Anna Zingha, reine de fer

Cette sou­ve­raine redou­tée a com­bat­tu les enva­his­seurs por­tu­gais pen­dant plus de trente ans. Parfois décrite comme une femme cruelle et can­ni­bale, elle incarne pour­tant, aujourd’hui encore, une figure majeure de la résis­tance anticoloniale.

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© Bianchetti/​Leemage

Elle est de ces per­sonnes qui font men­tir les pré­ju­gés les plus tenaces. Celui qui veut que les femmes ne connaissent rien à l’art de la guerre, ou celui qui pré­tend que « l’homme afri­cain n’est pas assez entré dans l’histoire »*… Souveraine avi­sée et habile guer­rière, Anna Zingha aura bel et bien mar­qué les mémoires, de part et d’autre de l’Atlantique.

Quand elle voit le jour, en 1582, le monde qui l’entoure est en pleine muta­tion. Présents dans les envi­rons depuis un siècle et à Luanda depuis plus de vingt ans, les Portugais se sont lan­cés à la conquête du pros­père royaume du Ndongo (une région du nord de l’actuel Angola), diri­gé par le père d’Anna Zingha, le roi Kiluanji kia Ndambi. Une période sombre durant laquelle elle l’accompagne au front et est ini­tiée aux affaires royales. À la mort du sou­ve­rain, en 1617, le trône revient au frère d’Anna, qui la déteste autant qu’il la jalouse, et fait assas­si­ner son jeune fils par peur d’un éven­tuel com­plot. Autant dire qu’entre eux deux, l’ambiance est loin d’être au beau fixe…

Politique oblige, c’est pour­tant Anna qui, cinq ans plus tard, sera envoyée négo­cier la paix avec les Portugais. En 1622, elle se rend à Luanda, qu’elle découvre pro­fon­dé­ment trans­for­mée : la popu­la­tion s’est métis­sée, tan­dis que les édi­fices colo­niaux et les han­gars de la traite ont fleu­ri. La cité côtière est en train de deve­nir l’un des plus impor­tants ports négriers afri­cains. Et la prin­cesse n’est pas au bout de ses surprises… 

Une ambas­sa­drice habile 

Resté dans les annales, son voyage diplo­ma­tique la conduit au palais du vice-​roi du Portugal. Installé dans un large fau­teuil, celui-​ci a pré­vu de la rece­voir sur un tapis… Un affront ! D’un geste, la voi­là qui appelle sa ser­vante, dont le dos fera office de siège. Le signal est clair : l’altière Anna Zingha n’est pas venue pour se sou­mettre, mais pour par­ler d’égal à égal. Son audace tout comme son élo­quence et sa maî­trise du por­tu­gais font mouche. La négo­cia­tion se révèle, certes, dif­fi­cile, mais l’ambassadrice est habile. Lorsque le vice-​roi lui pro­pose de pro­té­ger le Ndongo contre la livrai­son de douze à treize mille esclaves par an, la réplique est cin­glante : « Vous exi­gez tri­but d’un peuple que vous avez pous­sé à la der­nière extré­mi­té. Or, vous le savez bien, nous paie­rons ce tri­but la pre­mière année et l’année sui­vante, nous vous refe­rons la guerre pour nous en affran­chir. Contentez-​vous de deman­der main­te­nant, et une fois pour toutes, ce que nous pou­vons vous accor­der. » Une réponse qui la fera défi­ni­ti­ve­ment entrer dans l’Histoire. Parvenue à un accord hono­rable, la négo­cia­trice se fera même bap­ti­ser, quelque mois plus tard, sous le nom de Dona Ana de Sousa, espé­rant ain­si favo­ri­ser les rela­tions diplo­ma­tiques avec l’occupant. 

