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Virginie Ettel en 2010. Elle ne souhaite pas être identifiable aujourd'hui © DR

Affaire Georges Tron : Virginie Ettel, la vic­toire du pot de terre

Dix ans avant #MeTooPolitique, Virginie Ettel avait dépo­sé plainte pour viol contre Georges Tron alors dépu­té maire de Draveil et membre du gou­ver­ne­ment. Sa téna­ci­té et sa déter­mi­na­tion à obte­nir jus­tice ont abou­ti à la condam­na­tion défi­ni­tive de l’ex-élu en décembre 2021.

Mercredi 8 décembre 2021, Virginie Ettel est coin­cée chez elle, ter­ras­sée par une migraine quand elle reçoit un SMS libé­ra­teur à 14h30. Son avo­cat lui apprend que « la Cour de cas­sa­tion a reje­té le pour­voi de Georges Tron et a confir­mé sa condam­na­tion pour viol et agres­sions sexuelles à 5 ans de pri­son ». Une condam­na­tion défi­ni­tive, arra­chée après 10 ans de com­bat judi­ciaire, qui passe inaper­çue le jour où un autre ministre, Alain Griset, est condam­né pour décla­ra­tion incom­plète de patrimoine. 

A l’heure du #metoo­po­li­tique, le par­cours de Virginie Ettel est l'illustration de la déter­mi­na­tion et du cou­rage qu'il faut quand on s'attaque aux puis­sants. « Elle a mis un coup de pied dans la four­mi­lière, affirme Me Vincent Ollivier, pour pro­té­ger les autres sachant qu’elle n’avait que des coups à prendre ». Sa mère Danièle l’avait mise en garde : « C’est le pot de terre contre le pot de fer. » 

« Soit on se détruit seule à petit feu dans le silence, estime Virginie Ettel, soit on se défend sur un champ de bataille. » Rien ne pré­des­ti­nait Virginie Ettel à deve­nir une « gla­dia­tor ». Née le 7 mars 1977, elle gran­dit en Essonne avec un frère jumeau. Leur père les quitte dans l’enfance sans don­ner de nou­velles ni de pen­sion. Leur mère pho­to­graphe doit tra­vailler 6 jours sur 7. Virginie Ettel passe un CAP vente pour gagner sa vie. Elle devient mère au foyer à la nais­sance de son pre­mier fils à 20 ans. Son mari a un bon salaire mais elle veut son indépendance. 

Sidération

A la recherche d’un emploi, Virginie Ettel ren­contre Georges Tron à sa per­ma­nence par­le­men­taire en mai 2008. Tous deux par­tagent un inté­rêt pour les méde­cines alter­na­tives. Le dépu­té maire lui pra­tique des points de réflexo­lo­gie sur le pied. Il recom­mence lors d’un déjeu­ner de recru­te­ment. Virginie Ettel est décon­te­nan­cée, l’assistante de l’élu la ras­sure, il fait ça avec tout le monde. Elle est embau­chée à l’accueil de la mai­rie de Draveil en sep­tembre 2008. 

Tout bas­cule un an plus tard, le 19 novembre 2009, Georges Tron convie Virginie Ettel à un repas poli­tique où elle n’a pas sa place. Au cours de ce déjeu­ner, il lui sai­sit le pied sous la table. Au départ des convives, il lui demande de fer­mer les yeux et son adjointe Brigitte Gruel com­mence à la cares­ser. Virginie Ettel a tou­jours racon­té cette scène avec constance. « J’étais inca­pable de réagir, para­ly­sée, inerte. » Sa voix se brise quand elle décrit la péné­tra­tion digi­tale que lui impose le maire de Draveil. Le soir-​même, Virginie Ettel se frotte le corps à la brosse à ongle et fait une pre­mière ten­ta­tive de sui­cide. « Je ne dor­mais plus, je ten­tais de camou­fler ma dou­leur avec de l’alcool et des anxio­ly­tiques », explique-​t-​elle. Sa mère ne la recon­naît pas : « Son fils cadet aus­si avait res­sen­ti le malaise, il avait pris 10 kilos en un an. » 

« Ma vie entière tourne autour de ces agressions » 

Virginie Ettel

Après une deuxième agres­sion sexuelle en 2010, Virginie Ettel s’invente un can­cer de l’utérus pour tenir Georges Tron répu­té hypo­con­driaque à dis­tance. A bout de force, elle contacte l’AVFT, l’Association euro­péenne contre les vio­lences faites aux femmes au tra­vail, pour deman­der de l’aide. Elle subit des pres­sions et des menaces de l’entourage du maire qui consti­tue un dos­sier contre elle. Elle dépose plainte pour viol le 24 mai 2011. Le scan­dale éclate et Georges Tron démis­sionne du gou­ver­ne­ment mais reste dépu­té maire. Virginie Ettel et une deuxième plai­gnante sont traî­nées dans la boue. 

