Jacques Massacrier : le pubard survivaliste

En avril 1970, cet ancien publi­ci­taire quitte son bou­lot vide de sens et la capi­tale pour s’installer avec femme et enfants dans une ferme aux Baléares. Il y rédige et des­sine l’ovni lit­té­raire Savoir revivre, véri­table guide de vie auto­nome sor­ti en 1973 et ven­du à plus de 500 000 exemplaires. 

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© Paris Match

C’est à Ibiza que Jacques Massacrier s’est éteint, le 1er sep­tembre 2020. Le « solide fer­mier », comme il se défi­nis­sait lui-​même, était deve­nu un « vieux vil­la­geois ». Mais il était res­té sur son île, au contact de la nature. Arrivé en avril 1970 avec son épouse Greta et leurs deux fils, Loïc et Joël, il n’en est jamais repar­ti. Tout a com­men­cé par un ras-​le-​bol et un burn-​out, même si, à l’époque, le terme n’existe pas.

Ultra pri­vi­lé­gié

Paris, 1969. Jacques a 36 ans, un bou­lot ron­flant de direc­teur artis­tique dans la pres­ti­gieuse agence de publi­ci­té Publicis, un très bon salaire et 160 mètres car­rés dans le quar­tier de Saint-​Germain-​des-​Prés. Un quo­ti­dien urbain et ultra pri­vi­lé­gié dans lequel il se perd petit à petit. Il bosse trop, il n’en peut plus. « Vie infer­nale. Pas pos­sible. Somnifère la nuit pour dor­mir. Je gagnais beau­coup d’argent. J’étais direc­teur artis­tique dans une grande agence de publi­ci­té. Je me fai­sais dans les deux “briques” par mois. […] Je tra­vaillais tard la nuit, me levant tôt le matin, pas le temps de déjeu­ner à la mai­son, je ne voyais jamais mes enfants, c’était effroyable », racontera-​t-​il des années plus tard à un jour­na­liste de Paris Match. 

116 la fourfouille Jacques Massarier 1 © Paris Match
© Paris Match

En août 1969, la famille Massacrier passe ses vacances d’été à Ibiza et se dit – à moi­tié en riant – que l’endroit est tel­le­ment chouette et sau­vage qu’ils devraient tous s’y ins­tal­ler. À l’époque, Ibiza c’était plus ambiance chèvres et pay­sages sau­vages que David Guetta et grosses teufs. De retour à Paris, pour­tant, Jacques renoue avec son rythme tré­pi­dant, tra­vaillant plus de dix-​huit heures par jour. Il va dans le mur et il le sait. Alors il repense à Ibiza et l’évidence leur saute aux yeux, à Greta et à lui : ils vont par­tir. Il met en vente son duplex, cède ses parts dans son agence de pub et se débar­rasse de sa voi­ture. « L’ensemble de l’argent a été pla­cé sur un compte », raconte Julien Tournier, fils d’un ami de Jacques Massacrier et fon­da­teur des édi­tions du Devin, qui a réim­pri­mé l’ouvrage en 2013. « La mère de Jacques était char­gée de leur envoyer 300 francs par mois [envi­ron 350 euros actuels, ndlr], pas plus. Son pro­jet c’était de vivre dans le dénue­ment, de reve­nir à l’essentiel. » 

Une vie élémentaire

La famille s’envole donc pour Ibiza en avril 1970 avec une seule valise par per­sonne. « Content de peu n’a rien à craindre », disait Lao Tseu. Une phrase que Jacques Massacrier a gar­dée en tête tout au long de sa nou­velle vie. Les Massacrier s’installent dans une ferme reti­rée à plus de cinq kilo­mètres du pre­mier vil­lage. Il n’y a pas d’eau, pas d’électricité et le jar­din dis­pa­raît sous les mau­vaises herbes. Pour se don­ner les moyens de l’autonomie tant dési­rée, il va fal­loir se mettre au bou­lot ! Le père de famille se lance dans le défri­chage et la créa­tion d’un pota­ger. Une dizaine de poules et deux chèvres, pour les œufs et le lait, vien­dront vite com­plé­ter la donne. Le car­net de bord de ces jour­nées pas­sées au plus près de la nature et au plus loin de la socié­té de consom­ma­tion s’appelle Savoir revivre. 

