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Emily Spanton. ©Capture d'écran "Le procès du 36", documentaire d'Ovidie, France 2.

Acquittement des poli­ciers dans l’affaire de viol au « 36 » : avocat·es et mili­tantes fémi­nistes demandent un pour­voi en cassation

Face à l’acquittement des deux poli­ciers accu­sés de viol, des avocat·es, des mili­tantes fémi­nistes et des élues de gauche demandent un pour­voi en cas­sa­tion et dénoncent un pro­cès qui « a été celui de la vic­time ».

« Comment voulez-​vous que les femmes conti­nuent à faire confiance à cette jus­tice ? » Anne-​Cécile Mailfert, pré­si­dente de la Fondation des femmes s’indigne sur Twitter, ven­dre­di der­nier, jour où Antoine Q. et Nicolas R., ont été acquit­tés en appel par la cour d’assises du Val-​de-​Marne. Les deux poli­ciers de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI) étaient accu­sés du viol, un soir d'avril 2014, d’Emily Spanton, une tou­riste cana­dienne, dans leurs locaux du 36 quai des Orfèvres. Emily Spanton, aujourd’hui âgée de 42 ans, avait ren­con­tré Antoine Q., 43 ans, et Nicolas R., 52 ans, dans un pub en face du 36 un plus tôt dans la soi­rée avant qu’ils ne lui pro­posent de visi­ter les mythiques locaux de la PJ parisienne.

Lire aus­si l Accusation de viol au 36, quai des Orfèvres : les deux poli­ciers acquit­tés en appel

Huit ans plus tard et après avoir béné­fi­cié pre­miè­re­ment d’un non-​lieu en 2016 avant d’être ren­voyés devant les assises de Paris en 2019 et condam­nés à sept de pri­son, les poli­ciers ont été décla­rés inno­cents le 22 avril et sont res­sor­tis libres du tri­bu­nal judi­ciaire de Créteil. La cour d’appel a, dans sa déci­sion, remis en cause la « fia­bi­li­té du témoi­gnage » d’Emily Spanton, au vu de ses « nom­breuses inexac­ti­tudes, impré­ci­sions voire de plu­sieurs men­songes » ain­si qu’une exper­tise psy­chia­trique poin­tant « des élé­ments de per­son­na­li­té de type "bor­der­line". »

Vague d’indignation

Un retour­ne­ment judi­ciaire qui a aus­si­tôt sou­le­vé une vague de réac­tions et d’indignation. Maître Mario Stasi et Maître Sophie Obadia, les avocat·es d’Emily Spanton ont adres­sé, le 26 avril, un cour­rier à François Molins, pro­cu­reur géné­ral auprès de la Cour de cas­sa­tion, pour lui deman­der de for­mer un pour­voi en cas­sa­tion. Me Sophie Obadia, a décla­ré mar­di à l’AFP avoir for­mu­lé un tel recours afin que soit notam­ment étu­diée la ques­tion de la « vul­né­ra­bi­li­té toxi­co­lo­gique » d’Emily Spanton, laquelle était for­te­ment alcoo­li­sée au moment des faits.

Le pour­voi en cas­sa­tion est un recours rare, qui per­met de contes­ter une déci­sion de jus­tice et qui, habi­tuel­le­ment, sou­lève une faille juri­dique. Dans l’affaire dite du « 36 », le par­quet géné­ral de la Cour de cas­sa­tion a indi­qué hier à Libération qu’il « exa­mine s’il y a un inté­rêt juri­dique ». Il doit prendre sa déci­sion « dans les pro­chains jours ». Cela dit, contrai­re­ment à l’appel, le pour­voi en cas­sa­tion ne sus­pend pas l’exécution de la déci­sion de jus­tice. L’acquittement des deux poli­ciers ne pour­ra donc être contes­té et annu­lé. En cas de cas­sa­tion, Antoine Q. et Nicolas R seront ren­voyés ulté­rieu­re­ment devant la cour d’appel du Val-de-Marne.

En réac­tion à cette demande, les avocat·es des deux poli­ciers ont rap­pe­lé que le ver­dict a été « ren­du au nom du Peuple Français et s’impose à tous ». « [La jus­tice] a consi­dé­ré, contrai­re­ment à l’habitude qui s’est nouée depuis plu­sieurs années main­te­nant, que la parole de la plai­gnante n’est pas celle du pri­mat des Gaules et qu’il n’y a pas de rai­son qu’elle soit pri­vi­lé­giée par rap­port aux déné­ga­tions des accu­sés », a décla­ré l’un deux dans un communiqué.

Répercussions

Dans le même temps, douze avo­cates et juristes spé­cia­li­sées dans les vio­lences sexuelles ont envoyé un autre cour­rier aux plus hauts magistrat·es du pays, avec en copie le garde des Sceaux, Éric Dupont-​Moretti afin de requé­rir ce même recours. « À la fois par rap­port à l’histoire per­son­nelle d’Emily et au reten­tis­se­ment que cette affaire peut avoir sur d’autres dos­siers en cours et plus géné­ra­le­ment sur la poli­tique pénale en matière de vio­lences sexuelles », explique l’avocate et signa­taire du cour­rier, Elodie Tuaillon-​Hibon dans les colonnes de Libération. Selon le cour­rier, l’arrêt de la cour d’appel est « en contra­dic­tion fla­grante avec les enga­ge­ments inter­na­tio­naux » qu’a pris la France. Notamment celle de la conven­tion d’Istanbul, rati­fiée en 2014 et qui men­tionne par exemple que le consen­te­ment est le « résul­tat de la volon­té libre de la per­sonne consi­dé­rée dans le contexte des cir­cons­tances environnantes. »

"Procès du consentement"

L'affaire du « 36 » semble être le pro­cès du consen­te­ment dont la notion s’est retrou­vée au cœur même des débats. « Une défaite judi­ciaire mais un fait poli­tique » résume en ces mots, Maître Mario Stasi, avo­cat d’Emily Spanton. « La vul­né­ra­bi­li­té de la vic­time, liée à son alcoo­li­sa­tion éle­vée, est un élé­ment du débat sur le consen­te­ment qui n’est pas inclus dans la loi. C’est une affaire utile pour débattre de la notion de consen­te­ment et de notre défi­ni­tion du viol qui com­mence à dater », estime l’autre avo­cate de la plai­gnante, Me Sophie Obadia.

Mais plus que ce rebon­dis­se­ment judi­ciaire, qui pour­ra être ren­ver­sé en cas­sa­tion, c’est le motif de l’acquittement qui a fait bon­dir les mili­tantes fémi­nistes. Dans une tri­bune publiée mar­di par Le Parisien, plus de 140 mili­tantes fémi­nistes, élues de gauche et avo­cates dénoncent un pro­cès qui « a été celui de la vic­time » et demandent éga­le­ment un pour­voi en cas­sa­tion. « Une lésion intime consta­tée ne vaut pas plus en France que quelques feuillets A4 d’un psy­chiatre ? » poursuivent-​elles avant de rap­pe­ler qu’en France « 2% des plaintes pour viol abou­tissent à une condam­na­tion ».

Pour aller plus loin : La réa­li­sa­trice et jour­na­liste Ovidie a fait de cette affaire un docu­men­taire, Le Procès du 36, actuel­le­ment en replay sur France Télévisions.

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