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Lai Choi San (deuxième en partant de la droite), à bord de son navire. Elle possédait en outre une flotte de douze jonques armées. © L. Ekkers/Spaarnestad Photo

Lai Choi San, la fli­bus­tière de Macao

Au début du XXe siècle, les côtes du sud de la Chine sont infestées de pirates. Parmi eux, une femme : Lai Choi San. À 40 ans, elle est à la tête d’une flotte de douze navires qui rackettent et rançonnent tout ce qui passe au large de Macao. En 1930, un journaliste américain a pu rencontrer cette dame de fer.

Un pirate, c’est poilu, borgne et crasseux. Ça écume les mers, poussé par la faim ou l’appât du gain. Ça déterre des trésors, ça part à l’abordage le couteau entre les dents, ça s’enivre de femmes et d’alcool. C’est en tout cas ce que nous content depuis la nuit des temps Homère, Defoe ou Stevenson... Mais la littérature oublie que la piraterie s’est aussi conjuguée au féminin. À toutes les époques, des « amazones des mers » se sont illustrées par leur habileté au combat et à la navigation. Parmi elles, Lai Choi San. Dans les années 1920-1930, cette Chinoise régnait sur les eaux de Macao, colonie portugaise située non loin de Hongkong, connue pour ses tripots et ses nuits interlopes.

À cette époque, le sud de la Chine est le royaume des pirates. Sur les routes maritimes, des bandits bien organisés terrorisent, attaquent, pillent, rançonnent, torturent, tuent. Tout navire croisé est une proie, une source potentielle de profits, qu’il soit chinois ou européen, qu’il transporte des voyageurs, des marchandises ou des pêcheurs.

Un journaliste à bord

Dans cet univers de feu et de sang, Lai Choi San a occupé une place de première importance. On connaît les détails de son existence grâce à la témérité – à moins qu’il s’agisse d’inconscience – d’un journaliste américain d’origine suédoise : Aleko Lilius. Il est en effet parvenu à embarquer quelques jours sur le bateau de cette femme redoutable.

Leur rencontre a lieu en 1930. Depuis plusieurs semaines, Aleko Lilius navigue entre Hongkong et Macao. Il enquête pour le compte de plusieurs journaux sur le monde de la flibuste en mer de Chine. Le reporter cherche à se faire embarquer pour Bias Bay, un repaire de pirates qu’il croit être la base arrière d’un puissant réseau de banditisme. Il épluche les rapports de police, s’entretient avec officiels et capitaines, écume les casinos et les bordels de Macao... L’une de ses sources finit par le rancarder avec un pirate. À sa grande surprise, c’est sur une femme qu’il tombe.

Le journaliste est immédiatement fasciné. « Quelle femme ! Petite et assez menue, les cheveux noirs comme du jais, avec des pendentifs de jade brillant à son cou, des boucles d’oreilles et des bracelets de la même pierre précieuse vert pomme. Elle était vêtue d’une manière exquise, en robe de satin blanc [...]. Son visage et ses yeux – pas trop chinois, mais bien sûr mongols – respiraient l’intelligence. »

La pirate part le lendemain en direction de Bias Bay. Elle accepte de l’y emmener, en échange de 43 dollars par jour, et lui demande s’il est conscient que le voyage sera assez dangereux. « Dangereux ! Pourquoi ? » lance le reporter. La lady sourit sans répondre. Après l’entrevue, un vieux loup de mer le met en garde contre celle qu’il nomme « la reine des pirates de Macao » : « Lai Choi San est supposée être la pire de tous. On dit qu’elle est à la fois impitoyable et cruelle. »

Une jonque de… guerre

Le lendemain, à l’aube, le journaliste prend la mer aux côtés de la « reine ». Son navire, une grande jonque – proue effilée, large poupe coiffée de voiles claires –, porte quatorze canons. Les membres d’équipage, une vingtaine, arborent fusils, pistolets et munitions. À quoi cet arsenal sert-il ? Aleko Lilius ne va pas tarder à le comprendre. Rapidement, le bateau se retrouve au milieu d’une centaine de jonques de pêcheurs. La cheffe ordonne de poursuivre la plus grande. Après plusieurs coups de fusil, la voile s’affale, l’équipage est rançonné. Puis l’embarcation reprend sa route. Le lendemain, les bandits surprennent des bateaux ennemis. Le reporter est poussé dans la cale, les canons tonnent. Quand il réapparaît, l’Américain voit « deux hommes couchés sur le pont, blessés et ligotés et, à quelque distance, la coque d’une jonque qui sombre ».

Sur le bateau, Lai Choi San déambule, impassible, fusil à la main, veste et pantalon noirs, pieds nus. Elle tire parfois sur la pipe d’opium commune, mais garde le plus souvent ses distances. Sa parole, autoritaire, n’admet aucune réplique. « Elle donnait ses ordres directement au capitaine [...]. Elle ne parlait jamais à un membre de l’équipage... » décrira le journaliste.

Lai Choi San est une femme puissante et riche. Son nom, qui signifie « la montagne de la fortune », lui va comme un gant. Elle possède au moins douze jonques armées. Avec cette flotte, elle assure la « protection » des navires de pêche qui travaillent au large de Macao, moyennant un impôt versé par chacun. Elle s’applique également à mater les autres bandes pirates qui auraient la mauvaise idée de lui disputer son territoire. Dans ce cas, elle fait toujours des prisonniers pour monnayer leur libération : une oreille ou une main coupée, envoyée à la famille, accélère généralement le paiement.

Des amours explosives

Ce sens des affaires, elle le doit à son père, lui-même pirate. Dès son plus jeune âge, l’apprentie le suit sur son vaisseau. À sa mort, elle hérite de la totalité de sa flotte, sept navires, et fait largement prospérer l’affaire familiale. En toute indépendance.

Ses amours semblent aussi explosives que ses affaires. Elle a été mariée deux fois. « Son premier mari a rejoint ses ancêtres, après une brève et vive dispute sur un sujet domestique [...], rapporte Aleko Lilius. Son second mari  “n’a pas vraiment été son mari”, me dit-elle […]. Quant au reste, elle a eu de nombreux amants. » Sa vie sulfureuse inspira d’ailleurs plusieurs auteurs de fiction, comme celui de bandes dessinées Milton Caniff, qui créa la série Terry and the Pirates, ou encore Marlon Brando et Donald Cammell dans leur roman Les Tigres de la mer de Chine. 

Lai Choi San disparut des radars à la fin des années 1930. Certains estiment qu’elle est morte au combat en 1937. En pleine guerre entre la Chine et le Japon, sa bande aurait été victime d’une attaque foudroyante de la marine japonaise. D’autres pensent qu’elle a continué ses affaires sous une autre identité... Ce mystère contribua à forger sa légende.


Femmes pirates. Les Écumeuses des mers, de Marie-Ève Sténuit. Éd. du Trésor, 2015. 

Les Amazones des sept mers, de Gérard A. Jaeger. Éd. du Félin, 2003. 

Avec les pirates de la mer de Chine, d’Aleko Lilius, dans L’Illustration, du 21 juin 1930. Consultable sur www.lillustration.com.

Pirate en mer de Chine, d’Aleko Lilius, traduit de l’anglais (américain) par Catherine Bailly, Éd. Philippe Picquier, coll. Poche, 2001.

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