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© Editions du Devin

Publié en 1973, il sera un véri­table suc­cès d’édition – un demi-​million d’exemplaires et plu­sieurs tra­duc­tions – avant de tom­ber dans l’oubli. Au fil des deux cents pages de cette ency­clo­pé­die pra­tique de la vie élé­men­taire, entiè­re­ment rédi­gées à la main et illus­trées par l’auteur lui-​même – Jacques avait fait des études d’arts gra­phiques –, on apprend à faire du mor­tier, des semis, ou à se coudre une che­mise indienne. La recette des inha­la­tions de vinaigre de cidre pour cal­mer les migraines ou la tech­nique du nœud plat figurent aus­si dans ce guide atypique. 

Manifeste éco­lo

Plusieurs pages sont consa­crées à l’astrologie, au yoga – pra­ti­qué nu à en croire les des­sins –, à l’observation des nuages ou à la contra­cep­tion. Mention spé­ciale aux lignes dédiées à l’accouchement à domi­cile. Pour les plus motivé·es, il y a même un sché­ma expli­ca­tif pour apprendre à bien cou­per le cor­don ombi­li­cal. « À l’heure des tutos sur Internet, ce livre peut sem­bler un peu étrange et il ne faut évi­dem­ment pas tout suivre à la lettre, pré­vient Julien Tournier. Mais il témoigne de son époque avec une approche très concrète et très holis­tique qui a séduit. Lors de sa sor­tie, c’était le par­fait vade-​mecum de la vie autar­cique. » Au-​delà de son côté manuel de la vie sau­vage, Savoir revivre est aus­si un mani­feste éco­lo qui débute comme ceci : « À quoi bon lan­cer des cris d’alarme contre la socié­té de consom­ma­tion et d’industrialisation, contre la pol­lu­tion qui en résulte, si nous conti­nuons à faire vivre les indus­tries qui nous empoi­sonnent et épuisent les res­sources natu­relles de notre pla­nète ! » Le constat n’a, hélas, pas pris une ride. « Jacques était un pré­cur­seur à bien des égards. Il avait com­pris assez tôt que la crois­sance infi­nie dans un monde aux res­sources finies, ça ne pou­vait pas col­ler », sou­ligne Julien Tournier. 

Quarante ans après la publi­ca­tion de l’ouvrage, en 2013, le jeune édi­teur des édi­tions du Devin, minus­cule struc­ture ins­tal­lée dans le Var, s’est dit que l’acuité du pro­pos de Savoir revivre méri­tait qu’on lui donne une nou­velle expo­si­tion. Après plu­sieurs mois de tra­vail pour obte­nir un résul­tat conforme à la ver­sion ori­gi­nale, il a donc édi­té 1 500 nou­veaux exem­plaires, tous écou­lés depuis. « Nous avons récem­ment lan­cé une cam­pagne de finan­ce­ment par­ti­ci­pa­tif pour réim­pri­mer fin 2020 », pré­cise le jeune homme, éga­le­ment char­gé de la page Facebook du livre. Une cam­pagne finan­cée à 150 %. De fait, Julien Tournier a noté un gros regain d’intérêt autour de l’ouvrage pen­dant le confi­ne­ment. La pan­dé­mie, on le sait, a ravi­vé chez certain·es le fan­tasme du retour à la nature et à l’autarcie. Devant le suc­cès de la cam­pagne, le livre devrait éga­le­ment sor­tir en for­mat poche au prin­temps. Un for­mat plus pra­tique à empor­ter quand on met les voiles.

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