myanmar press freedom advocates and youth activists hold a demonstration demanding the freedom of two jailed reuters journalists wa lone and kyaw soe oo in yangon
Manifestation à Rangoun pour la libération de deux journalistes de Reuters, en septembre 2018. Au centre, debout, le poète Maung Saung Kha. © Ann Wang / Reuters

Birmanie : Les déçus de la « Dame de Rangoun »

Majoritairement sou­te­nue dans son pays, sur­tout par la prin­ci­pale eth­nie, les Bamars, Aung San Suu Kyi a tou­te­fois déçu les mino­ri­tés eth­niques et les défenseur·es des droits humains.

Depuis le Bangladesh, où il a dû fuir en 2017 comme 740 000 autres Rohingya, le poète Mayyu Ali ne cache pas sa ran­cœur contre celle qu’il a admi­rée toute son enfance. « Aung San Suu Kyi était mon idole. J’ai gran­di en admi­rant “The Lady”. Mon peuple l’a tou­jours sou­te­nue. Et elle, elle défend aujourd’hui l’armée bir­mane, les auteurs de notre géno­cide. Elle a notre sang sur ses mains. Son nom est main­te­nant asso­cié à ceux des autres tyrans qui ont diri­gé le pays », résume-​t-​il, amè­re­ment. Les Rohingya ont tou­jours sou­te­nu Aung San Suu Kyi, tous espé­raient que, en accé­dant au pou­voir, elle recon­naî­trait enfin leurs droits, déniés par les militaires. 

Lire aus­si : Aung San Suu Kyi : le mau­vais conte de fées

Mais il n’en est rien. Bien au contraire, c’est sous son gou­ver­ne­ment qu’ont eu lieu les crimes les plus graves, for­çant à l’exil la majo­ri­té d’entre eux. « De 1961 à 1965, la langue rohin­gya a été dif­fu­sée à la radio par le Burma Broadcasting Service. Il y avait des ministres et des membres du Parlement rohin­gya. Mon grand-​père était membre de la Ligue natio­nale pour la démo­cra­tie [LND] d’Aung San Suu Kyi. Lors des élec­tions géné­rales des années 1990, il a accueilli les mili­tants de la LND dans notre région et il a visi­té d’autres vil­lages pour per­sua­der les gens de voter pour la LND. Si mon grand-​père était vivant aujourd’hui, il ne serait même pas auto­ri­sé à voter… »

Arrestations arbi­traires

En Birmanie même, le bilan de sa poli­tique est maigre et les chiffres du niveau de vie impos­sibles à obte­nir. Si beau­coup s’accordent à dire que les efforts sur le déve­lop­pe­ment des infra­struc­tures et des nou­velles tech­no­lo­gies ont por­té leurs fruits, le reste est un cruel échec. Outre les crimes contre les Rohingya, les arres­ta­tions contre les jour­na­listes et les défenseur·es des droits humains ont été nom­breuses. Fait mar­quant de son man­dat, la mise en déten­tion de deux jour­na­listes de Reuters accu­sés de vio­la­tion de secrets d’État pour avoir enquê­té sur les crimes des Rohingya. Ils ont été libé­rés après cinq cents jours pas­sés en pri­son. Cette arres­ta­tion a été lar­ge­ment défen­due par Aung San Suu Kyi. « En tant que jour­na­liste, je ne suis pas satis­fait de son gou­ver­ne­ment dans son ensemble. Comme vous le savez tous, de nom­breux jour­na­listes ont été empri­son­nés et des mili­tants ont eu des ennuis. Son gou­ver­ne­ment ne valo­rise pas la liber­té d’expres­sion, qui est très néces­saire pour la démo­cra­tie. Aujourd’hui, elle n’est clai­re­ment plus du côté du peuple », rap­porte, depuis Rangoun, Cape Diamond, un célèbre jour­na­liste bir­man, qui a vu cer­tains de ses amis être empri­son­nés ou même quit­ter la Birmanie pour pré­ser­ver leur sécurité. 

