MISE À JOUR – 06/11/20 : La romancière Chloé Delaume a remporté ce 06 novembre, l'édition 2020 du prix Médicis, dans la catégorie roman français pour Le cœur synthétique.
En cette rentrée, Chloé Delaume – qui a mis un bon coup de pied dans la fourmilière il y a un an et demi avec son pamphlet féministe Mes bien chères sœurs – revient avec une comédie sur le célibat truffée de punchlines hilarantes, Le Cœur synthétique. Une impitoyable analyse sociologique du marché de la séduction passé 45 ans. Où il est beaucoup question de lose, des paradoxes du féminisme et de sororité. Le tout saupoudré d’une touche de sorcellerie. Interview fleuve et sans langue de bois.
![Chloé Delaume : « Les féministes se font cracher à la gueule depuis quelque temps de façon assez éhontée » 1 delaume chloe sophie couronne](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/08/delaume-chloe-sophie-couronne-1024x1024.jpg)
Causette : On vous avait laissée il y a un an avec Mes bien chères sœurs, qui a super bien marché. Qu’est-ce que ce pamphlet a changé pour vous ?
Chloé Delaume : Oui, je suis contente que ça ait été entendu. Il a marché trois fois plus que mes autres livres. Ça m’a poussée dans mon envie de continuer à parler aux copines. Ça a incarné les lecteurs. Car avec ce livre, j’ai fait beaucoup de lectures et de rencontres et, du coup, je suis allée à la rencontre du profil de femmes à qui j’avais envie de parler, c’est devenu concret.
Et alors, c’est qui votre lectorat ?
C. D. : Plutôt des femmes un peu énervées et qui ont un rapport sensible à la langue. Il y en a pas mal en fait ! Et c’était chouette, car c’était la première fois, en vingt ans de publication, que je me sentais utile. Jusqu’à présent, l’utilité était esthétique. J’écrivais pour défricher des formes. Ça restait cantonné à l’art. Avec Mes bien chères sœurs, ça a été autre chose. D’abord, il y a eu l’émergence du terme de « sororité », qui tourne beaucoup plus maintenant. Je ne dis pas que j’y suis pour quelque chose, mais c’est arrivé au bon moment. Un moment où je pouvais être entendue. J’ai eu la sensation que ça donnait de l’empowerment. J’ai réussi, je crois, à apporter un peu de force aux frangines, du coup, je me suis sentie un peu utile. Et on fait pas un boulot où on se sent utile très souvent, pour être honnête.
Comment ce pamphlet est-il né ?
C. D. : J’ai fait une « résidence Île-de-France ». Pendant plusieurs mois, un auteur va travailler dans un lieu sur une thématique qu’il développera ensuite dans un livre. Je voulais travailler sur les utopies féministes, donc je suis allée bosser pendant dix mois à la librairie féministe Violette and Co, rue de Charonne et au Palais de la femme, qui se trouve juste à côté. Pour faire une passerelle entre les deux. À la librairie, j’invitais des autrices ou des éditrices pour parler du rapport des utopies féministes dans la littérature et, en parallèle, je faisais des ateliers d’écriture avec des femmes du Palais de la femme et du public de la librairie. Au début, je voulais faire une pièce de théâtre. Puis j’ai vite compris que c’était pas simple. Alors je me suis dit : « On va faire un manifeste. » Même si, en vérité, je ne savais pas vraiment la forme que ça allait prendre avant de m’y mettre.
Solanas, je l’ai lue à 15 ans. J’ai tout pris au premier degré. […] Ça m’a fait hurler de rire et j’ai adhéré tout de suite
Vous aviez Virginie Despentes et Valerie Solanas en tête en l’écrivant ?
C. D. : Solanas beaucoup. Solanas, pour moi, c’est la mère fondatrice [Valerie Solanas est l’autrice du très radical et très culte Scum Manifesto, ndlr]. Je l’ai lue à 15 ans. J’ai tout pris au premier degré. Et je me souviens très bien que ma camarade qui m’avait prêté le bouquin était très dubitative. Moi, ça m’a fait hurler de rire et j’ai adhéré tout de suite. Et puis, l’année dernière, j’ai été marraine d’un festival, Les Parleuses, qui a pour but de mettre en valeur le matrimoine littéraire et j’ai présenté une conférence sur Valerie Solanas. C’est elle que j’ai choisie comme figure tutélaire. C’est en podcast ! Toutes les lectrices de Causette peuvent l’écouter.
En ce moment, dans le paysage féministe français, les tensions sont vives. Comment analysez-vous le climat actuel ?
