Gwendoline Delbos-​Corfield, dépu­tée euro­péenne : « Avec l'arrivée de Giorgia Meloni, on est comme des gre­nouilles dans l'eau chaude »

Le par­ti d’extrême droite Fratelli d’Italia (FdI), por­té par sa pré­si­dente Giorgia Meloni, est deve­nu dimanche la pre­mière for­ma­tion poli­tique d’Italie. Une vic­toire qui risque de modi­fier osten­si­ble­ment les rela­tions de l’Italie avec l’Union euro­péenne. Députée euro­péenne et membre du Parti vert euro­péen, Gwendoline Delbos-​Corfield livre pour Causette ses inquié­tudes quant à l'avènement des ultra-conservateur·ices au sein des institutions.

photo gdc
Photo de Gwendoline Delbos-​Corfield,
au Parlement euro­péen © PE

Causette : L'arrivée de Giorgia Meloni en tête des élec­tions légis­la­tives ita­liennes fragilise-​t-​elle les valeurs euro­péennes ?
Gwendoline Delbos-​Corfield : Oui. Le Conseil de l'Union euro­péenne (UE) est un lieu où chaque mois, les 27 chefs d’États sont cen­sés prendre des déci­sions en tant que pays démo­cra­tiques qui appliquent les règles euro­péennes. Aujourd’hui, on a au moins 1 membre sur les 27 qui n’en est pas tout à fait un, la Hongrie. Et l'Italie va venir appuyer les voix de la Pologne et de la Hongrie, au niveau du Conseil, en ren­for­çant une vision qui n’est pas la vision euro­péenne. Pourtant, ce qui est mal­heu­reux, c'est que les textes euro­péens sont très clairs ! Ils parlent de diver­si­té des peuples, de droits des femmes et des homo­sexuels, et non de dis­cri­mi­na­tion sur les races, le genre ou l'orientation sexuelle. L'extrême droite de Giorgia Meloni parle quant à elle de culture chré­tienne et blanche. Ça mérite au moins un peu d’indignation… le fait qu'il s'agit de l’Italie, membre fon­da­teur de l'UE, peut être une alerte pour l'idéal de la construc­tion européenne. 

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Avec l'arrivée en tête de l'extrême droite en Suède le 14 sep­tembre, et la vic­toire de Giorgia Meloni, assise t‑on à un effet de domi­no au sein de l'Union euro­péenne ?
G. D.-C. : Il y a cer­tai­ne­ment un effet de domi­no, c’est sûr. Le modèle poli­tique de Viktor Orbán est copié par l'ensemble des par­tis d'extrême droite euro­péens. C'est un modèle insi­dieux car il ne s'agit pas d'un coup d'État mili­taire, ni de vio­lences fla­grantes. La dégra­da­tion auto­ri­taire se fait peu à peu, elle est pro­gres­sive. La manière dont se com­porte Giorgia Meloni, c’est la manière dont pour­rait se com­por­ter Marine Le Pen chez nous. On met l'ensemble de ses proches au pou­voir, avec pour objec­tif d'avoir une obéis­sance de tout le monde. Donc, oui, cet effet de conta­gion existe. De nom­breux idéo­logues d’extrême droite étu­dient d'ailleurs le sys­tème hon­grois pour ensuite le pro­po­ser à leurs par­tis dans leurs pays.

« Jusqu'à la vic­toire de Meloni en Italie, on regar­dait l'extrême droite euro­péenne de loin parce qu'il y avait cette idée que la Hongrie était un pays de l’Est, poten­tiel­le­ment en retard sur cer­taines ques­tions de société. »

La construc­tion euro­péenne peut-​elle être mise à mal par le « retour­ne­ment » de l'Italie, poids lourd de l’Union ?
G. D.-C. : Cela peut avoir un effet para­doxal oppo­sé. Les euro­péens vont réa­li­ser qu'il s'agit d'un des 6 pays fon­da­teurs. Jusque là, il y avait cette idée que la Hongrie était un pays de l’Est, poten­tiel­le­ment en retard sur cer­taines ques­tions de socié­té. On éva­cuait alors le pro­blème. Mais il y a une mécon­nais­sance totale quand on pense au niveau d'implication dans nos lois. 

