À la tête de la secte NXIVM (prononcer néxium), le gourou Keith Raniere, 60 ans, a été jugé coupable de trafic sexuel. Ce pseudo guide spirituel utilisait le développement personnel pour exercer son emprise, particulièrement sur les femmes, jusqu’à en faire des esclaves sexuelles. Portrait d’un mégalo depuis l’enfance condamné le 27 octobre 2020 à 120 ans de prison.
1990, État de New York. Coupe au bol approximative et lunettes rondes, Keith Raniere, 30 ans, explique devant un paperboard comment son business permettra à ses futur·es adhérent·es de gagner de l’argent très facilement. Il leur suffit de recruter de nouveaux membres. Celui qui deviendra le chef d’une secte aux centaines d’adeptes n’a alors rien du leader New Age aux cheveux mi-longs. Il est à la tête de Consumers’ Buyline Inc., un club d’achats. Sa petite boîte à succès gonfle jusqu’à compter 250 000 membres, mais elle finit par exploser. En 1993, différents États américains soupçonnent l’entreprise de cacher une pyramide de Ponzi, un montage financier qui rémunère les investissements de ses client·es par les fonds gagnés grâce aux nouveaux entrants, comprenez : une grosse arnaque. En 1993, Consumers’ Buyline Inc. ferme. Ainsi commence la carrière de Keith Raniere, dieu de l’extorsion avant d’être gourou.
Né en 1960 à Brooklyn, Raniere s’est toujours considéré lui-même comme un môme spécial. De ceux qui s’enferment dans la solitude pour faire des calculs mentaux. Il affirme, lors de ses conférences, qu’il a su parler parfaitement à 1 an et qu’il a appris à lire à 2 ans. Derrière le vernis du gamin précoce, une réalité un peu plus glauque. Sa mère, professeure de danse, se noie dans l’alcool. La nuit, Keith doit surveiller celle qui a tendance à mêler liqueur et médicaments. Elle meurt quand il a 18 ans. Le gourou en puissance est alors étudiant dans une université prestigieuse, Rensselaer Polytechnic Institute, où il affirme avoir décroché, en 1982, un diplôme en mathématiques, biologie et physique. Ce que le prédicateur tait, c’est qu’il a obtenu une note qui équivaut à un C. Mais qu’importe, ce n’est pas la seule approximation biographique. Raniere se vante très souvent de faire partie du Guinness Book des records comme ayant l’un des QI les plus élevés au monde. Sauf que non. Il apparaît uniquement dans son édition australienne de 1989 en tant que participant à un test obscure de la Mega Society… Sans validation scientifique.
Quand elle rencontre Keith en 1990, Toni Natalie ne se doute pas qu’elle va tout plaquer, mari compris. Son époux veut assister avec elle à une conférence de Consumer’s Buyline Inc. présentée par un certain Raniere, qu’il lui décrit comme « l’homme le plus intelligent du monde ». Elle le raconte dans son livre The Program, paru en 2019. Le couple devient immédiatement membre de l’entreprise frauduleuse. « Il nous a fait sentir non pas que nous allions participer à un nouveau buisness, mais que nous allions épouser un tout nouveau mode de vie, témoigne-t-elle. Après sa présentation, je lui ai dit : “Tu as un QI de 240, pourquoi ne soignes-tu pas le cancer ? Pourquoi ne changes-tu pas le monde pour qu’il soit meilleur ?” “Je suis en train de changer le monde”, a‑t-il répondu sans hésiter. “Je suis en train de créer un monde meilleur. Veux-tu me rejoindre ?” ».
Deux ans plus tard, en 1992, Toni Natalie quitte son mari et s’installe avec Raniere. Après l’échec de Consumers’ Buyline, le couple se lance dans la vente de vitamines jusqu’à l’arrivée, six ans plus tard, d’une certaine Nancy Salzman, qui, elle aussi, tombe amoureuse de ce faux génie. Cette psy en carton-pâte pratique la PNL, qui, avant d’être un duo de rap, signifie « programmation neurolinguistique », une méthode de communication qui fait fureur à l’époque. Dénoncée rapidement comme technique de manipulation, la PNL est surveillée en France par la Miviludes. Salzman, également spécialiste en hypnose, décèle le potentiel de prédication chez Raniere. À eux deux, ils fondent en 1998 l’Executive Success Programs, qui deviendra en 2003 NXIVM, entreprise installée à Albany dans l’État de New York. Toni quitte Raniere en 1999.