C. D. : Je pense vraiment que c’est la guerre et qu’on en a pour cinq ans. Il y a un an et demi, quand j’ai sorti Mes bien chères sœurs, je pensais plutôt cinq à dix ans. Mais quand je vois la réactivité et la combativité des filles, et quand je vois à quel point l’empowerment est intégré par la jeune génération – tout comme le « je ne me laisse plus faire merci de ne plus toucher mes fesses » – eh bien, je pense que ça peut être réglé en cinq ans. Mais ça va être hyper violent. Avec des éclats à la Alice Coffin. Et soit dit en passant, j’ai adoré sa sortie : « Moi, en tant que femme, ne pas avoir un mari, ça m’expose plutôt à ne pas être violée, ne pas être tuée, ne pas être tabassée. Et cela évite que mes enfants le soient aussi. » Ça a choqué beaucoup de copines. Mais moi, j’ai adoré.
En même temps, ça résonne particulièrement avec votre histoire… [Le père de Chloé Delaume a tué sa mère sous ses yeux avant de retourner l’arme contre lui.]
C. D. : Oui, forcément, donc là-dessus, je ne peux qu’adhérer à ce qu’elle dit… Et puis sur ce sujet-là, on a besoin de voix radicales. La violence en face est telle ! Nommer Darmanin à son poste, c’est quand même valider, au-delà même de l’appellation de viol, le fait que cet homme ait fait pression sur une femme et abusé de sa position. Au-delà même de la culture du viol, on est dans l’abus de pouvoir permanent du patriarcat… La grande cause du quinquennat, merci bien ! On se fait quand même cracher à la gueule depuis quelque temps de façon assez éhontée. Les Césars, c’était pareil. Du coup, ça durcit les lignes. Moi, je n’aspire pas à écrabouiller l’homme, que les choses soient très claires. J’aspire juste à un rapport égalitaire. Ces derniers temps, on a pu me placer à des endroits pour que j’incarne la parole radicale de service sur des plateaux télé ou des antennes radio. Et je ne suis pas une Solanas à ce point ancrée ! Je ne suis pas viscéralement misandre. J’ai une méfiance folle, mais c’est autre chose. Le problème, lui, est systémique.
Moi, ma vision, c’est que la femme est une classe. Et le prolétariat du prolétariat… On est en bout de chaîne et super impactées
Et pourquoi cinq ans ?
C. D. : C’est le temps pour qu’on ait les mots, déjà. Ça a mis quelques mois pour que la notion de sororité s’infiltre. Ça met du temps parfois pour qu’une expression comme la cancel culture, par exemple, surgisse et se fasse une place. Le fait qu’on ait des mots pour nommer les choses est essentiel. Il faut cinq ans pour qu’on ait tous les outils pour nommer le réel.
Je pense que ça va se durcir encore dans les années qui viennent et que ça se détendra quand on aura des acquis. Tant que les acquis ne sont pas là… Ce temps de durcissement, il est historique. Alors ça peut être effrayant, mais ça peut aussi être super excitant. Et je pense que si on loupe cette fenêtre-là, on est parties pour des décennies de rétrogradation. Vu le durcissement, par ailleurs, de toutes les formes de violence exercées sur les corps et les classes inférieures de nos jours, la réponse ne peut être que radicale. Moi, ma vision, c’est que la femme est une classe. Et le prolétariat du prolétariat… On est en bout de chaîne et super impactées.
Vous, vous abordez toujours la question féministe avec beaucoup d’humour et de joyeuseté. Là, en ce moment, on ne peut pas dire que le féminisme soit au taquet de l’humour. Ça ne vous ennuie pas ?
C. D. : On est obligées d’en passer par là et c’est signe de militantisme en fait. Je ne connais pas de mouvement militant avec des rigolos. Que ce soit chez les anarchos, vers l’ultragauche ou Extinction Rebellion, ce n’est pas l’endroit pour faire des blagues. Les milieux militants sont des milieux dénués d’humour. Et c’est normal. Moi, en tant qu’autrice, je peux me permettre de faire des blagues, car je n’ai pas les mains dans le cambouis toute la journée. Cela dit, là, on voit que dans les milieux militants, féministes durs, y a de l’humour dans les slogans et les pancartes. C’est là que l’humour s’exprime.
