L’entreprise alimente à dessein un sentiment d’insécurité pour faire son beurre sur les craintes de ses clients.
![Amazon : grosse promo sur la peur 1 HS10 Amazon 1© Jeanne Macaigne pour Causette](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/03/HS10-Amazon-1©-Jeanne-Macaigne-pour-Causette-759x1024.jpg)
Amazon a bien compris deux choses (entre autres) : la peur fait vendre, et on n’est jamais si bien servi que par soi-même. Conclusion, pour populariser ses dispositifs de surveillance aux États-Unis, l’entreprise américaine a mis en place un service d’information spécialisé dans les faits divers. En mai, elle a publié une annonce pour recruter un·e journaliste chargé·e d’éditer des « alertes contenant des informations sur la criminalité ». Qualifications requises : avoir « un talent pour le storytelling engageant et à fort impact » et « une connaissance poussée et nuancée de la criminalité américaine ».
Tirés des rubriques « faits divers » de journaux américains, ces incidents isolés n’ont pas vocation à inquiéter au-delà des personnes concernées. Mais, soigneusement choisis, agrégés et mis en scène, leur accumulation peut déclencher une sensation de danger, voire provoquer une certaine paranoïa. Cette sélection d’informations anxiogènes est envoyée aux propriétaires de produits Ring… pour leur en fourguer d’autres.
Rachetée par Amazon en 2018 pour un milliard de dollars, Ring propose des sonnettes d’entrée connectées, dotées d’une caméra HD. Autour de l’objet, Amazon a créé tout un écosystème de sécurité du domicile : alarmes, détecteurs, vision nocturne à infrarouge, micros, capteurs pour savoir si ou quand une porte ou une fenêtre est ouverte, abonnement à un service de sécurité… Un beau catalogue de gadgets pour transformer une maison en forteresse. Le tout est commandé depuis une application mobile. Un mouvement suspect autour de la maison ? La sonnette-caméra Ring envoie une alerte et lance une transmission en live d’un flux vidéo.
En encourageant les utilisateurs et utilisatrices à envisager le pire, Amazon maximise donc ses chances de vendre ses appareils de surveillance. Cette stratégie commerciale peu honorable n’a rien de nouveau. De nombreux blogs ou comptes Twitter d’extrême droite agrègent déjà les faits divers, généralement pour stigmatiser une communauté en particulier et suggérer qu’elle est une importante source de violence.
Bienveillance communautaire
Exciter la paranoïa avec des articles alarmistes est un jeu très dangereux dans un pays qui compte presque autant d’armes à feu que de citoyens. Mais ça, Amazon ne s’en soucie guère. Elle se targue même de développer la bienveillance communautaire avec son dispositif « Ring Neighbors ». Voilà ce qu’on peut lire sur la page Web dédiée à cette application : « Conçu pour élargir le périmètre de sécurité Ring de votre domicile à votre voisinage, Ring Neighbors vous permet de partager et échanger facilement avec vos voisins au sujet des infractions et problèmes de sécurité existants. » Quoi de mieux que de partager ses peurs pour faire de la publicité gratuite aux caméras d’Amazon ?
La page déroule un argumentaire implacable : « Les données disponibles sur la délinquance dans votre quartier seront à portée de main. Nous sommes intimement convaincus que l’information et la communication renforcent les communautés pour les rendre plus sûres. Ensemble, nous pouvons rendre nos quartiers plus agréables pour nos familles, amis et voisins. » Merci, Amazon !
Mises en service en mai 2018, les sonnettes Ring ont déjà été critiquées à deux reprises. En janvier 2019, un rapport, réalisé par le magazine en ligne The Intercept, a révélé que plusieurs employé·es appartenant à la société ont pu consulter les flux vidéo issus des sonnettes. L’équipe de recherche, basée en Ukraine, a eu un accès presque illimité aux données des produits Ring pour travailler à l’amélioration du système Neighbors. Les développeurs ont ainsi pu manipuler les flux vidéo de toutes les caméras et sonnettes Ring commercialisées et fonctionnelles à travers le monde. La base de données permettait de relier chaque client·e à chaque caméra car le fichier en question n’était pas chiffré.
Plus récemment, en juin, c’est la méthode publicitaire d’Amazon qui a soulevé de vives critiques. L’entreprise a utilisé l’une des vidéos issues de son application Neighbors pour faire la promotion des sonnettes Ring dans un post sponsorisé sur Facebook. On y voit une femme blanche qui marche entre deux voitures avec des clés à la main. La vidéo est accompagnée d’un message anxiogène : « Habitant de Mountain View : reconnaissez-vous cette femme ? Le 22 mai, cette femme a été filmée par une caméra en train de fracturer une voiture. »
Cette pratique pose plusieurs questions juridiques : on ne sait pas si la personne présente sur la vidéo a réellement commis un vol ou non ni si la firme américaine peut utiliser son visage dans l’une de ses publicités. Admettons que tout cela ne soit que maladresse de la part d’Amazon. Admettons. Que se passera-t-il le jour où l’entreprise communiquera ses images aux forces de l’ordre pour mener une enquête ? Il s’agira tout simplement d’un réseau de surveillance non officiel, financé – sans leur accord – par les habitant·es. On aura alors atteint le stade ultime du marketing de la peur.