Amazon : même ses opposant·es ne lui résistent pas

Le mas­to­donte du com­merce en ligne vient de fêter ses 25 ans. À cette occa­sion, Causette s’est entre­te­nue avec la consul­tante Miya Knights, coau­trice d’Amazon, com­ment le plus impi­toyable détaillant du monde va conti­nuer à révo­lu­tion­ner le commerce. 

HS10 Amazon © Jeanne Macaigne pour Causette
© Jeanne Macaigne pour Causette

Déshumanisation du tra­vail dans ses entre­pôts, mana­ge­ment à la serpe, inféo­da­tion des détaillants, défis­ca­li­sa­tion outran­cière, des­truc­tion des emplois du petit com­merce, dédain côté empreinte éco­lo­gique, intru­sions dans nos vies pri­vées… Pas un mois sans que la firme amé­ri­caine ou son pré­sident fon­da­teur, le mil­liar­daire Jeff Bezos, nous offrent un bad buzz pire que le pré­cé­dent. Gafa le plus puis­sant, l’entreprise aux 206 mil­liards d’euros de chiffre d’affaires en 2018 peut se le per­mettre : les quelques résis­tances ou cri­tiques sont noyées par une crois­sance déme­su­rée de recours à ses ser­vices. Sommes-​nous des quiches consentantes ? 

Causette : Nous sommes sûrs aujourd’hui qu’Amazon est le diable. L’entreprise détruit les emplois, s’introduit dans nos vies pri­vées, ne paie pas d’impôts… Et mal­gré tout, nous conti­nuons à l’utiliser. Sommes-​nous très stupides ?

Miya Knights : Amazon n’a rien du diable ! Parce qu’elle a réus­si à domi­ner ses concur­rents, elle a été accu­sée de maux dont elle n’est pas direc­te­ment res­pon­sable. Si vous sou­hai­tez uti­li­ser le terme « diable », ­servez-​vous-​en plu­tôt pour les gou­ver­ne­ments et les légis­la­teurs ! Ils n’ont pas assez armé nos socié­tés pour gérer les consé­quences de la révo­lu­tion indus­trielle créée par les avan­cées tech­no­lo­giques venues après Internet. Amazon ne fait que pro­fi­ter de la situation.

Plutôt que stu­pides, serions-​nous très, très feignant·es pour conti­nuer à uti­li­ser Amazon ?

M. K. : Nous ne sommes pas fei­gnants. Amazon a appuyé sa stra­té­gie sur les tech­no­lo­gies mobiles et numé­riques, deve­nues incon­tour­nables dans nos vies, pour rendre notre expé­rience d’achats tou­jours plus facile et agréable.

Chaque mois, Amazon fait irrup­tion dans l’actualité avec un bad buzz dont le sujet est lié à un manque glo­bal d’éthique. Est-​elle tel­le­ment incon­tour­nable qu’une mau­vaise répu­ta­tion ne peut plus lui nuire ? 

M. K. : On a pu dire que nous obser­ve­rions l’apogée d’Amazon. Cela va de pair avec l’idée que nous avons atteint, dans les pays très déve­lop­pés, le « peak stuff », c’est-à-dire le « pic des objets », le seuil maxi­mal d’objets pos­sé­dés par chaque habi­tant. Mais je ne vois pas com­ment la crois­sance d’Amazon pour­rait retom­ber à court ou moyen terme puisqu’il y a tou­jours plus de nou­veaux clients poten­tiels du com­merce en ligne.

Amazon domi­ne­ra bien­tôt l’ensemble de la consom­ma­tion mondiale ?

M. K. : Amazon est déjà domi­nante en ligne, du moins en ce qui concerne le mar­ché occi­den­tal. Il ne faut pas oublier le géant chi­nois Alibaba. Mais prendre la main sur les maga­sins phy­siques, c’est un autre chal­lenge. Construire une chaîne de points de vente à suc­cès, c’est beau­coup plus com­pli­qué que de s’appuyer sur des logiciels.

Peut-​on prê­ter à Jeff Bezos, le patron fon­da­teur d’Amazon, des ambi­tions poli­tiques, telles que deve­nir pré­sident des États-Unis ?

M. K. : Pas pour l’instant. Jeff Bezos est un entre­pre­neur, sa seule idée est de faire de l’argent. Il n’a pas l’ambition de chan­ger le monde.

Il le change à l’insu de son plein gré ! Mais c’est aus­si un chic type. Il défend l’idée d’un reve­nu uni­ver­sel pour résoudre le pro­blème du chô­mage, qu’il a, para­doxa­le­ment, contri­bué à ren­for­cer. Grâce à lui, nous pour­rions voir l’apparition d’une socié­té en per­pé­tuelles vacances. Une pers­pec­tive sym­pa, non ?

M. K. : C’est plu­tôt posi­tif qu’il se soit empa­ré de la ques­tion. Cela veut dire qu’il a conscience de l’impact de l’automatisation et de la robo­tique sur la main‑d’œuvre et l’économie mon­diales. Le reve­nu uni­ver­sel n’est peut-​être pas la bonne solu­tion, mais cela montre qu’il réflé­chit aux consé­quences struc­tu­relles que pro­voque la crois­sance de mul­ti­na­tio­nales comme la sienne.

C’est vrai qu’on est quand même dur avec lui. Nombre de voix cha­grines cri­tiquent l’assistant per­son­nel vocal Alexa déve­lop­pé par Amazon. Pourtant, Alexa pour­rait résoudre le pro­blème de la solitude ?

M. K. : Nous sommes loin d’avoir exploi­té l’ensemble du poten­tiel de ces intel­li­gences arti­fi­cielles conver­sa­tion­nelles. Elles peuvent en effet être un rem­part à la soli­tude, mais dans ce cas, pour­quoi ne pas aller au bout des choses et déve­lop­per les robots de com­pa­gnie ? On pour­rait, en plus de leur par­ler, les embras­ser et leur faire des câlins.

J’ai 30 ans et je n’ai jamais rien ache­té sur Amazon. Rien de rien. Je n’ai jamais non plus uti­li­sé leur ser­vice de vidéo à la demande, Amazon Prime. Suis-​je une extraterrestre ?

M. K. : Vous êtes en tout cas peu com­mune. Même les per­sonnes mora­le­ment oppo­sées à son modèle et à ses pra­tiques trouvent dif­fi­cile de résis­ter à ses prix, sa pra­ti­ci­té, la qua­li­té de ses ser­vices et sa rapi­di­té. Vous êtes pro­ba­ble­ment plus orga­ni­sée que la plu­part des autres gens.

Probablement. Pensez-​vous que, ce fai­sant, je me bats pour rendre le monde meilleur ?

M. K. : Non, je pense juste que vous accu­sez les acteurs du chan­ge­ment plu­tôt que de réflé­chir aux pro­blé­ma­tiques qui les ont ren­dus puis­sants. Somme toute, vous êtes un peu naïve.

OK, cool. Merci.

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