Le mastodonte du commerce en ligne vient de fêter ses 25 ans. À cette occasion, Causette s’est entretenue avec la consultante Miya Knights, coautrice d’Amazon, comment le plus impitoyable détaillant du monde va continuer à révolutionner le commerce.
![Amazon : même ses opposant·es ne lui résistent pas 1 HS10 Amazon © Jeanne Macaigne pour Causette](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/03/HS10-Amazon-©-Jeanne-Macaigne-pour-Causette-860x1024.jpg)
Déshumanisation du travail dans ses entrepôts, management à la serpe, inféodation des détaillants, défiscalisation outrancière, destruction des emplois du petit commerce, dédain côté empreinte écologique, intrusions dans nos vies privées… Pas un mois sans que la firme américaine ou son président fondateur, le milliardaire Jeff Bezos, nous offrent un bad buzz pire que le précédent. Gafa le plus puissant, l’entreprise aux 206 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018 peut se le permettre : les quelques résistances ou critiques sont noyées par une croissance démesurée de recours à ses services. Sommes-nous des quiches consentantes ?
Causette : Nous sommes sûrs aujourd’hui qu’Amazon est le diable. L’entreprise détruit les emplois, s’introduit dans nos vies privées, ne paie pas d’impôts… Et malgré tout, nous continuons à l’utiliser. Sommes-nous très stupides ?
Miya Knights : Amazon n’a rien du diable ! Parce qu’elle a réussi à dominer ses concurrents, elle a été accusée de maux dont elle n’est pas directement responsable. Si vous souhaitez utiliser le terme « diable », servez-vous-en plutôt pour les gouvernements et les législateurs ! Ils n’ont pas assez armé nos sociétés pour gérer les conséquences de la révolution industrielle créée par les avancées technologiques venues après Internet. Amazon ne fait que profiter de la situation.
Plutôt que stupides, serions-nous très, très feignant·es pour continuer à utiliser Amazon ?
M. K. : Nous ne sommes pas feignants. Amazon a appuyé sa stratégie sur les technologies mobiles et numériques, devenues incontournables dans nos vies, pour rendre notre expérience d’achats toujours plus facile et agréable.
Chaque mois, Amazon fait irruption dans l’actualité avec un bad buzz dont le sujet est lié à un manque global d’éthique. Est-elle tellement incontournable qu’une mauvaise réputation ne peut plus lui nuire ?
M. K. : On a pu dire que nous observerions l’apogée d’Amazon. Cela va de pair avec l’idée que nous avons atteint, dans les pays très développés, le « peak stuff », c’est-à-dire le « pic des objets », le seuil maximal d’objets possédés par chaque habitant. Mais je ne vois pas comment la croissance d’Amazon pourrait retomber à court ou moyen terme puisqu’il y a toujours plus de nouveaux clients potentiels du commerce en ligne.
Amazon dominera bientôt l’ensemble de la consommation mondiale ?
M. K. : Amazon est déjà dominante en ligne, du moins en ce qui concerne le marché occidental. Il ne faut pas oublier le géant chinois Alibaba. Mais prendre la main sur les magasins physiques, c’est un autre challenge. Construire une chaîne de points de vente à succès, c’est beaucoup plus compliqué que de s’appuyer sur des logiciels.
Peut-on prêter à Jeff Bezos, le patron fondateur d’Amazon, des ambitions politiques, telles que devenir président des États-Unis ?
M. K. : Pas pour l’instant. Jeff Bezos est un entrepreneur, sa seule idée est de faire de l’argent. Il n’a pas l’ambition de changer le monde.
Il le change à l’insu de son plein gré ! Mais c’est aussi un chic type. Il défend l’idée d’un revenu universel pour résoudre le problème du chômage, qu’il a, paradoxalement, contribué à renforcer. Grâce à lui, nous pourrions voir l’apparition d’une société en perpétuelles vacances. Une perspective sympa, non ?
M. K. : C’est plutôt positif qu’il se soit emparé de la question. Cela veut dire qu’il a conscience de l’impact de l’automatisation et de la robotique sur la main‑d’œuvre et l’économie mondiales. Le revenu universel n’est peut-être pas la bonne solution, mais cela montre qu’il réfléchit aux conséquences structurelles que provoque la croissance de multinationales comme la sienne.
C’est vrai qu’on est quand même dur avec lui. Nombre de voix chagrines critiquent l’assistant personnel vocal Alexa développé par Amazon. Pourtant, Alexa pourrait résoudre le problème de la solitude ?
M. K. : Nous sommes loin d’avoir exploité l’ensemble du potentiel de ces intelligences artificielles conversationnelles. Elles peuvent en effet être un rempart à la solitude, mais dans ce cas, pourquoi ne pas aller au bout des choses et développer les robots de compagnie ? On pourrait, en plus de leur parler, les embrasser et leur faire des câlins.
J’ai 30 ans et je n’ai jamais rien acheté sur Amazon. Rien de rien. Je n’ai jamais non plus utilisé leur service de vidéo à la demande, Amazon Prime. Suis-je une extraterrestre ?
M. K. : Vous êtes en tout cas peu commune. Même les personnes moralement opposées à son modèle et à ses pratiques trouvent difficile de résister à ses prix, sa praticité, la qualité de ses services et sa rapidité. Vous êtes probablement plus organisée que la plupart des autres gens.
Probablement. Pensez-vous que, ce faisant, je me bats pour rendre le monde meilleur ?
M. K. : Non, je pense juste que vous accusez les acteurs du changement plutôt que de réfléchir aux problématiques qui les ont rendus puissants. Somme toute, vous êtes un peu naïve.
OK, cool. Merci.