Quand son mari se voit pro­po­ser un poste à Toulouse, Virginie Ettel croit à un nou­veau départ : « Il fal­lait sor­tir de cette proxi­mi­té mor­ti­fère avec Draveil. » Mais ça ne suf­fit pas. « Je suis tou­jours sur le qui-​vive, explique-​t-​elle. J’essaye de me rai­son­ner – “c’est bon, t’as pas été mena­cée d’une arme” – mais ma vie entière tourne autour de ces agres­sions. » Un jour, dans les allées d’un super­mar­ché, elle sent le par­fum de Georges Tron et elle s’urine des­sus. Virginie Ettel divorce en 2013 et part vivre chez sa mère à Cagnes-​sur-​Mer. La même année, le tri­bu­nal d’Evry rend un non-lieu. 

Au pro­cès, une délé­ga­tion de sou­tiens du maire de Draveil

La chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris demande en 2014 le ren­voi aux assises de Georges Tron. Le pro­cès a lieu 3 ans plus tard à Bobigny en Seine-​Saint-​Denis. Face à elle, l’ex secré­taire d'État s’est offert les ser­vices d’Éric-Dupond Moretti. « J’aurais dû me cas­ser une jambe, affirme Virginie Ettel. Un pro­cès c’est violent, tel­le­ment loin de ce que tu peux fan­tas­mer de la jus­tice. C’est un ring ». Cette pre­mière audience mal cali­brée, mal pré­si­dée est écour­tée après 3 jours de débats. Le deuxième pro­cès à Bobigny fin 2018 est une nou­velle épreuve. Virginie Ettel, le visage bouf­fi, « avale les com­pri­més comme des M&M’s ». « Elle est seule contre tous », se rap­pelle Elodie Tuaillon-​Hibon l’avocate de l’AVFT qui voit défi­ler avec écœu­re­ment à la barre « l’aéropage dra­veillois ». Quand Georges Tron est acquit­té, Virginie Ettel fait une crise de téta­nie sous les rires d’un sou­tien du maire de Draveil. 

« Virginie nous a don­né une leçon de téna­ci­té et de cou­rage » 

Me Tuaillon-​Hibon

Virginie Ettel ne vou­lait pas assis­ter au pro­cès en appel à Paris en jan­vier 2021. Trop loin, trop cher, trop dur. Finalement, elle n’a pas man­qué un jour d’audience. « C’est une femme hors du com­mun, n’hésite pas à dire Me Tuaillon-​Hibon, elle tient debout et elle s’effondre en même temps. Elle nous a don­né une leçon de téna­ci­té et de cou­rage ». La cour d’appel de Paris a recon­nu Georges Tron cou­pable de viol par sur­prise et par contrainte morale le 17 février 2021. Après avoir été plai­gnante, par­tie civile, Virginie Ettel est enfin recon­nue comme vic­time. Condamné à 5 ans de pri­son dont 3 ans ferme, Georges Tron est incar­cé­ré à la pri­son de la san­té. Il a dépo­sé un ultime recours devant la cour euro­péenne des droits de l’homme. 

Virginie Ettel a gagné, mais à quel prix ? Elle vit seule aujourd’hui du RSA, dans un stu­dio qui appar­tient à sa mère. Elle attend encore l’audience pour inté­rêts civils qui doit éva­luer son pré­ju­dice. « Ça lui a bouf­fé la vie et la san­té », déplore sa mère Danièle. Virginie Ettel a du mal à trou­ver du tra­vail, elle a chan­gé d’apparence phy­sique et elle envi­sage aujourd’hui de reprendre le nom de jeune fille de sa mère. Le mou­ve­ment #MeTooPolitique ? Virginie Ettel l’admet, elle n’en a pas enten­du par­ler, elle ajoute en sou­riant : « J’ai beau me colo­rer les che­veux je reste défi­ni­ti­ve­ment blonde. » Mais elle tient à adres­ser un mes­sage aux autres vic­times : « On ne choi­sit jamais son agres­seur. La jus­tice fran­çaise, ce n’est pas le monde des bisou­nours mais aujourd’hui la porte est ouverte. Et plus il y aura de cou­ra­geuses, plus les tri­bu­naux seront à l’écoute. »

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