Cette souveraine redoutée a combattu les envahisseurs portugais pendant plus de trente ans. Parfois décrite comme une femme cruelle et cannibale, elle incarne pourtant, aujourd’hui encore, une figure majeure de la résistance anticoloniale.
![Anna Zingha, reine de fer 1 npg d34632 ann zingha by achille deveria printed by franaois le villain published by edward bull published by edward churton after unknown artist](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2019/03/npg-d34632-ann-zingha-by-achille-deveria-printed-by-franaois-le-villain-published-by-edward-bull-published-by-edward-churton-after-unknown-artist.jpg)
Elle est de ces personnes qui font mentir les préjugés les plus tenaces. Celui qui veut que les femmes ne connaissent rien à l’art de la guerre, ou celui qui prétend que « l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire »*… Souveraine avisée et habile guerrière, Anna Zingha aura bel et bien marqué les mémoires, de part et d’autre de l’Atlantique.
Quand elle voit le jour, en 1582, le monde qui l’entoure est en pleine mutation. Présents dans les environs depuis un siècle et à Luanda depuis plus de vingt ans, les Portugais se sont lancés à la conquête du prospère royaume du Ndongo (une région du nord de l’actuel Angola), dirigé par le père d’Anna Zingha, le roi Kiluanji kia Ndambi. Une période sombre durant laquelle elle l’accompagne au front et est initiée aux affaires royales. À la mort du souverain, en 1617, le trône revient au frère d’Anna, qui la déteste autant qu’il la jalouse, et fait assassiner son jeune fils par peur d’un éventuel complot. Autant dire qu’entre eux deux, l’ambiance est loin d’être au beau fixe…
Politique oblige, c’est pourtant Anna qui, cinq ans plus tard, sera envoyée négocier la paix avec les Portugais. En 1622, elle se rend à Luanda, qu’elle découvre profondément transformée : la population s’est métissée, tandis que les édifices coloniaux et les hangars de la traite ont fleuri. La cité côtière est en train de devenir l’un des plus importants ports négriers africains. Et la princesse n’est pas au bout de ses surprises…
Une ambassadrice habile
Resté dans les annales, son voyage diplomatique la conduit au palais du vice-roi du Portugal. Installé dans un large fauteuil, celui-ci a prévu de la recevoir sur un tapis… Un affront ! D’un geste, la voilà qui appelle sa servante, dont le dos fera office de siège. Le signal est clair : l’altière Anna Zingha n’est pas venue pour se soumettre, mais pour parler d’égal à égal. Son audace tout comme son éloquence et sa maîtrise du portugais font mouche. La négociation se révèle, certes, difficile, mais l’ambassadrice est habile. Lorsque le vice-roi lui propose de protéger le Ndongo contre la livraison de douze à treize mille esclaves par an, la réplique est cinglante : « Vous exigez tribut d’un peuple que vous avez poussé à la dernière extrémité. Or, vous le savez bien, nous paierons ce tribut la première année et l’année suivante, nous vous referons la guerre pour nous en affranchir. Contentez-vous de demander maintenant, et une fois pour toutes, ce que nous pouvons vous accorder. » Une réponse qui la fera définitivement entrer dans l’Histoire. Parvenue à un accord honorable, la négociatrice se fera même baptiser, quelque mois plus tard, sous le nom de Dona Ana de Sousa, espérant ainsi favoriser les relations diplomatiques avec l’occupant.
La paix, hélas, s’avère de courte durée. Une fois le vice-roi remplacé, les conquérants reprennent leurs offensives. Au Ndongo, le frère d’Anna finit par battre en retraite, avant de mourir mystérieusement… Suicidé ? Empoisonné par sa sœur ? Le fait est qu’en 1624, elle accède au trône et devient Ngola Mbandi Nzinga Bandi Kia Ngola, « la reine dont la flèche trouve toujours le but ». Elle nomme plusieurs femmes à des postes clés, s’impose auprès des chefs locaux et conquiert le royaume voisin du Matamba, où elle se repliera quelques années plus tard. Surtout, elle ne laisse aucun répit aux Portugais. Un temps liguée aux Hollandais (arrivés en 1641), elle rallie à elle plusieurs États environnants, incite les soldats africains engagés aux côtés des Européens à la rejoindre en échange de terres et de récompenses. Observant les techniques de l’ennemi, elle réorganise son armée et prend la tête de la plupart des opérations militaires. Pendant des années, elle enverra aussi sa police secrète à Luanda, afin d’espionner le colonisateur. Pour en venir à bout, elle utilise sa connaissance du climat, attendant ainsi la saison propice à la malaria pour harceler les Portugais. Et, dans les phases de négociations, elle leur fait miroiter une possible conversion des peuples du Ndongo-Matamba au christianisme…
Elle ne renonce jamais
La reine, qui déjouera plusieurs complots, donne bien du fil à retordre aux gouverneurs successifs. Après des décennies de conflit, l’un d’eux se rend à l’évidence : Anna Zingha ne renoncera jamais. En 1657, un traité de paix est signé : le Portugal abandonne ses velléités territoriales. Une victoire pour l’intrépide souveraine qui, à plus de 70 ans, menait encore ses troupes à travers forêts et montagnes… La paix revenue, elle reprendra en main l’organisation du royaume, redressant l’agriculture et instituant la parité dans la haute administration.
Convertie au christianisme, elle se confessera par ailleurs à Antonio Cavazzi de Montecuccolo, un missionnaire, qui publiera son témoignage en 1687. Fasciné par sa « fine intelligence » et sa magnanimité, il y dépeint une femme cruelle et sexuellement dominatrice, qui aime s’habiller en homme et pratiquerait le cannibalisme. Réalité ? Exagération ? Fantasme ? Anna Zingha l’ambivalente a emporté avec elle nombre de ses secrets. Dans un dernier souffle, le 17 décembre 1663, elle aurait seulement murmuré : « Mon seul regret est de ne pas laisser un fils qui puisse me succéder. » Sa fin, d’ailleurs, marquera celle de son royaume, qui ne tardera pas à tomber aux mains des Portugais…
Récemment mise à l’honneur par l’Unesco, statufiée à Luanda, présente dans des rites religieux au Brésil, Anna Zingha a inspiré plusieurs figures du Mouvement populaire de libération de l’Angola au moment de l’indépendance. En 2013, elle a aussi fait l’objet d’un film, de Sergio Graciano, Njinga, reine d’Angola. Près de quatre siècles après sa mort, la reine Zingha continue de fasciner.
* Phrase prononcée par Nicolas Sarkozy, à Dakar (Sénégal), en 2007.
Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire, de Sylvia Serbin. Éd. Sépia, 2004.
Njinga, reine d’Angola, d’Antonio Cavazzi de Montecuccolo. Éd. Chandeigne, 2014.