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Rassemblement devant l'Université de Milan lors d'une manifestation à la suite du féminicide présumé de Giulia Cecchettin, 22 ans, à Milan, le 22 novembre 2023. Le présumé coupable est actuellement son ancien petit ami. © Piero CRUCIATTI / AFP

En Italie, le fémi­ni­cide de Giulia Cecchettin, étu­diante de 22 ans, secoue tout le pays

La mort de Giulia Cecchettin, vraisemblablement assassinée par son petit ami, suscite une vive émotion à travers toute l’Italie. Entre l’appel à la révolte d’une sœur endeuillée et les réactions d’un gouvernement italien à la ramasse, retour sur un féminicide qui secoue le pays.

Mardi, l’Italie observait une minute de silence en hommage à Giulia Cecchettin, victime du 102e féminicide de l’année, selon les informations du ministère de l’Intérieur italien. L’étudiante de 22 ans a été retrouvée samedi dernier au fond d’un ravin près du lac Barcis, à une centaine de kilomètres au nord de Venise. Son petit ami, Filippo Turetta, également âgé de 22 ans, a été arrêté le même jour en Allemagne. Il est le principal suspect de cette affaire qui ébranle actuellement toute l’Italie et amorce un mouvement de revendications.

Au sein des milieux féministes, l’heure n’est pourtant pas au deuil mesuré. La mort de Giulia Cecchettin a embrasé le débat sur les violences de genre et le patriarcat encore très présents dans le pays. La consigne, dictée par Elena Cecchettin, sœur de la victime, est de faire du bruit face à cette tragédie, celle de trop pour de nombreux·euses Italien·nes. Dans les écoles et dans la rue, la colère et l’indignation se font depuis retentissantes. Des vidéos dans des lycées à travers l’Italie montrent des élèves répondre à la minute de silence de l’État par un boucan assourdissant, symbole du ras-le-bol des (jeunes) femmes. “Nous sommes contre cette minute de silence, ce silence qui opprime les femmes”, déclare une étudiante anonyme dans une vidéo relayée sur les réseaux sociaux. “Nous sommes fatiguées d’avoir peur, de nous taire”, résume-t-elle.

Une minute de bruit

Sur X (ex-Twitter), la journaliste italienne Monia Venturini a également partagé cette vidéo d’un lycée romain filmé à l’heure de la minute de silence nationale dédiée à Giulia Cecchettin. Une minute de bruit pendant laquelle les couloirs résonnent d’un “toutes ensemble on fait peur” scandé en chœur. Le week-end dernier, de nombreuses veillées et manifestations ont eu lieu dans toute l’Italie, avec un rassemblement plus grand prévu le 25 novembre à Rome, à l’occasion de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes. Les médias transalpins font état d’une “mobilisation sans précédent”. Autant d’événements qui traduisent la vive émotion suscitée par la mort de la jeune femme de 22 ans, ainsi que la colère d’un pan de la population révoltée par la culture patriarcale italienne, savamment entretenue par le gouvernement conservateur à la tête du pays.

Ce qui est arrivé à Giulia Cecchettin

Giulia Cecchettin, qui était étudiante en ingénierie, est décrite comme une personne très sociable. Dans une enquête du Corriere della Sera, Filippo Turetta est au contraire dépeint comme un jeune homme réservé et casanier. Plusieurs témoignages le disent “obsessionnel”, jaloux et possessif. Turetta n’aurait jamais accepté que Giulia Cecchettin rompe avec lui et aurait exercé sur elle des pressions psychologiques tout au long de leur relation.

Le soir du 11 novembre dernier, tous deux disparaissent. Giulia Cecchettin a dîné avec Filippo Turetta dans un fast-food, selon les éléments relatés dans l’ordonnance de détention provisoire émise par la juge d’instruction Benedetta Vitolo. À 23 heures, un riverain raconte avoir vu la jeune femme se faire rouer de coups, avant d’être traînée de force à l’intérieur de la Punto noire de son ex-petit ami. Toujours selon l’ordonnance relayée par les médias italiens, les images de vidéosurveillance d’une zone industrielle dans la région de la Vénétie montrent ensuite une séquence d’une “violence et férocité sans précédent”, d’après la juge du parquet de Venise. Pendant vingt-deux minutes, Giulia Cecchettin tente de fuir, se débat, est violentée et projetée au sol par “quelqu’un de manifestement plus grand qu’elle”. Puis son corps, inerte, est enfoncé dans le coffre de la voiture. Tout porte à croire que l’assaillant est Filippo Turetta.

Les deux jeunes étudiant·es se volatilisent, jusqu’au 18 novembre, jour où le corps de Giulia Cecchettin est découvert au fond d’un ravin, à une centaine de kilomètres de Venise. Le rapport du médecin légiste, consulté par le Corriere della Sera, fait état de vingt-six coups de couteau qui lardent la tête et le cou de la jeune femme.  Il Sole 24 Ore, autre quotidien transalpin, relate quant à lui la reconstitution de la police, selon laquelle Filippo Turetta aurait abandonné le corps de son ex-petite amie près de la route pour le laisser dévaler le long de la falaise sur une cinquantaine de mètres, avant de terminer sa chute dans le ravin.

