Une étude Ipsos commandée par l’association Féministes contre le cyberharcèlement révèle ce jeudi 15 décembre que le phénomène des cyberviolences est massif en France, les femmes et les minorités en sont particulièrement visées, avec des conséquences parfois lourdes sur la santé mentale et physique.
Des peines de trois à six mois de prison avec sursis ont été prononcées lundi 12 décembre à Paris contre onze personnes qui avaient harcelé en ligne Eddy de Pretto après un concert en juin 2021 dans une église parisienne. Lors du procès, le chanteur de 29 ans était venu témoigner de l’impact dévastateur des quelque trois mille messages d'insultes homophobes et de menaces de mort qui l’avaient ciblé sur les réseaux sociaux après ce concert.
À la suite de son enquête nationale « Cyberviolence et cyberharcèlement : état des lieux d’un phénomène répandu » diffusée en février dernier, l’association Féministes contre le cyberharcèlement publie ce jeudi 15 décembre les résultats d’une nouvelle enquête auprès des victimes de violences en ligne. Intitulée « Cyberviolence et cyberharcèlement : le vécu des victimes », elle a été réalisée cet automne par Ipsos auprès de 216 victimes de cyberviolences âgées de 16 à 60 ans et plus. Selon l’association, « l’impact de ces violences sur la vie et la santé des victimes est encore peu documenté ». C’est ce constat qui l'a incitée à questionner les victimes sur leurs parcours.
84% des victimes sont des femmes et 74% des auteurs sont des hommes
Les violences en ligne sont un phénomène massif en France. Insultes, menaces, moqueries, revenge porn, réception de photos de parties génitales, usurpation d’identité, cyberharcèlement… Plus de quatre répondant·es sur dix déclarent avoir vécu au moins une situation de cyberviolence au cours de leur vie (41%). Et 93 % d’entre elles·eux déclarent avoir vécu plusieurs situations. Les violences en lignes touchent majoritairement les 18–24 ans (87 %), les personnes LGBTQI+ (85 %), les personnes racisées (71%) et les femmes de moins de 35 ans (65 %).
L’enquête pointe d’ailleurs le caractère genré des cyberviolences puisque parmi les répondant·es, 84 % sont des femmes. Et 43 % d’entre elles·eux subissent des violences en ligne en raison de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle. Quant aux auteur·trices de ces attaques, 74 % des victimes désignent des hommes comme responsables. L’étude pointe également que les violences en ligne s’inscrivent souvent dans la durée. Pour près d’une victime sur deux (49%), elles se sont poursuivies durant au moins un mois. Plus d’un an pour un quart d’entre elles.
31 % des victimes confient avoir augmenté leur consommation d’alcool et de substances et 49 % confient des pensées suicidaires
L’enquête rappelle que les cyberviolences sont loin d’être un mal virtuel. Elles ont un impact extrêmement lourd sur la santé physique et mentale des victimes. Mais également sur leur épanouissement relationnel, familial, scolaire et professionnel. Les violences en ligne engendrent un impact psychologique dans 80 % des cas et un impact physique dans 46 %. Parmi les conséquences psychologiques rapportées par les victimes, on retrouve de nombreux symptômes de stress post-traumatique : hypervigilance (91 %), troubles anxieux et dépressifs (88 %), insomnies (78 %) et pensées suicidaires (49 %).
Les victimes de cyberviolences rapportent aussi des impacts physiques : 45 % d’entre elles disent avoir développé des troubles alimentaires et près d’une victime sur cinq déclare s’être déjà automutilée. Enfin, 31 % des victimes confient avoir augmenté leur consommation d’alcool et de substances. Les conséquences des violences en ligne peuvent d’ailleurs être extrêmes : 14 % des victimes déclarent avoir déjà tenté de se suicider.
Violences qui dépassent le cadre d’Internet
Pour les victimes de cyberviolences, il ne suffit pas d’éteindre son ordinateur ou de désactiver ses comptes sur les réseaux sociaux pour être en sécurité. L’étude pointe en effet combien « il est aujourd’hui impossible de tracer une ligne de démarcation nette entre le hors-ligne et le en-ligne ». Les cyberviolences s’enchevêtrent bien souvent dans un continuum de violences subies également dans « la vie réelle ». L'étude observe d'ailleurs que les menaces faites en ligne n’en restent pas qu’au stade de menaces et sont mises à exécution. En tout, 72 % des victimes interrogées déclarent que ces cyberviolences se sont poursuivies en présentiel. Elles sont ainsi près de deux sur dix à rapporter des faits de violences physiques (16 %) ou sexuelles (18 %). L’enquête note que ces violences conduisent les victimes à se plier à des stratégies d’adaptation et d’évitement coûteuses qui engendrent un épuisement physique et psychique. 32 % des répondant·es ont ainsi désactivé leurs comptes sur les réseaux sociaux suite à un ou des épisodes de cyberviolences.
Seules 3% des plaintes aboutissent à des poursuites judiciaires
« Le parcours judiciaire des victimes de cyberviolences est semé d’embûches », est-il aussi précisé. Ainsi, 61 % des victimes pensent que porter plainte ne sert à rien. Pour celles qui se sont déplacées dans un commissariat, 70 % indiquent que leur plainte n’a donné lieu à aucune poursuite et un tiers se sont vues refuser le dépôt de plainte. Au total, les violences en ligne subies n’ont donné lieu à une plainte suivie de poursuites judiciaires que dans 3% des cas.
Améliorer l’information
Enfin, l'étude pointe aussi que l’accès au droit des victimes et à l’information « est clairement insuffisant ». En tout, 17 % d’entre elles affirment en effet ne pas avoir porté plainte parce qu’elles ne savaient pas qu’elles pouvaient le faire et 81 % se déclarent mal informées sur les dispositifs d’accompagnement. Face à cet état des lieux alarmant, l’association Féministes contre le cyberharcèlement appelle les pouvoirs publics à mettre en place de toute urgence les campagnes d’information et de prévention sur les cyberviolences.
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