NXIVM propose des séminaires de développement personnel pour se sentir plus en confiance et réussir sa vie. La gagne made in USA. Pour y parvenir, il faut s’inscrire à des formations qui peuvent coûter 5 000 euros la journée. Les participant·es y confient leurs peurs et leurs angoisses. Objectif : gravir des échelons dans cette communauté pyramidale. Tout en haut, Raniere, appelé « Vanguard » par les adeptes, juste en dessous, Nancy Salzman, sa « première élève », qu’il faut appeler « Préfète ». 16 000 personnes environ ont assisté aux formations entre 1998 et la fin des activités de la secte en 2018.
Chaque année, pour l’anniversaire de leur chef spirituel, les « étudiant·es » se rendent à la « V‑week » au Silver Bay Center, base de loisirs plantée au milieu de la forêt, au bord d’un lac. Une semaine complète entre ateliers de comédie musicale et parties de volley-ball. L’apothéose a lieu à la fin du séjour, lors de la date d’anniversaire de Vanguard. Réparti·es en section selon les régions d’où les membres viennent, chaque groupe monte sur scène pour proposer une performance à la gloire de leur idole. À noter que pour saluer les membres, Keith Raniere les embrasse sur la bouche.
Quand Raniere parle, ses étudiant·es boivent ses paroles. Des discours bien rodés qui en creux défendent la polygamie pour les hommes, la monogamie pour les femmes et le viol. Un lavage de cerveau calculé. « Raniere était un excellent manipulateur. Il était capable d’amener les gens à s’ouvrir et à lui confier leurs espoirs et leurs peurs. Il pouvait alors s’en prendre à eux en sachant où faire pression », décrypte pour Causette le docteur Janja Lalich, sociologue spécialisée en dérive sectaire aux États-Unis. Pourtant, rien de très novateur dans cette secte qui mixe empowerment 2.0 et discours New Age, comme elle le précise : « Il a pioché dans beaucoup d’absurdités New Age et a pris des idées et des termes d’autres sectes. Tout cela mis à sa sauce. En revanche, ce qui lui était propre, c’était d’apporter à ces discours déjà existants ses propres désirs sadiques et ses vues extrêmement misogynes. »
Pour se créer une vitrine impeccable, Raniere et Salzman recrutent des célébrités et des grosses fortunes. Au fur et à mesure des années, des vedettes de séries B rejoignent les rangs de NXIVM, de la Canadienne Sarah Edmondson, de Stargate SG‑1, à Catherine Oxenberg, de Dynastie. Leur figure de proue ? Allison Mack, de Smallville. C’est elle qui, à partir de 2015, recrute des esclaves sexuelles pour le gourou. Raniere lui a demandé de créer une secte dans la secte : DOS pour Dominus Obsequium Sororium. Une pseudo-société de sororité censée rendre les femmes plus fortes, dénoncée en 2017, dans le New York Times par Sarah Edmondson. Les participantes se soumettent à un « Maître » et fournissent à Mack des documents personnels compromettants, de quoi les faire chanter si elles parlent. Pour prouver leur dévouement à Raniere, les « esclaves » se font marquer au fer les initiales du gourou sur l’aine, entravées par la vedette de Smallville pendant la cautérisation. Sadisme de l’extrême.
Recherché par la police après la publication, Raniere part en cavale. Les témoignages de femmes violées, agressées ou harcelées pleuvent. Au printemps 2018, il est arrêté au Mexique dans une villa luxueuse, en pleine orgie sexuelle. Le 19 juin 2019, après six semaines de procès, il est jugé coupable de sept chefs d’inculpation, dont de trafic sexuel et de corruption de mineures. Il est condamné le 27 octobre à 120 ans de prison. Depuis le 3 juillet 2020, des adeptes ont été aperçues en train de danser devant le centre de détention de Brooklyn où il est incarcéré. Elles veulent lui prouver leur dévouement. Toujours.