L'hypothèse d'un tan­dem Budapest-​Rome est-​elle envi­sa­geable ? Si oui, est-​ce qu'il pour­rait impac­ter les trai­tés euro­péens ?
G. D.-C. : Viktor Orban a beau­coup prô­né ces der­nières années une Europe des « démo­cra­ties illi­bé­rales ». C’était un moment où il sou­hai­tait déjà la vic­toire de Marine Le Pen, en 2017. D'autres pays comme la Slovaquie ou la Slovénie étaient mal par­tis. Il sou­hai­tait voir une dizaine, ou une quin­zaine d'états membres d'extrême droite. Heureusement, ce n'est jamais arri­vé. Mais ce qui se passe est presque plus dan­ge­reux. On est comme les gre­nouilles dans l’eau chaude. Ils mettent en place dans leurs États une autre manière de vivre, des croyances dif­fé­rentes, des convic­tions dif­fé­rentes. Totalement à l’inverse des valeurs euro­péennes mais en res­tant dans l’UE. Et ça se passe plu­tôt par effet de conta­gion. Cette conta­gion ramène tout le monde vers le bas et empêche d’avancer. Bien sûr, les gens peuvent tou­jours cir­cu­ler au sein de l'espace com­mun euro­péen, mais en réa­li­té ils ne vivent plus tout à fait comme les autres euro­péens et n’ont plus tout à fait les mêmes droits. Ça décré­di­bi­lise pro­fon­dé­ment le pro­jet euro­péen, évi­dem­ment. Mais ils ne sont pas encore dans un rap­port de force qui leur per­met­trait de chan­ger les traités. 

« Les gou­ver­ne­ments natio­na­listes res­tent dans l'UE car pour eux, elle repré­sente avant tout une manne financière. »

Pensez-​vous qu'au sein du Parlement euro­péen, on mini­mise l'avènement de l'extrême-droite ?
G. D.-C. : Oui, bien sûr. Le pro­blème avec Giorgia Meloni, et l'extrême-droite de manière géné­rale, c’est qu'elle est bana­li­sée. J’ai été sur­prise par cette ten­dance chez mes col­lègues au Parlement, qui revêt dif­fé­rents aspects. Le pre­mier, c'est que les par­tis poli­tiques eux-​mêmes se bana­lisent. Lors de sa cam­pagne élec­to­rale, Giorgia Meloni a adou­ci en six mois cer­tains de ses pro­pos pour s'assurer la vic­toire.
Le deuxième est la ten­dance chez les conser­va­teurs à dire qu'ils ne sont plus anti-​européens. Alors que dans les faits c'est plus com­pli­qué que cela. À titre d'exemple, le Rassemblement National ne parle plus du Frexit, le Fidesz [Fidesz-​Union civique hon­groise est le par­ti poli­tique hon­grois de droite, conser­va­teur et popu­liste de Viktor Orbán, ndlr] ne menace pas de quit­ter l'UE, la Pologne non plus…
Pour eux, l’Union euro­péenne, repré­sente avant tout une manne finan­cière. L’Italie par exemple a besoin de ces fonds euro­péens pour son plan de relance post-​Covid [près de 200 mil­liards d’euros, qui doivent être ver­sés par tranches suc­ces­sives, sou­ligne le jour­nal des poli­tiques publiques euro­péennes Contexte]. En outre, la Hongrie et la Pologne sont com­plè­te­ment béné­fi­ciaires et non pas contri­bu­teurs. On com­prend donc bien pour­quoi ces pays ne veulent pas quit­ter l'UE. Mais ce qui est cho­quant, c'est qu'il existe une accep­ta­tion du conser­va­tisme au sein des ins­ti­tu­tions euro­péennes à par­tir du moment où un pays dit qu'il ne veut pas sor­tir. Alors que dans les faits, on assiste à une dégra­da­tion inté­rieure de tout ce qui n'est pas la ques­tion financière/​économique.

En tant que dépu­tée euro­péenne éco­lo­giste, vous menez une bataille sur l’état de la démo­cra­tie en Hongrie. Comment cela se traduit-​il dans votre quo­ti­dien d’élue ?
G. D.-C. : L'organe du Parlement euro­péen est orga­ni­sé en 22 comi­tés. Et avec ces comi­tés, il y a des dif­fé­rences notables de com­po­si­tion des mul­tiples forces légis­la­tives. Le plus gros comi­té au par­le­ment c’est le comi­té « LIBE », qui englobe 70% du légis­la­tif. Les ques­tions trai­tées par ce comi­té, dont je fais par­tie, sont celles des liber­tés, la migra­tion, le droit ou encore la jus­tice. Si his­to­ri­que­ment, l'Union euro­péenne (UE) s'est concen­trée sur les pro­blé­ma­tiques bud­gé­taires et moné­taires, depuis quelques années, on assiste à l'avénement d'une bataille sur des pro­jets de droits et liber­tés fon­da­men­tales. La ques­tion poli­tique prend de plus en plus de place, depuis qu'on a com­pris que le pro­ces­sus n'est pas linéaire et qu'il existe une réver­si­bi­li­té de cer­tains états. Depuis 2010, on assiste au Parlement à une prise de conscience des attaques contre l'État de droit en Hongrie faites par ce gou­ver­ne­ment ultra-​conservateur. Mon rôle, c'est d'être stan­ding repor­ter, soit la per­sonne en charge de faire des rap­ports sur l'état de la démo­cra­tie en Hongrie.