Le Cœur synthétique, votre nouveau roman, vous l’avez écrit très vite après Mes bien chères sœurs…
C. D. : Oui, celui-là j’ai mis trois mois à l’écrire. Hyper vite ! Mais en fait, je l’ai écrit en forme d’épisodes et chaque fois que je finissais un épisode, je l’envoyais aux copines. J’étais dans une sorte d’urgence à faire l’andouille pour faire rire les copines. Du coup, ça allait très vite !
Vous revenez avec une comédie romantique…
C. D. : Ouais, c’est une parodie de chick lit [littérature pour poulettes] ! Il y a tous les ingrédients de la chick lit mais ils sont twistés. On y retrouve une sorte de Bridget Jones qui lose et qui attend le prince charmant comme une débile. Bon, je ne vais quand même pas jusqu’à parodier les romans feel good, quand même. Faut pas déconner ! Car même s'il est détourné on ne peut pas faire du bon boulot !
Qu’est-ce qui vous a menée sur cette voie ?
C. D. : La situation générale de mon groupe sororal de célibataires. C’est-à-dire qu’on losait toutes. Avec des profils très différents, des attentes différentes et des modes relationnels très différents. Certaines sur Tinder, certaines qui courent les fêtes, d’autres qui ont fait le deuil depuis bien longtemps. Moi, je suis très téléphone, je suis vraiment une fille des années 1980, donc je passe trois heures par jour avec des copines au téléphone. Et je me nourris beaucoup des récits qu’on me fait. Y a des nanas que j’ai vues une fois dans une fête y a trois ans, mais dont je connais l’intégralité de la vie, car c’est des copines de copines et qu’entre nous ça jacte ! Et je me suis retrouvée avec un nombre de récits incalculables qui convergeaient tous vers la lose et ses différentes incarnations. Puis je losais aussi, que les choses soient claires. Donc là, je me suis dit, on tient un sujet ! On peut peut-être divertir les copines avec la description de ce moment où on est hyper autonomes, où on a une vision féministe des choses dans le rapport à l’homme, mais où on se sent quand même incomplète de pas être en couple avec un homme. Alors on se dit que c’est quand même une putain de malédiction d’être hétéro. C’est très difficile à gérer de se dire qu’en plus, dans cette période particulière, le mec peut être alpha donc quand même potentiellement un ennemi, tout en pensant au secours je suis seule ! Et qu’est-ce qu’on fait de cette solitude. Moi, j’étais plus ou moins dans le cas de l’héroïne, dans le sens où j’ai été toujours de bras en bras. Je n’avais jamais connu le célibat plus de trois mois. J’avais des histoires longues que je rompais, car je rencontrais quelqu’un d’autre. D’ailleurs, je ne me rendais même pas compte que j’avais été excessivement préservée dans le parcours amoureux. Du coup, quand je me suis séparée, je n’étais pas préparée. J’avais un peu une idée, via les récits des copines, mais je n’avais pas expérimenté la solitude. Trois mois… on a juste le temps de se faire un peu chier. Moi, mon pire ennemi, c’est l’ennui. Je me fais chier à une vitesse ! Donc fallait que j’apprivoise ce temps flottant… Depuis que j’avais 17 ans, je dînais avec quelqu’un le soir. Soudain, j’avais plein de repères qui sautaient.
Votre héroïne retourne sur le marché de la séduction, où, dit-elle, elle a le sentiment de ne pas valoir plus qu’une « barquette de viande avariée » ?
C. D. : C’est le regard qui est posé par les hommes sur les femmes de plus de 40 ans malheureusement. Elle est confrontée à une réalité très cruelle qui est qu’elle est mise en concurrence désormais avec les plus jeunes. Et qu’elle a affaire à des profils très différents de ceux auxquels elle avait accès dix ans auparavant. Elle se coltine les vieux garçons, en gros. Ou les profils dysfonctionnant où l’égoïsme est maître et la notion de partage très difficile. Et puis, avec les applis, il y a une accélération de la consommation. Il faut une efficacité comme sur un marché économique ultra libéral. Il faut être dans laperformancedès les premières minutes du rencard. Enfin, il y a le problème des chiffres. C’est-à-dire qu’il y a plus de femmes que d’hommes. Y a trop de femmes célibataires ! Y a donc des meufs destinées à rester sur le carreau pour des raisons de chiffres !
Comment on fait quand on a travaillé sur soi pour se défaire du regard des hommes, qu’on est s’affranchie de leur regard sur plein de trucs, mais que sur le plan sentimental, bah… on a du mal à s’en passer ?
On en est toujours là, vous croyez ? Dans ces vieux schémas où les hommes ne sont intéressés que par les femmes plus jeunes ?
