Le parti d’extrême droite Fratelli d’Italia (FdI), porté par sa présidente Giorgia Meloni, est devenu dimanche la première formation politique d’Italie. Une victoire qui risque de modifier ostensiblement les relations de l’Italie avec l’Union européenne. Députée européenne et membre du Parti vert européen, Gwendoline Delbos-Corfield livre pour Causette ses inquiétudes quant à l'avènement des ultra-conservateur·ices au sein des institutions.
![Gwendoline Delbos-Corfield, députée européenne : «Avec l'arrivée de Giorgia Meloni, on est comme des grenouilles dans l'eau chaude» 1 photo gdc](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/09/photo-gdc.jpg)
au Parlement européen © PE
Causette : L'arrivée de Giorgia Meloni en tête des élections législatives italiennes fragilise-t-elle les valeurs européennes ?
Gwendoline Delbos-Corfield : Oui. Le Conseil de l'Union européenne (UE) est un lieu où chaque mois, les 27 chefs d’États sont censés prendre des décisions en tant que pays démocratiques qui appliquent les règles européennes. Aujourd’hui, on a au moins 1 membre sur les 27 qui n’en est pas tout à fait un, la Hongrie. Et l'Italie va venir appuyer les voix de la Pologne et de la Hongrie, au niveau du Conseil, en renforçant une vision qui n’est pas la vision européenne. Pourtant, ce qui est malheureux, c'est que les textes européens sont très clairs ! Ils parlent de diversité des peuples, de droits des femmes et des homosexuels, et non de discrimination sur les races, le genre ou l'orientation sexuelle. L'extrême droite de Giorgia Meloni parle quant à elle de culture chrétienne et blanche. Ça mérite au moins un peu d’indignation… le fait qu'il s'agit de l’Italie, membre fondateur de l'UE, peut être une alerte pour l'idéal de la construction européenne.
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Avec l'arrivée en tête de l'extrême droite en Suède le 14 septembre, et la victoire de Giorgia Meloni, assise t‑on à un effet de domino au sein de l'Union européenne ?
G. D.-C. : Il y a certainement un effet de domino, c’est sûr. Le modèle politique de Viktor Orbán est copié par l'ensemble des partis d'extrême droite européens. C'est un modèle insidieux car il ne s'agit pas d'un coup d'État militaire, ni de violences flagrantes. La dégradation autoritaire se fait peu à peu, elle est progressive. La manière dont se comporte Giorgia Meloni, c’est la manière dont pourrait se comporter Marine Le Pen chez nous. On met l'ensemble de ses proches au pouvoir, avec pour objectif d'avoir une obéissance de tout le monde. Donc, oui, cet effet de contagion existe. De nombreux idéologues d’extrême droite étudient d'ailleurs le système hongrois pour ensuite le proposer à leurs partis dans leurs pays.
« Jusqu'à la victoire de Meloni en Italie, on regardait l'extrême droite européenne de loin parce qu'il y avait cette idée que la Hongrie était un pays de l’Est, potentiellement en retard sur certaines questions de société. »
La construction européenne peut-elle être mise à mal par le « retournement » de l'Italie, poids lourd de l’Union ?
G. D.-C. : Cela peut avoir un effet paradoxal opposé. Les européens vont réaliser qu'il s'agit d'un des 6 pays fondateurs. Jusque là, il y avait cette idée que la Hongrie était un pays de l’Est, potentiellement en retard sur certaines questions de société. On évacuait alors le problème. Mais il y a une méconnaissance totale quand on pense au niveau d'implication dans nos lois.
L'hypothèse d'un tandem Budapest-Rome est-elle envisageable ? Si oui, est-ce qu'il pourrait impacter les traités européens ?
G. D.-C. : Viktor Orban a beaucoup prôné ces dernières années une Europe des « démocraties illibérales ». C’était un moment où il souhaitait déjà la victoire de Marine Le Pen, en 2017. D'autres pays comme la Slovaquie ou la Slovénie étaient mal partis. Il souhaitait voir une dizaine, ou une quinzaine d'états membres d'extrême droite. Heureusement, ce n'est jamais arrivé. Mais ce qui se passe est presque plus dangereux. On est comme les grenouilles dans l’eau chaude. Ils mettent en place dans leurs États une autre manière de vivre, des croyances différentes, des convictions différentes. Totalement à l’inverse des valeurs européennes mais en restant dans l’UE. Et ça se passe plutôt par effet de contagion. Cette contagion ramène tout le monde vers le bas et empêche d’avancer. Bien sûr, les gens peuvent toujours circuler au sein de l'espace commun européen, mais en réalité ils ne vivent plus tout à fait comme les autres européens et n’ont plus tout à fait les mêmes droits. Ça décrédibilise profondément le projet européen, évidemment. Mais ils ne sont pas encore dans un rapport de force qui leur permettrait de changer les traités.
« Les gouvernements nationalistes restent dans l'UE car pour eux, elle représente avant tout une manne financière. »
Pensez-vous qu'au sein du Parlement européen, on minimise l'avènement de l'extrême-droite ?
G. D.-C. : Oui, bien sûr. Le problème avec Giorgia Meloni, et l'extrême-droite de manière générale, c’est qu'elle est banalisée. J’ai été surprise par cette tendance chez mes collègues au Parlement, qui revêt différents aspects. Le premier, c'est que les partis politiques eux-mêmes se banalisent. Lors de sa campagne électorale, Giorgia Meloni a adouci en six mois certains de ses propos pour s'assurer la victoire.