De son côté, le poète Maung Saung Kha a été condam­né pour avoir mani­fes­té contre les res­tric­tions d’accès à Internet dans cer­tains États en sep­tembre. Ce der­nier a eu le choix entre une peine de pri­son de quinze jours ou une amende de 30 000 kyats (envi­ron 20 euros). Il a opté pour la seconde option. « Les gens s’attendaient à ce que les droits de l’homme et la liber­té d’expression soient davan­tage res­pec­tés sous le gou­ver­ne­ment diri­gé par la LND. Des vio­la­tions de la liber­té d’expression ont été com­mises non seule­ment par le gou­ver­ne­ment et l’armée, mais aus­si par les par­le­men­taires. » Lui aus­si, comme beau­coup de militant·es, se dit déçu. « Aung San Suu Kyi était mon héroïne avant qu’elle n’ait le pou­voir. Après 2016, nos espoirs se sont pro­gres­si­ve­ment éva­nouis. Les vio­la­tions des droits de l’homme n’ont jamais ces­sé. Elle a fina­le­ment pour­sui­vi ce qu’a fait le gou­ver­ne­ment pré­cé­dent. Au lieu d’abroger les lois injustes pour la liber­té d’expression et la liber­té des médias, son gou­ver­ne­ment a conti­nué à les uti­li­ser. Les élec­tions du 8 novembre pro­chain sont éga­le­ment sans espoir », regrette-t-il.

Donner la parole aux jeunes

La lumière pour­rait peut-​être venir de la socié­té civile, qui, mal­gré les res­tric­tions, ne cesse de se battre, même si elle est peu enten­due. À l’image de la jeune mili­tante Thinzar Shunlei Yi, tout juste âgée de 30 ans. En 2015, elle avouait son admi­ra­tion pour Aung San Suu Kyi, elle voyait en elle un espoir, non seule­ment pour son pays, mais aus­si pour toutes les femmes bir­manes. Cette fille de mili­taire a renon­cé à son héri­tage pour défendre la Dame, long­temps hon­nie dans sa propre famille. « On a tous voté pour elle parce que c’était notre modèle, on vou­lait chan­ger le sys­tème de l’intérieur. Mais ce n’est pas arri­vé. » Selon elle, les jeunes ne sont pas assez représenté·es dans le jeu poli­tique ni même la socié­té civile. Alors elle mul­ti­plie les confé­rences pour leur don­ner la parole. « Nous sommes aujourd’hui sur le mau­vais che­min. En tant que jeune, je sens que ma voix n’est pas repré­sen­tée ni même celle des femmes, qui sont seule­ment 13 % à sié­ger au Parlement. » Un point pro­blé­ma­tique quand on sait que 50 % des Birmans sont des femmes. « Les femmes ne sont pas prises au sérieux, nous avons besoin de plus de femmes ministres, par­le­men­taires, déci­deurs. Nous sommes encore dans une période de tran­si­tion démo­cra­tique. Il faut conti­nuer à œuvrer pour cela, par exemple en ins­ti­tuant un sys­tème de quo­tas en politique. »

Alors que le pays est gra­ve­ment tou­ché par la pan­dé­mie de Covid-​19, qui plonge des cen­taines de mil­liers de Birman·es dans une extrême pau­vre­té depuis des mois et démontre les failles de la poli­tique menée par la LND, rien ne semble pou­voir empê­cher sa vic­toire aux légis­la­tives. « La poli­tique en Birmanie est une ques­tion de per­son­na­li­té. Le sys­tème éco­no­mique incroya­ble­ment injuste, les inéga­li­tés crois­santes, le chô­mage mas­sif et la perte de reve­nus due à la pan­dé­mie, tout cela ne se reflète pra­ti­que­ment pas dans la poli­tique bir­mane », résume l’historien bir­man et auteur Thant Myint‑U, dans une inter­view accor­dée au Washington Post. L’aura de la « Dame de Rangoun » rayonne encore sur son pays. 

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