Statue of Liberty, New York under white and blue cloudy skies
© Ferdinand Stöhr

Politique amé­ri­caine : où en sont les féministes ?

« C’est le scru­tin de l’égalité. Votez comme si votre vie en dépen­dait. » Le mes­sage en Une du numé­ro d’automne de Ms., LE maga­zine his­to­rique de la presse fémi­niste amé­ri­caine, donne le ton. À la veille des élec­tions, les fémi­nistes sont sur le pied de guerre. Contexte par­fait pour dres­ser un petit bilan de leurs combats. 

Les basiques tou­jours d’actualité

Premier constat : les droits des femmes sont tou­jours mena­cés, même les plus basiques. C’est d’ailleurs par là que com­mence Hélène Quanquin, pro­fes­seure à l’université Lille-​III, spé­cia­liste de l’histoire des femmes et du genre aux États-​Unis : « Ce n’est pas nou­veau, mais ça va res­ter un sujet cru­cial : la défense du droit à l’avortement. Parce que les Républicains sont dans une oppo­si­tion com­plète et parce que, avec le futur pré­sident, vont être élus de nou­veaux juges à la Cour suprême, de qui dépend la ques­tion. »

C’est aus­si la pre­mière réponse que donne Ninotchka Rosca, écri­vaine et res­pon­sable du comi­té trans­na­tio­nal de l’asso « fémi­niste et anti-​impérialiste » AF3IRM, qui opère dans tout le pays : « Pour vous don­ner une idée de l’état de chaos dans lequel on est, ima­gi­nez que Joe Biden a été accu­sé par ses détrac­teurs de vou­loir léga­li­ser l’avortement jusqu’au terme de la gros­sesse ! »
Dans un autre genre, tout aus­si sym­pa­thique : « Ici, les sectes évan­gé­liques militent pour que les femmes n’aient pas le droit de sor­tir, même pour tra­vailler. » La révul­sion vis­cé­rale que sus­citent ces sujets chez les conser­va­teurs a même don­né nais­sance au terme de sex panics. Comprenez : la peur engen­drée par des droits sexuels accor­dés aux femmes. Ambiance.


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La ques­tion trans crispe tout le monde

Il est cepen­dant une ques­tion cen­trale autour de laquelle se scindent les fémi­nistes amé­ri­caines : pour qui le fémi­nisme doit-​il se battre ? Jusqu’où doit aller l’intersectionnalité ? « La ques­tion de fond, expose Ninotchka Rosca, d’AF3IRM, c’est en fait : “Qui sont les femmes ?” Les droits des femmes et les droits des femmes trans se rejoignent dans de nom­breux cas, mais du point de vue de notre asso­cia­tion, ce n’est pas tout à fait la même chose. Il faut veiller à recon­naître ces droits, mais opé­rer une dis­tinc­tion. Il y a, par exemple, en ce moment un débat judi­ciaire pour déter­mi­ner quelle place don­ner aux femmes trans dans le sport, car elles sont sou­vent plus lourdes que les femmes cis, ce qui pose des ques­tions d’équité si on les intègre aux mêmes équipes. »

Sur le spectre des idées, pous­ser cette pos­ture à l’extrême abou­tit au mou­ve­ment Terf, acro­nyme de Trans-​exclusionary radi­cal femi­nists. « Ce sont des femmes qui excluent les femmes trans­genres des dis­cus­sions fémi­nistes », résume Hélène Quanquin. Être une Terf, c’est ce qui est repro­ché à la mon­dia­le­ment connue J. K. Rowling, l’autrice d’Harry Potter, accu­sée, à la suite d’une série de Tweet dis­cu­tables, d’être trans­phobe. C’est dire que le sujet concerne. De l’autre côté du spectre, il y a Gloria Steinem. La mythique fémi­niste, fon­da­trice du maga­zine Ms., a récem­ment chan­gé de point de vue sur cette ques­tion à la faveur des per­sonnes trans. À l’image du fémi­nisme amé­ri­cain, « elle est bien plus radi­cale que dans les années 1970, au début de sa car­rière, dit en sou­riant Imara Jones. Aujourd’hui, elle est un sou­tien pour nous »


