Le droit à la PMA pour les personnes trans a été officiellement reconnu chez nos voisins en novembre. Il s’était progressivement installé région par région jusqu’à sa reconnaissance au niveau national, à la suite d’une intense mobilisation des activistes.
« Ce n’est pas le fruit du hasard. Nous avons obtenu ce geste à force de pression sociale et politique », insiste Mar Cambrollé, présidente de la Fédération plateforme trans (FPT), en Espagne. Le 5 novembre dernier, le droit à la PMA pour les personnes trans a été officiellement reconnu pour la première fois. Désormais, tout homme trans ayant conservé un appareil reproducteur féminin peut accéder à la PMA, à la manière de l’histoire du film français A good man de Marie-Castille Mention-Schaar, sorti en salles en novembre. Une formalité chez nos voisins espagnols, où la véritable ambition du gouvernement de gauche est l’adoption d’une « loi trans » en 2022, permettant un changement de genre officiel sur simple « demande expresse ».
Ce qui apparaît depuis la France comme un événement est arrivé en Espagne sous la forme d’un simple ordre ministériel, restaurant le droit à la prise en charge par le service public des PMA pour les femmes seules et les lesbiennes. Un droit suspendu par la droite en 2014, qui obligeait depuis ces femmes à payer leur PMA de leur poche. L’ordre a donc également étendu cette possibilité aux « personnes trans en capacité de porter un enfant ». Jusque-là, l’Espagne ne leur interdisait pas le recours à ce traitement, mais il existait un vide juridique au niveau national.
L'Andalousie, pionnière en la matière
Au niveau local, un homme trans pouvait déjà avoir recours à cette méthode dans la plupart des communautés autonomes (CA), équivalents de régions avec plus de pouvoirs. En 2014, l’Andalousie avait ouvert la voie, adoptant une législation qui offrait cette option. À la tête de l’Association de transsexuels d’Andalousie, Mar Cambrollé avait alors mené un gros travail de lobbying pour faire introduire ce texte devant le Parlement andalou. Et, dès son adoption, avait œuvré à l’extension nationale de ce droit. « Quand il a été approuvé, j’ai contacté tous les collectifs trans du pays et nous avons constitué une fédération pour promouvoir une loi au niveau national », se souvient celle qui dirige désormais la FPT. Peu à peu, douze autres CA sur dix-sept ont adopté une « loi trans ». « Les droits ne sont jamais offerts par ceux qui exercent le pouvoir. Cela a été possible car nous avons une communauté trans bien organisée ici. Trans, pas LGBT, car nous avons pris conscience des réalités spécifiques que nous vivons. » Dans l’éventail des représentations qui ont participé à l’acceptation de ce nouveau droit, le parcours de Rubén Castro a pu jouer. Le jeune homme trans a attiré l'attention médiatique ces derniers mois en relatant toutes les étapes de sa grossesse sur Instagram, de sa PMA à la naissance de son enfant. Un documentaire racontant son expérience de façon intime doit paraître en 2022.
« La réalité, c’est qu’il y a des gens qui sont légalement des hommes et peuvent porter un enfant. Concéder la PMA aux femmes seules et aux lesbiennes sans inclure les personnes trans serait contraire à la Constitution et son principe de non-discrimination », estime Carla Antonelli, députée socialiste au parlement de Madrid entre 2011 et juin dernier. Seule personne trans à avoir occupé un poste parlementaire en Espagne, elle a été de toutes les batailles depuis la fin de la dictature, en 1975. Dès 1977, elle appelle publiquement à voter pour ceux qui défendront le mieux les personnes trans aux premières élections libres, alors que la loi envoyait encore personnes trans et homosexuels en prison. Trois ans plus tard, elle est protagoniste du premier documentaire sur la « transsexualité », diffusé à la télévision publique. Au début des années 2000, elle participe à la rédaction du programme électoral du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), qui propose le mariage entre personnes de même sexe, adopté en 2005. L’année suivante, elle menace d’entamer une grève de la faim si le gouvernement ne s’engage pas sur une « loi pour transsexuels »… adoptée en 2007. « La reconnaissance d’un droit comme la PMA ne se limite pas à la PMA, appuie-t-elle. C’est aussi un pas vers la normalisation de cette réalité. » Pour Marta Evelia Aparicio, professeure spécialiste des identités trans à l’université Complutense de Madrid, “ les choses que l’on a peu vues nous semblent étranges. Mais il y a de plus en plus d’hommes trans qui portent un enfant et la société finira par l’accepter. »
La PMA est passée inaperçue en plein débat sur l’autodétermination de genre
Ce droit n’arrive pas sans critique. « On aurait pu dire : “Toute personne a le droit à la PMA.” Fin. L’expression finalement adoptée – “en capacité de porter un enfant” – sépare le fait d’être femme d’une capacité que, par nature, nous sommes les seules à avoir », regrette Tasia Aránguez, professeur de philosophie du droit à l’université de Grenade et membre de l’Alliance contre l’effacement de la femme. Son mouvement représente un courant du féminisme qui se dit « critique du genre » et s’est opposé à l’évolution législative en marche. « Le gouvernement compte introduire la doctrine queer dans tous les textes des lois. Cette théorie prétend que ton sexe psychologique est plus réel que ton sexe biologique », s’émeut Tasia Aránguez.
Dans son combat contre les termes du texte adopté, l’Alliance contre l’effacement des femmes s’est rapprochée de la militante trans mexicaine Melissa del Rey, qui partage son point de vue. « Personne n’a jamais changé de sexe, dit-elle à Causette. La chirurgie de réassignation permet des changements esthétiques qui te feront ressembler à l’autre sexe. Mais un homme trans reste une femelle humaine adulte. C’est pour cela qu’il peut être enceinte. Et nous, les femmes trans, avons des organes sexuels qui ne nous le permettent pas. » Les propos de Melissa del Rey soulèvent un autre problème : en ouvrant la PMA aux hommes trans, l’Espagne créerait une nouvelle inégalité au sein même du groupe des personnes trans.
Malgré ces réticences et celles, plus attendues, de la droite et de l'extrême droite, « la PMA pour les personnes trans n’a pas été un vrai débat ici », constate Marta Evelia Aparicio. La professeure explique que cette nouveauté « est passée inaperçue au milieu de l’énorme polémique sur l’autodétermination de genre dans la future “loi trans”. » Un violent affrontement avait éclaté sur la question au sein du gouvernement espagnol, début 2021. Certains membres du PSOE avaient tenté de bloquer un texte qui proposait la possibilité de changer de sexe sur ses documents d’identité moyennant une simple demande expresse. Le droit à la PMA comptait aussi parmi les propositions du texte. Les associations de personnes trans étaient montées au créneau et le gouvernement a fini par adopter une version similaire de l’avant projet de « loi trans » le 29 juin dernier. Pour Mar Cambrollé, « la PMA est un geste du PSOE, pour nous montrer qu’il a changé d’attitude, en attendant la loi trans. »