C. D. : Ils ne le revendiquent pas tous comme Yann Moix, mais dans les faits… Je crois que ça les rassure profondément. Moi, j’ai constaté que des hétéros très bien, avec un cerveau bien fait et tout, sont allés, après une première union, vers l’assistante, la collègue qui a dix ans de moins. Des mecs bien, qui sont pourtant tombés dans le travers. Ils y ont accès, pourquoi se priver ! Mais c’est évidemment prendre l’ascendant sur elles… Le mec brillera toujours avec un écart d’âge. Il y aura toujours un côté pygmalion. Même s’il est moins cultivé qu’elle ! J’ai eu accès à un secret humain qui m’a été confié par Maud Kristen, une grande voyante. Bon… qu’on croit ou non à la voyance, là en l’occurrence, c’est une femme qui est très bonne psychologue et qui a eu accès en trente ans à énormément de profils humains. Et à ce qui se dit dans l’alcôve d’une voyante. Et bah, c’est simple. Les mecs ne demandent que le professionnel. Les femmes ne demandent que le sentimental. Et Maud m’a dit un jour : « Tu sais, les mecs n’ont pas peur des femmes, ils veulent juste pas être emmerdés. » Ça clarifie les choses ! Ils veulent juste pas s’emmerder avec une égale intellectuelle… Ce qu’ils souhaitent, c’est le repos du guerrier. Les femmes, bien souvent, quand elles sont avec des hommes plus jeunes, elles s’ennuient. Ça ne l’excite pas de ne pas être challengée, la meuf ! Le garçon, lui, il semblerait qu’être challengé le fatigue…
Elle est bien emmerdée cette héroïne, car elle est féministe. Et en même temps, elle voit bien qu’elle a envie d’exister dans les yeux d’un homme…
C. D. : Mais oui, c’est terrible. Comment on fait quand on a travaillé sur soi pour se défaire du regard des hommes, qu’on est s’affranchie de leur regard sur plein de trucs, mais que sur le plan sentimental, bah… on a du mal à s’en passer ? Le désir passe par là… Mais en même temps, au final, on va rester seule, car on ne veut pas en tant que féministe faire des compromis pour autant. Donc oui, y a une génération sacrifiée, la mienne ! Et si on est pas hyper aventurière et qu’on n’a pas envie de coucher pour le fun, on se retrouve rapidement abstinente. Alors, finalement, plutôt que de s’acharner à se taper des relations pourries, bah on attend gentiment que ça passe.
Si on veut sérieusement trouver quelqu’un, c’est un travail à plein temps quoi ! Ah non ! moi, j’ai un scénario à finir pour la rentrée avec des zombies dedans, c’est beaucoup plus important !
Vous en êtes là, vous ?
C. D. : Moi, je suis en mode « j’ai autre chose à faire ». Je n’ai pas un rapport de divertissement au flirt et à la bagatelle. C’est pas des situations dans lesquelles je me sens powerfull. Ça me fragilise plus que ça ne me galvanise. Je suis plutôt passive dans la chasse. Et puis si on veut sérieusement trouver quelqu’un, c’est un travail à plein temps quoi ! Ah non ! moi, j’ai un scénario à finir pour la rentrée avec des zombies dedans, c’est beaucoup plus important !
Pourtant, vous vous épanouissez dans le couple ?
C. D. : Oui, la conjugalité me va plutôt bien au teint. C’est un fait ! Mais j’arrive à l’âge où les compromis qu’implique la conjugalité, je ne suis plus prête à les faire. Par exemple, je ne me vois pas habiter avec quelqu’un alors que j’ai toujours vécu avec quelqu’un. Y a une maîtrise du temps que je ne suis plus prête à sacrifier. Depuis que je suis seule, je travaille un tiers plus. Et ça me plaît bien. Le couple, c’est du temps passé à écouter l’homme. Même à 50 balais, le mec, il ne se connaît pas très bien. Et ce côté « Je te raconte mon rêve de la nuit » ; « Je ne sais pas trop où j’en suis, aide-moi ». Toute cette charge émotionnelle, en plus de tenir la baraque, je n’en ai plus envie. Il m’en faudrait un extrêmement autonome et qui se connaîtrait très bien. Mais du coup, ça ressemblerait à une fille ! Or j’ai déjà eu une histoire d’amour avec une fille et je sais que c’était une personne, mais c’est tout. Car je ne suis pas attirée sexuellement par les filles, je sais que ça ne va pas se reproduire. Je serais lesbienne, ce serait sûrement compliqué ailleurs, mais je pense que ce serait plus simple dans le rapport de connivence immédiate, de fluidité.
