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Keith Raniere. © Capture d'écran YouTube

Keith Raniere, gou­rou amé­ri­cain qui mar­quait au fer ses adeptes

À la tête de la secte NXIVM (pro­non­cer néxium), le gou­rou Keith Raniere, 60 ans, a été jugé cou­pable de tra­fic sexuel. Ce pseu­do guide spi­ri­tuel uti­li­sait le déve­lop­pe­ment per­son­nel pour exer­cer son emprise, par­ti­cu­liè­re­ment sur les femmes, jusqu’à en faire des esclaves sexuelles. Portrait d’un méga­lo depuis l’enfance condam­né le 27 octobre 2020 à 120 ans de prison.

1990, État de New York. Coupe au bol approxi­ma­tive et lunettes rondes, Keith Raniere, 30 ans, explique devant un paper­board com­ment son busi­ness per­met­tra à ses futur·es adhérent·es de gagner de l’argent très faci­le­ment. Il leur suf­fit de recru­ter de nou­veaux membres. Celui qui devien­dra le chef d’une secte aux cen­taines d’adeptes n’a alors rien du lea­der New Age aux che­veux mi-​longs. Il est à la tête de Consumers’ Buyline Inc., un club d’achats. Sa petite boîte à suc­cès gonfle jusqu’à comp­ter 250 000 membres, mais elle finit par explo­ser. En 1993, dif­fé­rents États amé­ri­cains soup­çonnent l’entreprise de cacher une pyra­mide de Ponzi, un mon­tage finan­cier qui rému­nère les inves­tis­se­ments de ses client·es par les fonds gagnés grâce aux nou­veaux entrants, com­pre­nez : une grosse arnaque. En 1993, Consumers’ Buyline Inc. ferme. Ainsi com­mence la car­rière de Keith Raniere, dieu de l’extorsion avant d’être gourou.

Reportage télé­vi­sé de 1992 sur la ligne d’achats des consom­ma­teurs NXIVM. © YouTube

Né en 1960 à Brooklyn, Raniere s’est tou­jours consi­dé­ré lui-​même comme un môme spé­cial. De ceux qui s’enferment dans la soli­tude pour faire des cal­culs men­taux. Il affirme, lors de ses confé­rences, qu’il a su par­ler par­fai­te­ment à 1 an et qu’il a appris à lire à 2 ans. Derrière le ver­nis du gamin pré­coce, une réa­li­té un peu plus glauque. Sa mère, pro­fes­seure de danse, se noie dans l’alcool. La nuit, Keith doit sur­veiller celle qui a ten­dance à mêler liqueur et médi­ca­ments. Elle meurt quand il a 18 ans. Le gou­rou en puis­sance est alors étu­diant dans une uni­ver­si­té pres­ti­gieuse, Rensselaer Polytechnic Institute, où il affirme avoir décro­ché, en 1982, un diplôme en mathé­ma­tiques, bio­lo­gie et phy­sique. Ce que le pré­di­ca­teur tait, c’est qu’il a obte­nu une note qui équi­vaut à un C. Mais qu’importe, ce n’est pas la seule approxi­ma­tion bio­gra­phique. Raniere se vante très sou­vent de faire par­tie du Guinness Book des records comme ayant l’un des QI les plus éle­vés au monde. Sauf que non. Il appa­raît uni­que­ment dans son édi­tion aus­tra­lienne de 1989 en tant que par­ti­ci­pant à un test obs­cure de la Mega Society… Sans vali­da­tion scientifique. 

Quand elle ren­contre Keith en 1990, Toni Natalie ne se doute pas qu’elle va tout pla­quer, mari com­pris. Son époux veut assis­ter avec elle à une confé­rence de Consumer’s Buyline Inc. pré­sen­tée par un cer­tain Raniere, qu’il lui décrit comme « l’homme le plus intel­li­gent du monde ». Elle le raconte dans son livre The Program, paru en 2019. Le couple devient immé­dia­te­ment membre de l’entreprise frau­du­leuse. « Il nous a fait sen­tir non pas que nous allions par­ti­ci­per à un nou­veau buis­ness, mais que nous allions épou­ser un tout nou­veau mode de vie, témoigne-​t-​elle. Après sa pré­sen­ta­tion, je lui ai dit : “Tu as un QI de 240, pour­quoi ne soignes-​tu pas le can­cer ? Pourquoi ne changes-​tu pas le monde pour qu’il soit meilleur ?” “Je suis en train de chan­ger le monde”, a‑t-​il répon­du sans hési­ter. “Je suis en train de créer un monde meilleur. Veux-​tu me rejoindre ?” »

Deux ans plus tard, en 1992, Toni Natalie quitte son mari et s’installe avec Raniere. Après l’échec de Consumers’ Buyline, le couple se lance dans la vente de vita­mines jusqu’à l’arrivée, six ans plus tard, d’une cer­taine Nancy Salzman, qui, elle aus­si, tombe amou­reuse de ce faux génie. Cette psy en carton-​pâte pra­tique la PNL, qui, avant d’être un duo de rap, signi­fie « pro­gram­ma­tion neu­ro­lin­guis­tique », une méthode de com­mu­ni­ca­tion qui fait fureur à l’époque. Dénoncée rapi­de­ment comme tech­nique de mani­pu­la­tion, la PNL est sur­veillée en France par la Miviludes. Salzman, éga­le­ment spé­cia­liste en hyp­nose, décèle le poten­tiel de pré­di­ca­tion chez Raniere. À eux deux, ils fondent en 1998 l’Executive Success Programs, qui devien­dra en 2003 NXIVM, entre­prise ins­tal­lée à Albany dans l’État de New York. Toni quitte Raniere en 1999. 

