Amazon : grosse pro­mo sur la peur

L’entreprise ali­mente à des­sein un sen­ti­ment d’insécurité pour faire son beurre sur les craintes de ses clients. 

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© Jeanne Macaigne pour Causette

Amazon a bien com­pris deux choses (entre autres) : la peur fait vendre, et on n’est jamais si bien ser­vi que par soi-​même. Conclusion, pour popu­la­ri­ser ses dis­po­si­tifs de sur­veillance aux États-​Unis, l’entreprise amé­ri­caine a mis en place un ser­vice d’information spé­cia­li­sé dans les faits divers. En mai, elle a publié une annonce pour recru­ter un·e jour­na­liste chargé·e d’éditer des « alertes conte­nant des infor­ma­tions sur la cri­mi­na­li­té ». Qualifications requises : avoir « un talent pour le sto­ry­tel­ling enga­geant et à fort impact » et « une connais­sance pous­sée et nuan­cée de la cri­mi­na­li­té amé­ri­caine ».

Tirés des rubriques « faits divers » de jour­naux amé­ri­cains, ces inci­dents iso­lés n’ont pas voca­tion à inquié­ter au-​delà des per­sonnes concer­nées. Mais, soi­gneu­se­ment choi­sis, agré­gés et mis en scène, leur accu­mu­la­tion peut déclen­cher une sen­sa­tion de dan­ger, voire pro­vo­quer une cer­taine para­noïa. Cette sélec­tion d’informations anxio­gènes est envoyée aux pro­prié­taires de pro­duits Ring… pour leur en four­guer d’autres.

Rachetée par Amazon en 2018 pour un mil­liard de dol­lars, Ring pro­pose des son­nettes d’entrée connec­tées, dotées d’une camé­ra HD. Autour de l’objet, Amazon a créé tout un éco­sys­tème de sécu­ri­té du domi­cile : alarmes, détec­teurs, vision noc­turne à infra­rouge, micros, cap­teurs pour savoir si ou quand une porte ou une fenêtre est ouverte, abon­ne­ment à un ser­vice de sécu­ri­té… Un beau cata­logue de gad­gets pour trans­for­mer une mai­son en for­te­resse. Le tout est com­man­dé depuis une appli­ca­tion mobile. Un mou­ve­ment sus­pect autour de la mai­son ? La sonnette-​­caméra Ring envoie une alerte et lance une trans­mis­sion en live d’un flux vidéo.

En encou­ra­geant les uti­li­sa­teurs et uti­li­sa­trices à envi­sa­ger le pire, Amazon maxi­mise donc ses chances de vendre ses appa­reils de sur­veillance. Cette stra­té­gie com­mer­ciale peu hono­rable n’a rien de nou­veau. De nom­breux blogs ou comptes Twitter d’extrême droite agrègent déjà les faits divers, géné­ra­le­ment pour stig­ma­ti­ser une com­mu­nau­té en par­ti­cu­lier et sug­gé­rer qu’elle est une impor­tante source de violence.

Bienveillance com­mu­nau­taire

Exciter la para­noïa avec des articles alar­mistes est un jeu très dan­ge­reux dans un pays qui compte presque autant d’armes à feu que de citoyens. Mais ça, Amazon ne s’en sou­cie guère. Elle se targue même de déve­lop­per la bien­veillance com­mu­nau­taire avec son dis­po­si­tif « Ring Neighbors ». Voilà ce qu’on peut lire sur la page Web dédiée à cette appli­ca­tion : « Conçu pour élar­gir le péri­mètre de sécu­ri­té Ring de votre domi­cile à votre voi­si­nage, Ring Neighbors vous per­met de par­ta­ger et échan­ger faci­le­ment avec vos voi­sins au sujet des infrac­tions et pro­blèmes de sécu­ri­té exis­tants. » Quoi de mieux que de par­ta­ger ses peurs pour faire de la publi­ci­té gra­tuite aux camé­ras d’Amazon ?

La page déroule un argu­men­taire impla­cable : « Les don­nées dis­po­nibles sur la délin­quance dans votre quar­tier seront à por­tée de main. Nous sommes inti­me­ment convain­cus que l’information et la com­mu­ni­ca­tion ren­forcent les com­mu­nau­tés pour les rendre plus sûres. Ensemble, nous pou­vons rendre nos quar­tiers plus agréables pour nos familles, amis et voi­sins. » Merci, Amazon !

Mises en ser­vice en mai 2018, les son­nettes Ring ont déjà été cri­ti­quées à deux reprises. En jan­vier 2019, un rap­port, réa­li­sé par le maga­zine en ligne The Intercept, a révé­lé que plu­sieurs employé·es appar­te­nant à la socié­té ont pu consul­ter les flux vidéo issus des son­nettes. L’équipe de recherche, basée en Ukraine, a eu un accès presque illi­mi­té aux don­nées des pro­duits Ring pour tra­vailler à l’amélioration du sys­tème Neighbors. Les déve­lop­peurs ont ain­si pu mani­pu­ler les flux vidéo de toutes les camé­ras et son­nettes Ring com­mer­cia­li­sées et fonc­tion­nelles à tra­vers le monde. La base de don­nées per­met­tait de relier chaque client·e à chaque camé­ra car le fichier en ques­tion n’était pas chiffré.

Plus récem­ment, en juin, c’est la méthode publi­ci­taire d’Amazon qui a sou­le­vé de vives cri­tiques. L’entreprise a uti­li­sé l’une des vidéos issues de son appli­ca­tion Neighbors pour faire la pro­mo­tion des son­nettes Ring dans un post spon­so­ri­sé sur Facebook. On y voit une femme blanche qui marche entre deux voi­tures avec des clés à la main. La vidéo est accom­pa­gnée d’un mes­sage anxio­gène : « Habitant de Mountain View : reconnaissez-​vous cette femme ? Le 22 mai, cette femme a été fil­mée par une camé­ra en train de frac­tu­rer une voiture. »

Cette pra­tique pose plu­sieurs ques­tions juri­diques : on ne sait pas si la per­sonne pré­sente sur la vidéo a réel­le­ment com­mis un vol ou non ni si la firme amé­ri­caine peut uti­li­ser son visage dans l’une de ses publi­ci­tés. Admettons que tout cela ne soit que mal­adresse de la part d’Amazon. Admettons. Que se passera-​t-​il le jour où l’entreprise com­mu­ni­que­ra ses images aux forces de l’ordre pour mener une enquête ? Il s’agira tout sim­ple­ment d’un réseau de sur­veillance non offi­ciel, finan­cé – sans leur accord – par les habitant·es. On aura alors atteint le stade ultime du mar­ke­ting de la peur.

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