Lire aus­si : États-​Unis : cinq élues bou­le­versent le pay­sage poli­tique

Intersectionnalité au taquet

Petit rap­pel pour celles et ceux qui n’auraient pas sui­vi, l’intersectionnalité désigne le fait de subir plu­sieurs sys­tèmes d’oppression dif­fé­rents en même temps. Exemple : le patriar­cat ET le racisme quand on est une femme noire. Pour en par­ler, Imara Jones est plu­tôt calée. C’est une femme trans, noire, ani­ma­trice du pod­cast TransLash, et autrice, fin août, d’une tri­bune dans le Times pour valo­ri­ser les femmes noires trans. Elle plante le décor : « Les voix qui dominent la scène des idées fémi­nistes ici sont celles des femmes noires. Et la conver­sa­tion qui occupe le plus de place est l’intersectionnalité. On parle ici de race, mais aus­si du fait que l’identité de genre n’est tou­jours pas un droit pour les per­sonnes trans. » Ces deux variantes de l’intersectionnalité sont au cœur de l’actualité des idées fémi­nistes amé­ri­caines. Un signe : les pion­nières de cette pen­sée reviennent à fond sur le devant de la scène. « Angela Davis réémerge en tant que réfé­rence cen­trale » du fémi­nisme, note Imara Jones. À 76 ans, elle a fait la Une de Vanity Fair fin août. « Ses écrits sont res­tés d’actualité, comme ceux de la mili­tante et intel­lec­tuelle bell hooks, ou encore ceux d’Audre Lorde », née en 1934 (et morte en 1992), « noire, les­bienne, mère, war­rior et poète » – comme elle le résu­mait elle-​même. L’Oprah Magazine, site déri­vé de la célé­bris­sime émis­sion de talk-​show d’Oprah Winfrey, recom­man­dait en cette ren­trée cinq de ses essais.

Ces réfé­rences ne sont pas qu’un effet de mode. Les der­niers best-​sellers fémi­nistes aux États-​Unis sont tous inter­sec­tion­nels. Comme Bad Feminist, de Roxane Gay (éd. Harper Perennial, 2014), et Unapologetic. A Black, Queer, and Feminist Mandate for Radical Movements, de Charlene Carruthers (éd. Beacon Press, 2018). La der­nière grande paru­tion en date est l’ouvrage Vanguard, de l’historienne Martha Jones (éd. Basic Books, 2020). Il raconte la conquête de leurs droits poli­tiques par les femmes noires. Globalement, le « fémi­nisme blanc » ne fait presque plus par­tie des librairies. 


Le ter­rain avant tout

« Les fémi­nistes fran­çaises sont très enga­gées dans le monde des idées et des concepts, observe Imara Jones, mais quand il s’agit de les décli­ner concrè­te­ment, votre socié­té semble plus proche du XVIIe siècle… » Aux États-​Unis, la lutte vient de la base et elle est domi­née « par un savoir-​faire de ter­rain, pas for­cé­ment théo­ri­sé, direc­te­ment mené par des mili­tantes au sein de leurs com­mu­nau­tés locales ». Tel est le résu­mé de la situa­tion selon Marie-​Cécile Naves, poli­to­logue spé­cia­liste des États-​Unis et autrice de La Démocratie fémi­niste. Réinventer le pou­voir (éd. Calmann-​Lévy), en librai­rie en octobre. Il n’y a qu’à voir les mères du mou­ve­ment Black Lives Matter, prêtes à créer un mur des mères pour pro­tes­ter contre les vio­lences poli­cières.

Et évi­dem­ment, le suc­cès de la Women’s March, « l’une des plus grandes mani­fes­ta­tions de notre his­toire », rap­pelle Ninotchka Rosca : 4 mil­lions de militant·es en 2019 – dont l’une des lea­deuses, Linda Sarsour, est, là encore, une acti­viste « voi­lée », figure d’intersectionnalité, sou­ligne Hélène Quanquin. Imara Jones com­plète : « C’est sur­tout dans des ONG locales et au sein du milieu aca­dé­mique que se fait la lutte. » Elle passe par le tis­su d’associations fémi­nistes et LGBTQI+, pré­sentes dans presque chaque uni­ver­si­té. Elle passe aus­si par Twitter, où les profs de gen­der stu­dies ou d’African American stu­dies vul­ga­risent leurs recherches et par­viennent à regrou­per autour de 100 000 abonné·es, comme Keeanga Yamahtta ou Tressie McMillan Cottom. Kimberlé Crenshaw, juriste inven­trice du terme « inter­sec­tion­na­li­té », en est car­ré­ment deve­nue une per­son­na­li­té publique, évo­quée dans les ­conver­sa­tions de tous les jours

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