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Lisa, 16 ans, ex fille-soldat en RCA. ©Plan International France

Les filles-​soldats, grandes oubliées des conflits armés

À l’occasion de la Journée inter­na­tio­nale des enfants-​soldats qui se tient ce 12 février, Causette s’intéresse aux filles-​soldats. Souvent oubliées, nom­breuses sont pour­tant les petites filles à être recru­tées de force par des adultes enga­gés dans des conflits armés. 

#BringBackOurGirls. Beaucoup se sou­viennent du hash­tag, « rame­nez nos filles », deve­nu viral sur les réseaux sociaux en 2014 suite à l’enlèvement de 276 lycéennes nigé­rianes par les com­bat­tants isla­mistes de Boko Haram. Les jeunes filles âgées de 12 à 17 ans avaient été enrô­lées de force, contraintes d’être mariées à des com­bat­tants dji­ha­distes, vio­lées et réduites à l’esclavage sexuel. À prio­ri, elles n’ont rien de “filles-​soldats”. Elles font pour­tant par­tie de ce phé­no­mène mécon­nu mais néan­moins bien réel. Les der­niers chiffres à ce sujet datent de 2012, preuve que le recen­se­ment de ces enfants est dif­fi­cile. L’Unicef esti­mait à l’époque à 250 000 le nombre d’enfants qui par­ti­ci­pèrent à des hos­ti­li­tés armées à tra­vers le monde, dont une grande majo­ri­té sur le conti­nent afri­cain. Les filles consti­tuaient 40 % de ces enfants. Une sta­tis­tique qui n'aurait pas chan­gé selon l'organisation.

Parfois com­bat­tantes et très sou­vent esclaves sexuelles, leur sta­tut est pour­tant plus dif­fi­cile à cer­ner que celui des gar­çons. « Elles ont ten­dance à être invi­si­bi­li­sées du débat public, constate Solveig Vinamont, cofon­da­trice de la WAPA, asso­cia­tion inter­na­tio­nale qui lutte contre l’utilisation d’enfants dans les conflits armés et pour leur réin­ser­tion au sein des com­mu­nau­tés. L’une des rai­sons est pro­ba­ble­ment la défi­ni­tion incom­plète de “filles-​soldat”. Quand on pense aux enfants-​soldats, on a l’image sté­réo­ty­pée des gar­çons armés de kalach­ni­kovs. » Si les enfants font l’objet d’une pro­tec­tion par­ti­cu­lière depuis la Convention de Genève de 1949, il exis­tait jusqu’en 1999 un véri­table vide juri­dique concer­nant les “enfants-​soldats”. Il faut en effet attendre cette année-​là pour que l’Organisation inter­na­tio­nale du Travail (OIT) défi­nisse dans sa Convention 182 le recru­te­ment d’enfants dans des conflits armés comme l’une des pires formes d’exploitation. La défi­ni­tion la plus proche de la réa­li­té semble en fait être celle for­mu­lée lors de la Conférence sur la pré­ven­tion, la démo­bi­li­sa­tion et la réin­té­gra­tion sociale des enfants-​soldats qui s’est tenue au Cap (Afrique du Sud), en 1997. Selon les Principes du Cap : « toute per­sonne de moins de 18 ans qui appar­tient à une force régu­lière ou un groupe armé est un enfant sol­dat. L’expression enfant-​soldat ne se réfère pas uni­que­ment à ceux qui portent ou ont por­té les armes, mais éga­le­ment à ceux qui servent comme cui­si­niers, por­teurs, mes­sa­gers, y com­pris les jeunes filles recru­tées à des fins sexuelles ou contraintes au mariage. » 

« La plu­part du temps, ce sont des enlè­ve­ments. Les milices pénètrent dans les vil­lages, réunissent les enfants et choi­sissent leurs vic­times comme si c’était un marché. » 

