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Hatice et sa petite fille Kumsal née après les tremblements de terre à Diyarbakır en Turquie. © UNFPA Türkiye/Eren Korkmaz

Tremblement de terre en Turquie : « Sans accès aux ser­vices d’accouchement et soins obs­té­triques d’urgence, les femmes enceintes risquent des com­pli­ca­tions poten­tiel­le­ment mortelles »

Plus d’un mois après le double séisme qui a fait plus de 50.000 mort·es en Turquie et en Syrie, l’heure est à la prise en charge des rescapé·es, notamment des centaines de milliers de femmes enceintes qui ne peuvent plus accéder aux services de santé dans les zones sinistrées. Anna Jefferys, du Fonds des Nations unies pour la population en charge des questions de santé sexuelle et reproductive (UNFPA), explique à Causette la situation, sur place.

« L’une des plus grandes catastrophes naturelles de notre temps », déclarait Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies trois jours après le tremblement de terre meurtrier. Le double séisme qui a frappé le sud-est de la Turquie et le nord-ouest de la Syrie, le 6 février dernier, a fait plus de 50.000 mort·es, des milliers de rescapé·es et autant de déplacé·es qui tentent depuis de surmonter le drame avec la crainte de nouvelles secousses. Parmi eux·elles, des centaines de milliers de femmes enceintes sont en première ligne. Anna Jefferys, du Fonds des Nations unies pour la population en charge des questions de santé sexuelle et reproductive (UNFPA), explique à Causette la situation, sur place, de ces femmes qui accoucheront prochainement dans des conditions extrêmement difficiles.  

Causette : Combien de femmes enceintes sont touchées par les tremblements de terre en Turquie et en Syrie ?
Anna Jefferys : Parmi les survivants des tremblements de terre qui ont dévasté la Turquie et la Syrie, on compte environ 356.000 femmes enceintes qui ont un besoin urgent d’accéder à des services de santé sexuelle et reproductive. Elles sont 226.000 en Turquie et 130.000 en Syrie. 
Nous estimons d’ailleurs qu’environ 38.800 femmes enceintes en Turquie et en Syrie accoucheront durant le mois de mars. Elles accoucheront dans des circonstances extrêmement difficiles dû au manque d’infrastructures pour les accueillir. Elles seront aussi plus exposées à des risques accrus de violences sexistes et sexuelles. 

Nombre d’infrastructures ont été détruites ? 
A.J. : Oui, les tremblements de terre ont gravement détruit les établissements de santé. En Turquie, une quinzaine d’hôpitaux, dont des maternités, et plusieurs établissements de santé générale ont été gravement endommagés. Les survivants rencontrent énormément de difficultés pour accéder aux services de santé et aux informations. Notamment les femmes enceintes et les mères allaitantes qui font parties des personnes ayant des besoins urgents. En Syrie, les séismes ont frappé une zone où le secteur de la santé était déjà à genoux après plus d’une décennie de conflit dans la région. Les tremblements de terre ont donc porté un coup supplémentaire aux établissements de santé, entraînant un manque de services essentiels de soins obstétricaux et néonatals vitaux. On sait qu’au moins cinquante-cinq établissements de santé du nord-ouest de la Syrie auraient été partiellement ou totalement endommagés. Cela survient alors que les communautés du nord-ouest de la Syrie sont déjà aux prises avec une épidémie de choléra en cours depuis des semaines. Au 24 février dernier, on dénombrait plus de 50.000 cas suspects de choléra et vingt-et-un décès associé ont déjà été signalés dans la région. 

