Clementine Churchill, conseillère sans œillères

Le nom est illustre, le prénom un peu moins. Clementine Churchill, épouse du fameux Winston, aurait pu avoir une carrière politique à elle. À la place, elle a choisi d’épouser un homme politique. Et ainsi d’avoir accès à un pouvoir dont aucune femme de son époque n’aurait pu se prévaloir.

KKTJDC
Clementine Churchill en 1953 © ALAMY

En 1954, le Royaume-Uni est dirigé par un Winston Churchill fatigué et malade. Le « Vieux Lion » a 80 ans et a survécu à un AVC l’année précédente. Il entend mal, éprouve des difficultés à lire les documents officiels, les lettres, les rapports. Il assiste, impuissant, au déclin de l’Empire britannique, qu’il refuse d’admettre, tout comme le sien. La classe politique, y compris dans son propre parti, et le peuple britannique n’attendent qu’une chose : sa démission. Lui ne veut pas en entendre parler. Pour son entourage politique, il ne reste qu’une seule solution, demander à Clementine d’intervenir. Ils et elles en sont assuré·es, l’épouse de Winston Churchill est la seule à pouvoir le convaincre de démissionner. Il lui en fait la promesse à l’automne 1954 et finit par s’incliner définitivement en avril 1955.

Dans cet épisode, les biographes de Clementine Churchill (1885-1977) en sont persuadé·es, l’influence de celle-ci a été décisive. De même que tout au long de la carrière de Winston (1874-1965), figure politique majeure du XXe siècle. Confidente et conseillère de son mari, elle n’était pas seulement une femme de l’ombre : elle a eu un rôle politique essentiel, en particulier pendant la Seconde Guerre mondiale, bien plus que n’importe quelle autre Première dame en Occident.

Courrier incendiaire au “Times”

Née en 1885 dans une famille issue de l’aristocratie écossaise, Clementine Churchill, née Hozier, a grandi dans une famille libérale. Elle est intelligente, curieuse et parle très bien le français, ayant vécu plusieurs années à Dieppe (Seine-Maritime). « Contrairement à beaucoup de jeunes femmes de sa génération, elle s’intéresse à la politique et aux affaires étrangères », explique Sonia Purnell, journaliste et écrivaine britannique, autrice de Clementine : The Life of Mrs. Winston Churchill1.

Dans son entourage familial et scolaire, elle côtoie des femmes plus âgées qui ne se sont jamais mariées, qui défendent l’égalité des sexes et les droits de la classe ouvrière. Ce qui fait naturellement de Clementine une supportrice du Parti libéral (progressiste à l’époque) et du mouvement des suffragettes. Elle le fera notamment savoir en 1912 dans une lettre incendiaire à l’auteur d’un article dans le Times, qui s’était opposé à l’égalité de droit entre hommes et femmes, jugeant ces dernières inaptes physiquement et physiologiquement.

RV 18663 5
Clementine Churchill et son mari Winston en novembre 1951.
© TOPFOTO/ROGER-VIOLLET

Clementine aurait pu s’engager en politique, comme d’autres femmes de sa génération. Elle fréquente notamment Nancy Astor (1879-1964), première femme à siéger au Parlement britannique en 1919, et Violet Bonham Carter (1887-1969), présidente de la section féminine du Parti libéral à partir de 1923 et première femme présidente de ce parti en 1945. « Mais en réalité, Clementine a eu bien plus de pouvoir en épousant Winston Churchill qu’elle aurait pu avoir en menant sa propre carrière politique », affirme Sonia Purnell. Un triste constat, qu’il faut replacer dans le contexte du début du XXe siècle : les femmes n’avaient alors pas la possibilité d’accéder aux postes à responsabilités, en politique ou ailleurs. Margaret Thatcher a été la première femme nommée Première ministre au Royaume-Uni, mais en 1979, deux ans après la mort de Clementine Churchill.

Sa carrière politique, elle la mènera donc par procuration. Quand elle rencontre Winston Churchill en 1908, elle a 23 ans, lui 34, il vient de rejoindre les libéraux et il est ministre du Commerce. Elle l’épouse sept mois plus tard. Comme l’explique Béatrix de L’Aulnoit, coautrice de Clementine Churchill. La Femme du Lion2, « dès lors, elle fera de la carrière de Winston sa priorité absolue ».