La paix, hélas, s’avère de courte durée. Une fois le vice-​roi rem­pla­cé, les conqué­rants reprennent leurs offen­sives. Au Ndongo, le frère d’Anna finit par battre en retraite, avant de mou­rir mys­té­rieu­se­ment… Suicidé ? Empoisonné par sa sœur ? Le fait est qu’en 1624, elle accède au trône et devient Ngola Mbandi Nzinga Bandi Kia Ngola, « la reine dont la flèche trouve tou­jours le but ». Elle nomme plu­sieurs femmes à des postes clés, s’impose auprès des chefs locaux et conquiert le royaume voi­sin du Matamba, où elle se replie­ra quelques années plus tard. Surtout, elle ne laisse aucun répit aux Portugais. Un temps liguée aux Hollandais (arri­vés en 1641), elle ral­lie à elle plu­sieurs États envi­ron­nants, incite les sol­dats afri­cains enga­gés aux côtés des Euro­péens à la rejoindre en échange de terres et de récom­penses. Observant les tech­niques de l’ennemi, elle réor­ga­nise son armée et prend la tête de la plu­part des opé­ra­tions mili­taires. Pendant des années, elle enver­ra aus­si sa police secrète à Luanda, afin d’espionner le colo­ni­sa­teur. Pour en venir à bout, elle uti­lise sa connais­sance du cli­mat, atten­dant ain­si la sai­son pro­pice à la mala­ria pour har­ce­ler les Portugais. Et, dans les phases de négo­cia­tions, elle leur fait miroi­ter une pos­sible conver­sion des peuples du Ndongo-​Matamba au christianisme…

Elle ne renonce jamais 

La reine, qui déjoue­ra plu­sieurs com­plots, donne bien du fil à retordre aux gou­ver­neurs suc­ces­sifs. Après des décen­nies de conflit, l’un d’eux se rend à l’évidence : Anna Zingha ne renon­ce­ra jamais. En 1657, un trai­té de paix est signé : le Portugal aban­donne ses vel­léi­tés ter­ri­to­riales. Une vic­toire pour l’intrépide sou­ve­raine qui, à plus de 70 ans, menait encore ses troupes à tra­vers forêts et mon­tagnes… La paix reve­nue, elle repren­dra en main l’organisation du royaume, redres­sant l’agriculture et ins­ti­tuant la pari­té dans la haute administration. 

Convertie au chris­tia­nisme, elle se confes­se­ra par ailleurs à Antonio Cavazzi de Montecuccolo, un mis­sion­naire, qui publie­ra son témoi­gnage en 1687. Fasciné par sa « fine intel­li­gence » et sa magna­ni­mi­té, il y dépeint une femme cruelle et sexuel­le­ment domi­na­trice, qui aime ­s’habiller en homme et pra­ti­que­rait le can­ni­ba­lisme. Réalité ? Exagération ? Fantasme ? Anna Zingha l’ambivalente a empor­té avec elle nombre de ses secrets. Dans un der­nier souffle, le 17 décembre 1663, elle aurait seule­ment mur­mu­ré : « Mon seul regret est de ne pas lais­ser un fils qui puisse me suc­cé­der. » Sa fin, d’ailleurs, mar­que­ra celle de son royaume, qui ne tar­de­ra pas à tom­ber aux mains des Portugais…

Récemment mise à l’honneur par l’Unesco, sta­tu­fiée à Luanda, pré­sente dans des rites reli­gieux au Brésil, Anna Zingha a ins­pi­ré plu­sieurs figures du Mouvement popu­laire de libé­ra­tion de ­l’Angola au moment de l’indépendance. En 2013, elle a aus­si fait l’objet d’un film, de Sergio Graciano, Njinga, reine d’Angola. Près de quatre siècles après sa mort, la reine Zingha conti­nue de fasciner. 

* Phrase pro­non­cée par Nicolas Sarkozy, à Dakar (Sénégal), en 2007.


Reines d’Afrique et héroïnes de la dia­spo­ra noire, de Sylvia Serbin. Éd. Sépia, 2004.

Njinga, reine d’Angola, d’Antonio Cavazzi de Montecuccolo. Éd. Chandeigne, 2014.

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