Jean Lieby, chef de la pro­tec­tion de l’enfance pour l’UNICEF au Soudan du Sud

Enrôlé·es de gré ou de force, les enfants ont tou­jours consti­tué de la chair à canon de grande valeur pour les adultes. On trouve ain­si trace de leur exis­tence durant les grands conflits des XIXème et XXème siècles. « Vulnérables phy­si­que­ment, men­ta­le­ment et émo­tion­nel­le­ment, les enfants sont plus dociles et mal­léables que les adultes », affirme Jean Lieby, chef de la pro­tec­tion de l’enfance pour l’UNICEF au Soudan du Sud. Si le phé­no­mène des enfants sol­dats a heu­reu­se­ment dis­pa­ru d’une grande par­tie de la sur­face de la terre en rai­son du droit inter­na­tio­nal inter­di­sant le recru­te­ment d’enfant dans les conflits armés, en RCA, au Nigéria, au Congo, en Ouganda, en Somalie, ou encore au Soudan du Sud, nom­breuses sont les filles à être tou­jours enrô­lées dès l’âge de 7 ans dans les régions ou les groupes armés sont légion. « La plu­part du temps ce sont des enlè­ve­ments, indique Jean Lieby. Les milices pénètrent dans les vil­lages, réunissent les enfants et choi­sissent leurs vic­times comme si c’était un mar­ché. » 

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Terese, 14 ans, res­ca­pée d’une milice en RCA ©Plan International France

Certaines intègrent aus­si « volon­tai­re­ment » les groupes armés, dans une ten­ta­tive déses­pé­rée de sur­vie. « C’est sou­vent soit ça, soit mou­rir, pré­cise Julien Beauhaire, porte-​parole de Plan International France. Lorsqu’elles sont orphe­lines, c’est par­fois le seul moyen pour elles d’avoir un abri et de la nour­ri­ture. Elles rejoignent aus­si les milices avec l’espoir qu’elles les pro­tègent. » La ven­geance peut éga­le­ment être un fac­teur d’enrôlement. « Elles ont vu leurs proches se faire tuer par des groupes armés alors elles intègrent le groupe rival », ajoute Julien Beauhaire. C’est le cas de Rosalie, 16 ans, ex fille-​soldat qui a rejoint un groupe armé en RCA après la mort de son père.* « J’avais 13 ans quand la guerre a écla­té dans notre vil­lage », confie-​t-​elle à Plan International France « J’ai rejoint l’une des milices consti­tuées dans mon vil­lage pour ven­ger la mort de mon père. Mon frère, mes deux sœurs et moi avons tous rejoint le groupe armé, convain­cus que c’était notre seule chance de survie. » 

Une impli­ca­tion multiple
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Dessin d'un ancien enfant sol­dat gui­néen
©Plan International France 

L’implication des filles dans les conflits armés est mul­tiple, de par les nom­breuses tâches qu’elles assument : elles com­battent en pre­mière ligne aux côtés des gar­çons, pillent, servent d’espionne, de bou­clier humain ou de bombe humaine. « J’ai fait beau­coup de mal. J’ai tué énor­mé­ment de per­sonnes, j’ai beau­coup de haine en moi, témoigne Urmila 15 ans, ex fille-​soldat en RCA auprès de Plan International France. C’est pour cela que j’ai arrê­té : je n’ose pas citer tout ce que j’ai fait. » Elles jouent éga­le­ment un véri­table rôle logis­tique à l’arrière : elles soignent les blessé.es et s’occupent des tâches domes­tiques. « Dans ce groupe, les filles étaient char­gées de pré­pa­rer la nour­ri­ture et de faire la les­sive pour les com­bat­tants et les chefs », livre Rosalie dans son témoignage.

Une grande majo­ri­té d’entre-elles sont aus­si char­gées du « confort » des sol­dats. Mariées de force à des chef de guerre ou esclaves sexuelles, elles subissent quo­ti­dien­ne­ment des vio­lences sexuelles et sont uti­li­sées à des fins repro­duc­tives. Ces abus affectent for­te­ment leur espé­rance de vie au sein de ces groupes. « Leur condi­tion phy­sique est extrê­me­ment dégra­dée. Elles sont le plus sou­vent sous-​alimentées avec des lésions cor­po­relles graves par­fois inva­li­dantes à vie. Les filles sont aus­si for­te­ment expo­sées au VIH ain­si qu’à d’autres mala­dies sexuel­le­ment trans­mis­sibles, déplore Julien Beauhaire. Beaucoup vivent aus­si des gros­sesses pré­coces non dési­rées et peuvent mou­rir en couche, faute de soins. » 