Le deuxième est la tendance chez les conservateurs à dire qu'ils ne sont plus anti-européens. Alors que dans les faits c'est plus compliqué que cela. À titre d'exemple, le Rassemblement National ne parle plus du Frexit, le Fidesz [Fidesz-Union civique hongroise est le parti politique hongrois de droite, conservateur et populiste de Viktor Orbán, ndlr] ne menace pas de quitter l'UE, la Pologne non plus…
Pour eux, l’Union européenne, représente avant tout une manne financière. L’Italie par exemple a besoin de ces fonds européens pour son plan de relance post-Covid [près de 200 milliards d’euros, qui doivent être versés par tranches successives, souligne le journal des politiques publiques européennes Contexte]. En outre, la Hongrie et la Pologne sont complètement bénéficiaires et non pas contributeurs. On comprend donc bien pourquoi ces pays ne veulent pas quitter l'UE. Mais ce qui est choquant, c'est qu'il existe une acceptation du conservatisme au sein des institutions européennes à partir du moment où un pays dit qu'il ne veut pas sortir. Alors que dans les faits, on assiste à une dégradation intérieure de tout ce qui n'est pas la question financière/économique.
En tant que députée européenne écologiste, vous menez une bataille sur l’état de la démocratie en Hongrie. Comment cela se traduit-il dans votre quotidien d’élue ?
G. D.-C. : L'organe du Parlement européen est organisé en 22 comités. Et avec ces comités, il y a des différences notables de composition des multiples forces législatives. Le plus gros comité au parlement c’est le comité « LIBE », qui englobe 70% du législatif. Les questions traitées par ce comité, dont je fais partie, sont celles des libertés, la migration, le droit ou encore la justice. Si historiquement, l'Union européenne (UE) s'est concentrée sur les problématiques budgétaires et monétaires, depuis quelques années, on assiste à l'avénement d'une bataille sur des projets de droits et libertés fondamentales. La question politique prend de plus en plus de place, depuis qu'on a compris que le processus n'est pas linéaire et qu'il existe une réversibilité de certains états. Depuis 2010, on assiste au Parlement à une prise de conscience des attaques contre l'État de droit en Hongrie faites par ce gouvernement ultra-conservateur. Mon rôle, c'est d'être standing reporter, soit la personne en charge de faire des rapports sur l'état de la démocratie en Hongrie.
« Dans l’UE, à part en Finlande et en Espagne, la gauche n’a pas été à la hauteur ces dernières décennies »
Quels sont les outils disponibles dans l'hypothèse où un état membre ne respecte plus les valeurs européennes ? Sont-ils suffisants ?
G. D.-C. : Pour faire peur à un État membre déviant, les outils sont multiples. Ils doivent tous être utilisés et ils sont complémentaires.
L'outil peu connu et dont je suis en charge, c’est la procédure de l’article 7 [cet article du traité sur l’Union européenne (TUE) donne la possibilité à l’UE de sanctionner un État membre qui ne respecte pas ses valeurs fondatrices, ndlr]. La Hongrie et Pologne se sont retrouvées sous cette procédure. Et c’est au Conseil de l'UE, soit aux gouvernements des États membres, de faire des recommandations. La réelle sanction de l'article 7 est la suspension des droits de vote de l’État au Conseil de l’UE.
Par ailleurs, il existe des outils de la Commission de l'UE. Ce sont les procédures d’infractions qui sont très répandues. Et quand la Hongrie ou la Pologne attaquent l’indépendance de la justice (qui est juridiquement obligatoire dans l’UE) on assiste à une procédure d’infraction. Le pays doit payer une amende. C'est le cas de la Pologne, qui a un niveau d’amendes non payées immense.
Enfin, il existe des outils neufs que nous sommes en train de mettre en place mais qui restent trop timides. Ce sont des sanctions financières avec le fameux mécanisme de la conditionnalité du budget européen ou les conditions du plan de relance. Si un pays ne convient pas à l'état de droit [selon l'article 2 du TUE, l'état de droit fait partie des valeurs fondamentales de l'UE, ndlr], il n'aura pas accès aux plans de relances. Toutefois, ça reste des marges faibles financièrement, donc c'est difficile à mettre en place. Ce sont des outils symboliques, pas encore au point. Et puis, il n’y a aucun outil utile si il n’y a pas une réelle volonté politique derrière.
Craignez-vous que le scénario italien se répète en France ?
G. D.-C. : Je suis évidemment inquiète pour la France. Ce qui est paradoxal, c'est que nos sociétés sont de moins en moins conservatrices et extrêmes. Les sondages le montrent. Les réponses individuelles à l’antisémitisme et au racisme en France soulignent qu'il y a de moins en moins de personnes racistes et antisémites. La société française des années 60 était beaucoup plus raciste et sexiste. Et c’est pareil en Italie et en Pologne.
Les problèmes majeurs sont la dépolitisation et l’abstention. Les chiffres sont très clairs. Or, j’ai envie de dire que partout dans l’UE, à part en Finlande et en Espagne, la gauche n’a pas été à la hauteur ces dernières décennies. Les prochaines élections en Espagne vont être intéressantes puisque depuis deux ans, le gouvernement apporte des réponses à la hauteur sur des questions graves (crise du logement, féminicides, précarité de la jeunesse). En revanche, les chiffres montrent qu'en France, les gens sont réfractaires aux politiques ou aux médias. Et puis, en France nous manquons de voix pour nous indigner.
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