Le discours du Lion

Le couple a cinq enfants, mais la vie de mère au foyer intéresse peu Clementine. Ce qu’elle veut, c’est conseiller et accompagner son mari dans son aventure politique. En tant que ministre de gouvernements libéraux, il propose et soutient les premières lois sociales du Royaume-Uni : le salaire minimum, la sécurité sociale et la pension de chômage. « Clementine dira que ça a été la période la plus heureuse de sa vie. Elle était plus à gauche que son mari et elle approuvait ses lois sociales. Dans les lettres qu’elle lui adresse, elle le pousse largement dans ce sens. Elle lui a toujours suggéré de défendre les plus défavorisés », retrace Béatrix de L’Aulnoit.

Mais c’est surtout au cours de la Seconde Guerre mondiale que Clementine Churchill aura un rôle politique déterminant. Alors que son mari est nommé Premier ministre, en mai 1940, elle devient sa plus proche conseillère. « Aucun membre du Parlement, ni même du gouvernement n’était autant dans le secret de Winston Churchill qu’elle. Elle a eu accès aux données les plus secrètes de la guerre », selon Sonia Purnell. Elle connaît par exemple l’existence du site de décryptage Bletchley Park, haut lieu du renseignement britannique. Elle aide son mari à écrire et à répéter ses discours, le conseille sur le comportement à adopter avec ses collaborateurs… et avec le général de Gaulle. « C’était presque anticonstitutionnel. Le secrétaire privé de Winston Churchill le décrit bien dans son Journal. Au départ, il la trouve intrusive, puis il a compris qu’elle était indispensable », poursuit l’écrivaine.

“Deux Churchill pour le prix d’un”

Clementine assure aussi des fonctions plus officielles en visitant, avec ou sans son époux, les batteries aériennes de tout le pays et les centres d’hébergement dans lesquels sont réfugié·es des milliers de Britanniques dont les logements ont été bombardés. Elle souffle à son mari que ces abris sont en très mauvais état, il en fait une priorité budgétaire pour l’année suivante. Elle crée des cantines pour les femmes mobilisées dans les usines.

Côté diplomatique, elle contribue à renforcer les liens du Royaume-Uni avec l’Union soviétique en proposant d’organiser une levée de fonds avec la Croix-Rouge pour venir en aide à ses hôpitaux et à ses soldats. Un enjeu essentiel dans la lutte contre l’Allemagne nazie. À la sortie de la guerre, elle se rend en solo en URSS pour voir ces hôpitaux et est reçue par Staline. « Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Europe a bénéficié de deux Churchill pour le prix d’un, résume Sonia Purnell. L’Histoire du monde n’aurait pas été la même sans elle. »

Gamma.k009225 a4
Le couple Churchill reçoit Léon Blum, ancien président du Conseil français,
à la fin des années 1940. © KEYSTONE-FRANCE/GAMMA-RAPHO

Pourtant, Clementine Churchill est absente des livres d’histoire et son mari la mentionne à peine dans ses Mémoires. « Ce sont des hommes qui écrivent l’Histoire. Winston Churchill était leur héros. Pour eux, il était impensable qu’il ait pu être à ce point dépendant de quelqu’un d’autre, en particulier une femme », déplore Sonia Purnell. Pour rédiger sa biographie, l’écrivaine a ainsi fait appel à des ressources moins institutionnelles, interviewant notamment les membres du personnel du couple, qui voyaient et entendaient tout, ou encore l’interprète qui a accompagné Clementine Churchill au Kremlin.

Des milliers de lettres et un vote pour testament

Et c’est par le biais d’écrits à elle, mais privés, que le grand public la (re)découvre : en 2013 est publié un recueil de milliers de lettres que les Churchill ont échangé pendant leurs cinquante-six ans de mariage. Cette correspondance imposante met enfin sur le devant de la scène l’intelligence politique et l’influence de Clementine sur le grand homme.

Après le décès de son mari en 1965, elle est nommée pair à vie et siège à la Chambre des lords, chambre haute du Parlement britannique. « Hélas, c’était trop tard. Elle avait 80 ans, entendait mal… Quel dommage ! Elle est née à la mauvaise époque. Elle aurait été une femme politique progressiste extrêmement intéressante », assure Sonia Purnell. Cette carrière tardive lui permet tout de même de poser un geste politique fort, en son nom propre : en 1969, Clementine Churchill vote pour l’abolition de la peine de mort.

Pour aller plus loin : Winston et Clementine Churchill. Conversations intimes (1908-1964), présenté par François Kersaudy et annoté par Lady Mary Soames-Churchill. Tallandier, 2013.

  1. Clementine : The Life of Mrs. Winston Churchill, de Sonia Purnell. Penguin Books, 2015 (non traduit).[]
  2. Clementine Churchill. La Femme du Lion, de Béatrix de L’Aulnoit et Philippe Alexandre. Tallandier/Robert Laffont, 2015.[]
Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.