La dif­fi­cile réin­té­gra­tion des filles-soldats 

Les filles-​soldats res­tent par­fois quelques mois, quelques années aux mains des milices armées. Elles vivent au rythme de leurs dépla­ce­ments dans des condi­tions par­ti­cu­liè­re­ment dif­fi­ciles : manque d’eau, de nour­ri­ture, habi­tat pré­caire. « Soit elles par­viennent à fuir lors de com­bats, soit elles sont libé­rées lors d’opérations après des négo­cia­tions menées par des ONG, pré­cise Solveig Vinamont. Certains groupes relâchent aus­si les enfants sol­dats. »  Lorsqu’elles par­viennent à s’échapper des griffes de leurs geô­liers, la double peine s’applique sou­vent pour ces ex filles-​soldats. Elles sont d’une part trau­ma­ti­sées aus­si bien phy­si­que­ment que men­ta­le­ment par les vio­lences qu’elles ont vues et vécues et subissent d’autre part le rejet de leur com­mu­nau­té à leur retour. « Les anciennes filles sol­dats sont ban­nies de leurs familles parce qu’elles sont consi­dé­rées comme des meur­trières et parce qu’elles sont “impures” à leurs yeux », sou­ligne Julien Beauhaire. Dans des socié­tés encore très patriar­cales, le poids de la vir­gi­ni­té fémi­nine est en effet très lourd. « Une jeune fille de 16 ans qui revient avec un bébé ne pour­ra plus se marier, ajoute le porte-​parole de Plan International France. En les reje­tant, leur com­mu­nau­té leur laisse leur éti­quette de “vic­time”. » 

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Rosalie, 16 ans, ex fille-​soldat en RCA apprend la cou­ture. © Plan International France

La média­tion avec les familles est donc l’une des grandes pré­oc­cu­pa­tions des orga­ni­sa­tions huma­ni­taires. « Nous tra­vaillons étroi­te­ment avec elles pour trans­for­mer ce sen­ti­ment de honte en sen­ti­ment de com­pas­sion, c’est indis­pen­sable pour qu’elles s’en sortent, indique Julien Beauhaire. Rien ne peut se faire sans la famille. » Et pour celles qui ne pour­ront jamais réin­té­grer leur com­mu­nau­té, des familles d’accueil sont à dis­po­si­tion pour évi­ter qu’elles retournent dans les groupes armés. C’est le cas de Terese, 14 ans, res­ca­pée d’une milice en RCA : « je vis dans une famille d’accueil, car je ne me sen­tais pas à l’aise avec ma famille. Les voi­sins ont décou­vert que je fai­sais par­tie d’un groupe armé et ont com­men­cé à me fuir, ain­si que ma famille. »

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Stevia, 16 ans, ex fille-​soldat en RCA
a depuis ouvert un ate­lier de cou­ture dans son quar­tier.
©Plan International France

Tout l’enjeu des orga­ni­sa­tions huma­ni­taires est d’aider ces jeunes filles à sur­vivre aux mul­tiples trau­ma­tismes, mais éga­le­ment à se réin­sé­rer dans la vie civile. « On leur apporte pre­miè­re­ment un sou­tien psy­cho­lo­gique spé­ci­fique à leurs besoins, déve­loppe Julien Beauhaire. À tra­vers des groupes de parole et des thé­ra­pies par le des­sin leur per­met­tant de mettre des mots sur leurs souf­frances, sur les viols qu’elles ont subis. » Il est éga­le­ment indis­pen­sable de res­tau­rer l’environnement fami­lial com­plè­te­ment bou­le­ver­sé par des années d’asservissement et de leur offrir à ce titre de solides pers­pec­tives d’avenir. « Il faut que ces enfants qui ont été for­cés de jouer aux adultes rede­viennent des enfants, sou­ligne Jean Lieby qui tra­vaille sur le ter­rain dans le Soudan du Sud. Le rôle de nos pro­grammes psy­cho­so­ciaux est d’accompagner ces jeunes filles pour qu’elles par­viennent à vivre avec ça. Grâce à une remise à niveau sco­laire, elles peuvent accé­der à des for­ma­tions et à des emplois. C’est vital car c’est comme ça qu’elles sor­ti­ront de la pau­vre­té et ne seront pas ten­tées de retour­ner vers les groupes armés. » 

*Tous les témoi­gnages ont été recueillis par Plan International France

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