais l’impression d’être de garde 24 heures sur 24. Je ne quit­tais jamais mon télé­phone, de jour comme de nuit”, se souvient-​il. Plus de place pour les sor­ties, les pro­jets, la légè­re­té : la mala­die englou­tit la vie de Nadine, mais aus­si celle de ses proches. 

Un·e aidant·e sur trois meurt avant son proche aidé

“Un jour, j’ai pris un rendez-​vous chez un spé­cia­liste pour un avis médi­cal et sept ans plus tard, je me retrouve à don­ner à man­ger à ma mère tous les week-​ends, vacances et jours fériés”, retrace Vincent Valinducq. Outre l’inquiétude et le déchi­re­ment de voir peu à peu dis­pa­raître l’être aimé sous les effets de mala­die, Vincent et sa famille doivent se résoudre à se faire aider. Après le maté­riel médi­cal adap­té, ce sont donc les auxi­liaires de san­té et les infir­mières qui se mettent à faire par­tie de la vie de la famille. 

De son côté, Vincent a lui-​même fini par enta­mer un sui­vi psy­cho­lo­gique pour l’aider à faire face au “deuil blanc” qu’il est en train de vivre. C’est dans le cabi­net de sa psy qu’il a décou­vert ce terme. “Ces trois mots mis bout à bout ont réson­né comme si j’allais enfin com­prendre toutes ces émo­tions contra­dic­toires qui me tra­ver­saient. Le deuil blanc, c’est celui d’un proche tou­ché, entre autres, par un trouble cog­ni­tif, qui est encore phy­si­que­ment pré­sent à nos côtés mais qui n’est plus la même per­sonne que nous avons connue. […] Celui-​ci s’étend sur plu­sieurs mois, voire plu­sieurs années, et c’est une véri­table tor­ture psy­cho­lo­gique à l’origine de nom­breuses émo­tions para­doxales mêlant culpa­bi­li­té, amour, colère et tris­tesse ”, détaille-​t-​il.

Il ne cesse de le répé­ter : “Être aidant est men­ta­le­ment très éprou­vant, alors, tel un spor­tif de haut niveau, il faut prendre soin de soi pour être en mesure d’accompagner cor­rec­te­ment l’aidé”. Car, rappelle-​t-​il, le risque de dis­pa­raître avant son proche malade existe : “Il concerne un aidant sur trois.” Et quand ce n’est pas leur peau, c’est bien sou­vent leur san­té qu’ils et elles y laissent. À l’instar de Denis, le père de Vincent, qui, à force de s’oublier et de por­ter sur ses épaules un quo­ti­dien éprou­vant, s’est retrou­vé en réani­ma­tion pen­dant trois semaines. “Quelques minutes ont suf­fi pour tout bas­cu­ler. Nous avions un papa en réani­ma­tion et une maman atteinte d’une mala­die appa­ren­tée à Alzheimer à la mai­son, ain­si que nos vies res­pec­tives à gérer”, se sou­vient Vincent Valinducq, qui dépeint cette période comme “un enfer”.

11 mil­lions d'aidant·es, 11 mil­lions d'euros d'économie

Ce cha­pitre de sa vie, qui aura duré qua­torze ans, s’est ache­vé avec le décès de sa mère, une nuit d’avril 2022, alors qu’elle était chez elle, entou­rée de ses fils et de son mari. Un mois et demi plus tard, son mari la rejoi­gnait. Mais Vincent Valinducq n’en a pas fini avec la ques­tion de l’aidance : “Je sou­haite être pré­sent pour les aidants qui manquent de visi­bi­li­té aux yeux de la socié­té mal­gré un besoin urgent de sou­tien”, écrit-​il dans Je suis deve­nu le parent de mes parents. Comme lui, 11 mil­lions de Français·es sont aujourd’hui aidant·es (dont 39 % s’occupent de deux per­sonnes ou plus) et 500 000 d’entre elles·eux ont moins de 18 ans. “Maillon essen­tiel de notre sys­tème de san­té”, rap­pelle Vincent Valinducq, ils et elles apportent une contri­bu­tion que l’Université Paris Dauphine éva­lue à 11 mil­lions d’euros d’économie pour la collectivité. 

Pourtant, ils et elles sont contraint·es de se battre avec les admi­nis­tra­tions pour accé­der aux aides dont ils et elles ont besoin, doivent se conten­ter d’un mince congé proche aidant (jusqu’à une année maxi­mum dans une car­rière), sont pour beau­coup contraint·es d’arrêter de tra­vailler… “En 2023 (demain!) un actif sur quatre sera aidant. Il est urgent de le recon­naître, de lui don­ner des droits et de prendre soin de sa san­té pour ne pas qu’un sys­tème entier se désa­morce”, défend Vincent Valinducq. Qui ne cache pas son inquié­tude : “Avec le vieillis­se­ment de la popu­la­tion et le manque de recon­nais­sance [des pro­fes­sions de san­té], l’avenir me fait peur. Qui vien­dra me soi­gner ou me laver si, demain, je tombe malade et sou­haite res­ter à mon domi­cile?” 

Valinducq

Je suis deve­nu le parent de mes parents, Vincent Valinducq,
édi­tions Stock, 240 pages, 19,50 euros.

Lire aus­si I JOURNÉE NATIONALE DES AIDANT·ES : « QUAND ILS VIENNENT NOUS VOIR, ILS SONT À BOUT DE SOUFFLE »

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