« Dans l’UE, à part en Finlande et en Espagne, la gauche n’a pas été à la hau­teur ces der­nières décennies »

Quels sont les outils dis­po­nibles dans l'hypothèse où un état membre ne res­pecte plus les valeurs euro­péennes ? Sont-​ils suf­fi­sants ?
G. D.-C. : Pour faire peur à un État membre déviant, les outils sont mul­tiples. Ils doivent tous être uti­li­sés et ils sont com­plé­men­taires.
L'outil peu connu et dont je suis en charge, c’est la pro­cé­dure de l’article 7 [cet article du trai­té sur l’Union euro­péenne (TUE) donne la pos­si­bi­li­té à l’UE de sanc­tion­ner un État membre qui ne res­pecte pas ses valeurs fon­da­trices, ndlr]. La Hongrie et Pologne se sont retrou­vées sous cette pro­cé­dure. Et c’est au Conseil de l'UE, soit aux gou­ver­ne­ments des États membres, de faire des recom­man­da­tions. La réelle sanc­tion de l'article 7 est la sus­pen­sion des droits de vote de l’État au Conseil de l’UE.
Par ailleurs, il existe des outils de la Commission de l'UE. Ce sont les pro­cé­dures d’infractions qui sont très répan­dues. Et quand la Hongrie ou la Pologne attaquent l’indépendance de la jus­tice (qui est juri­di­que­ment obli­ga­toire dans l’UE) on assiste à une pro­cé­dure d’infraction. Le pays doit payer une amende. C'est le cas de la Pologne, qui a un niveau d’amendes non payées immense.
Enfin, il existe des outils neufs que nous sommes en train de mettre en place mais qui res­tent trop timides. Ce sont des sanc­tions finan­cières avec le fameux méca­nisme de la condi­tion­na­li­té du bud­get euro­péen ou les condi­tions du plan de relance. Si un pays ne convient pas à l'état de droit [selon l'article 2 du TUE, l'état de droit fait par­tie des valeurs fon­da­men­tales de l'UE, ndlr], il n'aura pas accès aux plans de relances. Toutefois, ça reste des marges faibles finan­ciè­re­ment, donc c'est dif­fi­cile à mettre en place. Ce sont des outils sym­bo­liques, pas encore au point. Et puis, il n’y a aucun outil utile si il n’y a pas une réelle volon­té poli­tique derrière. 

Craignez-​vous que le scé­na­rio ita­lien se répète en France ?
G. D.-C. : Je suis évi­dem­ment inquiète pour la France. Ce qui est para­doxal, c'est que nos socié­tés sont de moins en moins conser­va­trices et extrêmes. Les son­dages le montrent. Les réponses indi­vi­duelles à l’antisémitisme et au racisme en France sou­lignent qu'il y a de moins en moins de per­sonnes racistes et anti­sé­mites. La socié­té fran­çaise des années 60 était beau­coup plus raciste et sexiste. Et c’est pareil en Italie et en Pologne.
Les pro­blèmes majeurs sont la dépo­li­ti­sa­tion et l’abstention. Les chiffres sont très clairs. Or, j’ai envie de dire que par­tout dans l’UE, à part en Finlande et en Espagne, la gauche n’a pas été à la hau­teur ces der­nières décen­nies. Les pro­chaines élec­tions en Espagne vont être inté­res­santes puisque depuis deux ans, le gou­ver­ne­ment apporte des réponses à la hau­teur sur des ques­tions graves (crise du loge­ment, fémi­ni­cides, pré­ca­ri­té de la jeu­nesse). En revanche, les chiffres montrent qu'en France, les gens sont réfrac­taires aux poli­tiques ou aux médias. Et puis, en France nous man­quons de voix pour nous indigner. 

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