Ne pas avoir d’enfant, ça désociabilise, dites-vous.
C. D. : C’est vécu. Passé la trentaine, se faire des amis, c’est compliqué. Les gens avec enfants se font des amis à l’école, se voient le dimanche pour faire des activités qui sont très chiantes pour des gens qui n’ont pas d’enfant. Nous, il nous reste la fête du samedi, qui n’a plus lieu qu’une fois tous les trois mois. J’ai plein d’amis, mais les activités sont quand même moindres en groupe. Les copines avec enfants sont quand même moins dispo. Quand on a une sainte horreur des enfants, c’est compliqué.
C’est votre cas ?
C. D. : Ah oui ! vraiment. Par contre, les ados, alors qu’ils épuisent tout le monde, c’est mon gros truc. Donc là, j’ai hâte d’être dans 4–5 ans pour que les enfants de mes amis soient ados. Au moment où ils ont envie de mourir et qu’ils détestent tout le monde, le contact passe bien avec moi ! La souffrance ado, j’y suis hyper empathique, alors que le côté pervers polymorphe de l’enfant me met extrêmement mal à l’aise. Bon, c’est lié à mon parcours. On ne peut pas avoir envie de reproduire une cellule familiale qui finit comme ça. Et il y a aussi un truc de caractère. Enfant, les enfants m’insupportaient. J’ai été surnommée la crâneuse quand j’étais en primaire, car je lisais dans la cour de récré. J’ai toujours eu beaucoup de mal avec les cris étant moi-même enfant !
Si dans une fête, un dîner, un homme fait preuve de paternalisme, on se regarde et on sait que le cercle est là. Il va y avoir un soutien par la parole et par le geste. Depuis qu’on a le mot [sororité, ndlr], c’est beaucoup plus fort.
Comment la sororité se traduit concrètement dans votre vie ?
C. D. : Il y a la sororité du cercle proche, où on sait qu’il y a un lien indéfectible et que si l’une d’entre nous a un problème nous trouverons une solution. Et je dis « nous » à dessein, car c’est vraiment une question de constitution de groupe. Et pour ce qui est des inconnues, il y a une sorte d’identification en un coup d’œil qui fait qu’on est dans la bienveillance et le soutien. Pour moi, ça c’est une arme de destruction massive. Et pourtant, je ne suis pas dans la bienveillance à tout crin. J’ai plutôt un côté très sombre… Mais ça, c’est très effectif. Si dans une fête, un dîner, un homme fait preuve de paternalisme, on se regarde et on sait que le cercle est là. C’est efficient. Il va y avoir un soutien par la parole et par le geste. Depuis qu’on a le mot, c’est beaucoup plus fort.
Vous pratiquez la sorcellerie depuis longtemps…
C. D. : J’ai fait mon apostasie en 2010. Quand le pape, Benoit XVI à l’époque, a expliqué que les homos iraient en enfer. J’étais avec une femme à ce moment-là. Jusqu’ici, j’étais une fervente catholique. De mon propre chef, j’avais demandé à suivre les cours de cathé. Je suis allée au-delà de la confirmation. Jusqu’aux jeunes chrétiens. Mais j’ai perdu la foi. Pour ne pas faire partie des statistiques des catholiques de France, chiffres utilisés par les gens de la Manif pour tous, pour dire « non je ne suis pas des vôtres », j’ai fait mon apostasie. Du coup, il faut faire un papier à l’évêque pour être rayé du registre des catholiques. J’ai spirituellement changé d’optique. Aujourd’hui, je suis polythéiste et je prie les déesses de l’Olympe. Et ce, depuis quelques années. C’est une foi personnelle que je me suis inventée. Tous les jours, je suis sous leur protection et celle de Lilith, qui sont des entités féminines. Ce que je trouve pratique avec elles, c’est que chacune incarne quelque chose de très concret, donc ça permet, comme une hygiène mentale, de décomposer ce qui s’est passé de positif dans la journée selon les postes. Un peu comme les bouddhistes. Et puis, je pratique un peu de magie traditionnelle de purification, et les cartes. Avec l’oracle Belline.
![Chloé Delaume : « Les féministes se font cracher à la gueule depuis quelque temps de façon assez éhontée » 2 coeur synthetique le](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/08/coeur-synthetique-le-699x1024.jpg)
Le Cœur synthétique, de Chloé Delaume. Éd. du Seuil, 208 pages, 18 euros.