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Capture d’écran du site Internet de Keith Raniere en 2003, sup­pri­mé depuis. Source : WaybackMachine. 

NXIVM pro­pose des sémi­naires de déve­lop­pe­ment per­son­nel pour se sen­tir plus en confiance et réus­sir sa vie. La gagne made in USA. Pour y par­ve­nir, il faut s’inscrire à des for­ma­tions qui peuvent coû­ter 5 000 euros la jour­née. Les participant·es y confient leurs peurs et leurs angoisses. Objectif : gra­vir des éche­lons dans cette com­mu­nau­té pyra­mi­dale. Tout en haut, Raniere, appe­lé « Vanguard » par les adeptes, juste en des­sous, Nancy Salzman, sa « pre­mière élève », qu’il faut appe­ler « Préfète ». 16 000 per­sonnes envi­ron ont assis­té aux for­ma­tions entre 1998 et la fin des acti­vi­tés de la secte en 2018. 

Chaque année, pour l’anniversaire de leur chef spi­ri­tuel, les « étudiant·es » se rendent à la « V‑week » au Silver Bay Center, base de loi­sirs plan­tée au milieu de la forêt, au bord d’un lac. Une semaine com­plète entre ate­liers de comé­die musi­cale et par­ties de volley-​ball. L’apothéose a lieu à la fin du séjour, lors de la date d’anniversaire de Vanguard. Réparti·es en sec­tion selon les régions d’où les membres viennent, chaque groupe monte sur scène pour pro­po­ser une per­for­mance à la gloire de leur idole. À noter que pour saluer les membres, Keith Raniere les embrasse sur la bouche. 

Keith Raniere ©
KeithRaniere.com, le 15 août 2018. Site sup­pri­mé depuis. Source : WaybackMachine. 

Quand Raniere parle, ses étudiant·es boivent ses paroles. Des dis­cours bien rodés qui en creux défendent la poly­ga­mie pour les hommes, la mono­ga­mie pour les femmes et le viol. Un lavage de cer­veau cal­cu­lé. « Raniere était un excellent mani­pu­la­teur. Il était capable d’amener les gens à s’ouvrir et à lui confier leurs espoirs et leurs peurs. Il pou­vait alors s’en prendre à eux en sachant où faire pres­sion », décrypte pour Causette le doc­teur Janja Lalich, socio­logue spé­cia­li­sée en dérive sec­taire aux États-​Unis. Pourtant, rien de très nova­teur dans cette secte qui mixe empo­werment 2.0 et dis­cours New Age, comme elle le pré­cise : « Il a pio­ché dans beau­coup d’absurdités New Age et a pris des idées et des termes d’autres sectes. Tout cela mis à sa sauce. En revanche, ce qui lui était propre, c’était d’apporter à ces dis­cours déjà exis­tants ses propres dési­rs sadiques et ses vues extrê­me­ment miso­gynes. »

L’actrice Allison Mack, de Smallville, membre de NXIVM, recru­tait des esclaves sexuelles pour Raniere.
Elle risque vingt ans de réclu­sion. © YouTube

Pour se créer une vitrine impec­cable, Raniere et Salzman recrutent des célé­bri­tés et des grosses for­tunes. Au fur et à mesure des années, des vedettes de séries B rejoignent les rangs de NXIVM, de la Canadienne Sarah Edmondson, de Stargate SG‑1, à Catherine Oxenberg, de Dynastie. Leur figure de proue ? Allison Mack, de Smallville. C’est elle qui, à par­tir de 2015, recrute des esclaves sexuelles pour le gou­rou. Raniere lui a deman­dé de créer une secte dans la secte : DOS pour Dominus Obsequium Sororium. Une pseudo-​société de soro­ri­té cen­sée rendre les femmes plus fortes, dénon­cée en 2017, dans le New York Times par Sarah Edmondson. Les par­ti­ci­pantes se sou­mettent à un « Maître » et four­nissent à Mack des docu­ments per­son­nels com­pro­met­tants, de quoi les faire chan­ter si elles parlent. Pour prou­ver leur dévoue­ment à Raniere, les « esclaves » se font mar­quer au fer les ini­tiales du gou­rou sur l’aine, entra­vées par la vedette de Smallville pen­dant la cau­té­ri­sa­tion. Sadisme de l’extrême. 

Recherché par la police après la publi­ca­tion, Raniere part en cavale. Les témoi­gnages de femmes vio­lées, agres­sées ou har­ce­lées pleuvent. Au prin­temps 2018, il est arrê­té au Mexique dans une vil­la luxueuse, en pleine orgie sexuelle. Le 19 juin 2019, après six semaines de pro­cès, il est jugé cou­pable de sept chefs d’inculpation, dont de tra­fic sexuel et de cor­rup­tion de mineures. Il est condam­né le 27 octobre à 120 ans de pri­son. Depuis le 3 juillet 2020, des adeptes ont été aper­çues en train de dan­ser devant le centre de déten­tion de Brooklyn où il est incar­cé­ré. Elles veulent lui prou­ver leur dévoue­ment. Toujours. 

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