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Infrastructure médicale dévastée suite aux tremblements de terre à Kahramanmaraş en Turquie. © UNFPA Türkiye/Eren Korkmaz

Selon vous, quelle est l’urgence ? 
A.J.: Nous sommes particulièrement préoccupés par les conséquences que ces destructions auront sur les femmes et les filles dans les deux pays. Pendant les conflits, les catastrophes naturelles et les urgences de santé publique, les besoins en matière de santé sexuelle et reproductive sont souvent négligés, avec des conséquences dramatiques. Sans accès aux services d’accouchement et soins obstétriques d’urgence, ces femmes enceintes risquent des complications potentiellement mortelles. La situation extrêmement anxiogène peut exacerber aussi les naissances prématurées et les fausses couches avec le risque de complications qui vont avec. Et pour celles qui ont perdu leur maison et qui vont accoucher dans les prochains mois, elles se réfugient dans des camps de fortune où elles vivent désormais exposées à des températures glaciales. Elles ont du mal à accéder à de la nourriture ou à de l’eau potable, mettant leur santé en danger et celle de leur bébé. 
Dans les camps de réfugiés, la malnutrition est préoccupante. En Syrie, sur 53.617 enfants dépistés, 1 927 souffraient de malnutrition aiguë modérée ou sévère. Nous ne disposons pas encore de données sur la mortalité infantile liée aux tremblements de terre.
Les femmes qui ne sont pas enceintes sont aussi concernées par l'urgence. Sans accès à des services de planifications familiales, elles sont plus exposées à des grossesses non désirées dans des conditions catastrophiques. 
Il faut aussi noter que de nombreux hébergements d‘urgences pour les femmes victimes de violences ont aussi été détruits. Sans ces structures, nous craignons que les femmes et les filles soient alors plus vulnérables à la violence. 

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Sara et son nouveau-né après les tremblements de terre à Şanlıurfa en Turquie. © UNFPA Türkiye/Gözde Kumru Uçak

Plus généralement, les catastrophes naturelles rendent-elles les femmes et les filles plus vulnérables aux violences sexistes et sexuelles ? 
A.J. :
En temps de crise, les femmes et les filles sont toujours confrontées à un risque accru de violences sexistes et sexuelles. Être séparé de sa famille et de sa communauté, chercher de la nourriture ou du bois pour se chauffer sont, par exemple, quelques-uns des facteurs qui augmentent le risque d’exploitation et d’abus. La perturbation des services de protection, de santé et de justice rend la lutte contre ces violences encore plus difficile. Les victimes ne pourront pas demander et obtenir du soutien et les auteurs peuvent donc agir en toute impunité. 

Quelle aide avez-vous mis en place pour venir en aide aux femmes et aux filles ? 
A.J. :
En Turquie, nos partenaires déploient des équipes mobiles de santé sexuelle et reproductive dans les villes touchées. En plus de fournir les premiers soins prénataux, postnataux et néonataux, ces équipes orientent les bénéficiaires vers des services maternels et obstétricaux d’urgence encore debout. Elles leur fournissent aussi un soutien psychologique essentiel. Nos partenaires fournissent également des kits de maternité d’urgence avec des articles essentiels pour les mères et leurs bébés. En tout, 7 578 ont déjà été distribués. 
Notre objectif est maintenant d’étendre cette aide dans les zones difficiles d’accès du nord-ouest de la Syrie où les besoins sont aigus et souvent davantage négligés. En Syrie, les tremblements de terre ont en effet ajouté de l’urgence à une urgence déjà existante : les communautés luttent pour survivre depuis des années dans ces régions marquées par une décennie de conflits. Depuis le 13 février, l’UNFPA a participé à venir en aide à plus de 20.000 femmes enceintes syriennes avec plus de 1 350 accouchements et 400 césariennes réalisés. On a distribué aussi près de 24.000 kits d’hygiène et des couvertures. On veille également à ce que les services essentiels de lutte contre les violences sexistes et sexuelles soient fournis dans les zones difficiles d’accès, notamment dans les camps de réfugiés. 
Jusqu’à présent, 4,5 millions de dollars ont été collectés pour apporter une aide d’urgence aux femmes et aux filles en Turquie. En Syrie, 7,94 millions de dollars ont été levés. Il est nécessaire d’accroitre ces aides financières dans les semaines à venir.

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L'Association syrienne de planification familiale (SFPA) fournit des services prénataux après le tremblement de terre à Alep en Syrie. © UNFPA Syria

 

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