Le jour de la découverte de la dépouille de Giulia Cecchettin, Turetta, en fuite, est arrêté en Allemagne, sur une bande d’arrêt d’urgence, feux éteints, le long d’une autoroute qui relie Berlin à Munich. Le suspect n’a plus d’essence, il se rend sans résistance. Aux policiers qui l’ont capturé, il aurait déclaré : “J’ai tué ma petite amie”, selon les informations du Corriere della Sera.

Figure d'une révolte

Face à ce drame atroce, Elena Cecchettin, la sœur de Giulia, n’a pas appelé à l’apaisement, bien au contraire. Et on la comprend. “Brûlez tout”, a déclaré celle qui a appelé le pays à se soulever après ce nouveau féminicide. Dans une lettre ouverte publiée le 20 novembre dernier dans le quotidien italien Corriere del Veneto, la jeune femme incite la population à se révolter contre le patriarcat et la culture du viol.

Turetta est souvent décrit comme un monstre et pourtant, il n’en est pas un. Un monstre est une exception, quelqu’un d’extérieur à la société, une personne dont la société ne veut pas assumer la responsabilité. Et pourtant, la responsabilité est bien là. Les ‘monstres’ ne sont pas malades, ce sont des enfants sains du patriarcat, de la culture du viol”, déclare dans sa lettre Elena Cecchetin. Dès les premiers instants de sa prise de parole, la jeune femme adopte un discours dénonçant le rôle de la société italienne et de l’État dans la perpétuation des violences de genre et fait du meurtre de sa sœur le symbole d’une problématique systémique. “Ce féminicide est un homicide d’État, parce que l’État ne nous défend pas, ne nous protège pas. Le féminicide n’est pas un crime passionnel, c’est un crime de pouvoir. Ce qu’il faut, c’est une éducation sexuelle et affective ramifiée, il faut enseigner que l’amour n’est pas une possession. Il faut financer les centres antiviolence et donner la possibilité de demander de l’aide à ceux qui en ont besoin”, écrit-elle.

Photo des deux sœurs, Giulia et Elena Cecchettin, publiée sur Instagram par cette dernière.
Des réactions aberrantes

Cette lettre d’Elena Cecchettin et sa critique virulente de la culture patriarcale du pays et de l’État ont suscité de vives réactions, également de la part des conservateur·rices du gouvernement. Georgia Meloni, la Première ministre, a réagi samedi à la découverte du corps de Giulia Cecchettin, se disant emplie d’une “tristesse infinie” et d’une “grande colère”. Des propos qui n’ont pas manqué d’attiser le ressentiment de ceux et celles qui s’opposent au régime conservateur de celle qui se définit comme “femme mère de famille et chrétienne”. La présentatrice italienne Lilli Gruber lui a notamment reproché d’être “l’incarnation d’une culture patriarcale de droite”, ce à quoi l’intéressée a répondu via un post Instagram à côté de la plaque :

La nouvelle thèse bizarre soutenue par Lilli Gruber dans son émission hier soir est que je serais l’expression d’une culture patriarcale. Comme vous pouvez le voir clairement sur cette photo qui représente quatre générations de ‘culture patriarcale’ dans ma famille.”

La Première ministre s’est également empressée de rappeler qu’un projet de loi “visant à renforcer les mesures de protection des femmes” devait être examiné par le Sénat mercredi. Actuellement, le pays ne reconnaît même pas légalement le féminicide, le meurtre d’une femme en raison de son sexe, comme un crime distinct. Matteo Montevecchi, membre du parti de la Lega de Matteo Salvini, a pour sa part commenté les propos d’Elena Cecchettin, qualifiant ses paroles d’“inacceptables et à repousser fermement car”, selon lui, “ce n’est pas le soi-disant patriarcat qui est à l’origine de ces violences”. Il s’est également attaqué à la sœur de la défunte en soulignant l’esthétique de son compte Instagram, qui comporterait des symboles satanistes. La jeune femme arbore en réalité un style dit “gothique”. Le conseiller général de la région de Vénétie, Stefano Valdegmaberi, a tenu des propos similaires.

Sur TikTok, en marge de l’indignation provoquée par ce féminicide, le meurtre de Giulia Cecchettin a aussi vu émerger une nouvelle tendance aberrante. Sur la plateforme, des utilisatrices postent en effet depuis quelques jours des vidéos où elles déclarent leur flamme à leur petit ami en le remerciant de ne pas chercher à contrôler leur vie. “Bo il bare minimum”, le strict minimum, donc, comme le dit un commentaire incrédule.

Je t’aime parce que je peux m’habiller comme je veux, je peux aller à la salle [de sport] sans avoir peur que tu me dises ‘tu me dégoûtes t’es une pute’, je peux sortir avec mes copines sans me sentir coupable, je peux manger et boire ce que je veux, je peux sortir sans devoir être constamment sur mon téléphone, je peux rentrer à la maison quand je veux, sereinement, je peux aller où je veux, je peux poster les photos que je veux sans avoir peur d’être moquée ou menacée.”

Une mention spéciale pour l’avocat de Filippo Turetta et son intervention dans le quotidien Leggo, dans lequel il a déclaré à propos de son client et de l’affaire : “Je crois à une dispute qui a mal tourné. Il l’aimait, il lui faisait des biscuits.”

Ces réactions sont insupportables pour celles et ceux qui voient en ce énième féminicide l’expression d’un mal profond qui gangrène l’Italie. Elles devraient encore venir nourrir la révolte qui gronde depuis la mort de Giulia Cecchettin.

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