Chloé Delaume : « Les fémi­nistes se font cra­cher à la gueule depuis quelque temps de façon assez éhontée »

MISE À JOUR – 06/​11/​20 : La roman­cière Chloé Delaume a rem­por­té ce 06 novembre, l'édition 2020 du prix Médicis, dans la caté­go­rie roman fran­çais pour Le cœur synthétique.

En cette ren­trée, Chloé Delaume – qui a mis un bon coup de pied dans la four­mi­lière il y a un an et demi avec son pam­phlet fémi­niste Mes bien chères sœurs – revient avec une comé­die sur le céli­bat truf­fée de pun­chlines hila­rantes, Le Cœur syn­thé­tique. Une impi­toyable ana­lyse socio­lo­gique du mar­ché de la séduc­tion pas­sé 45 ans. Où il est beau­coup ques­tion de lose, des para­doxes du fémi­nisme et de soro­ri­té. Le tout sau­pou­dré d’une touche de sor­cel­le­rie. Interview fleuve et sans langue de bois.

delaume chloe sophie couronne
© Sophie Couronne

Causette : On vous avait lais­sée il y a un an avec Mes bien chères sœurs, qui a super bien mar­ché. Qu’est-ce que ce pam­phlet a chan­gé pour vous ?
Chloé Delaume :
Oui, je suis contente que ça ait été enten­du. Il a mar­ché trois fois plus que mes autres livres. Ça m’a pous­sée dans mon envie de conti­nuer à par­ler aux copines. Ça a incar­né les lec­teurs. Car avec ce livre, j’ai fait beau­coup de lec­tures et de ren­contres et, du coup, je suis allée à la ren­contre du pro­fil de femmes à qui j’avais envie de par­ler, c’est deve­nu concret.

Et alors, c’est qui votre lec­to­rat ?
C. D. : Plutôt des femmes un peu éner­vées et qui ont un rap­port sen­sible à la langue. Il y en a pas mal en fait ! Et c’était chouette, car c’était la pre­mière fois, en vingt ans de publi­ca­tion, que je me sen­tais utile. Jusqu’à pré­sent, l’utilité était esthé­tique. J’écrivais pour défri­cher des formes. Ça res­tait can­ton­né à l’art. Avec Mes bien chères sœurs, ça a été autre chose. D’abord, il y a eu l’émergence du terme de « soro­ri­té », qui tourne beau­coup plus main­te­nant. Je ne dis pas que j’y suis pour quelque chose, mais c’est arri­vé au bon moment. Un moment où je pou­vais être enten­due. J’ai eu la sen­sa­tion que ça don­nait de l’empo­werment. J’ai réus­si, je crois, à appor­ter un peu de force aux fran­gines, du coup, je me suis sen­tie un peu utile. Et on fait pas un bou­lot où on se sent utile très sou­vent, pour être honnête.

Comment ce pam­phlet est-​il né ?
C. D. : J’ai fait une « rési­dence Île-​de-​France ». Pendant plu­sieurs mois, un auteur va tra­vailler dans un lieu sur une thé­ma­tique qu’il déve­lop­pe­ra ensuite dans un livre. Je vou­lais tra­vailler sur les uto­pies fémi­nistes, donc je suis allée bos­ser pen­dant dix mois à la librai­rie fémi­niste Violette and Co, rue de Charonne et au Palais de la femme, qui se trouve juste à côté. Pour faire une pas­se­relle entre les deux. À la librai­rie, j’invitais des autrices ou des édi­trices pour par­ler du rap­port des uto­pies fémi­nistes dans la lit­té­ra­ture et, en paral­lèle, je fai­sais des ate­liers d’écriture avec des femmes du Palais de la femme et du public de la librai­rie. Au début, je vou­lais faire une pièce de théâtre. Puis j’ai vite com­pris que c’était pas simple. Alors je me suis dit : « On va faire un mani­feste. » Même si, en véri­té, je ne savais pas vrai­ment la forme que ça allait prendre avant de m’y mettre.

Solanas, je l’ai lue à 15 ans. J’ai tout pris au pre­mier degré. […] Ça m’a fait hur­ler de rire et j’ai adhé­ré tout de suite


Vous aviez Virginie Despentes et Valerie Solanas en tête en l’écrivant ?
C. D. : Solanas beau­coup. Solanas, pour moi, c’est la mère fon­da­trice [Valerie Solanas est l’autrice du très radi­cal et très culte Scum Manifesto, ndlr]. Je l’ai lue à 15 ans. J’ai tout pris au pre­mier degré. Et je me sou­viens très bien que ma cama­rade qui m’avait prê­té le bou­quin était très dubi­ta­tive. Moi, ça m’a fait hur­ler de rire et j’ai adhé­ré tout de suite. Et puis, l’année der­nière, j’ai été mar­raine d’un fes­ti­val, Les Parleuses, qui a pour but de mettre en valeur le matri­moine lit­té­raire et j’ai pré­sen­té une confé­rence sur Valerie Solanas. C’est elle que j’ai choi­sie comme figure tuté­laire. C’est en pod­cast ! Toutes les lec­trices de Causette peuvent l’écouter.

En ce moment, dans le pay­sage fémi­niste fran­çais, les ten­sions sont vives. Comment analysez-​vous le cli­mat actuel ?
C. D. : Je pense vrai­ment que c’est la guerre et qu’on en a pour cinq ans. Il y a un an et demi, quand j’ai sor­ti Mes bien chères sœurs, je pen­sais plu­tôt cinq à dix ans. Mais quand je vois la réac­ti­vi­té et la com­ba­ti­vi­té des filles, et quand je vois à quel point l’empo­werment est inté­gré par la jeune géné­ra­tion – tout comme le « je ne me laisse plus faire mer­ci de ne plus tou­cher mes fesses » – eh bien, je pense que ça peut être réglé en cinq ans. Mais ça va être hyper violent. Avec des éclats à la Alice Coffin. Et soit dit en pas­sant, j’ai ado­ré sa sor­tie : « Moi, en tant que femme, ne pas avoir un mari, ça m’expose plu­tôt à ne pas être vio­lée, ne pas être tuée, ne pas être tabas­sée. Et cela évite que mes enfants le soient aus­si. » Ça a cho­qué beau­coup de copines. Mais moi, j’ai adoré.

En même temps, ça résonne par­ti­cu­liè­re­ment avec votre his­toire… [Le père de Chloé Delaume a tué sa mère sous ses yeux avant de retour­ner l’arme contre lui.]
C. D. : Oui, for­cé­ment, donc là-​dessus, je ne peux qu’adhérer à ce qu’elle dit… Et puis sur ce sujet-​là, on a besoin de voix radi­cales. La vio­lence en face est telle ! Nommer Darmanin à son poste, c’est quand même vali­der, au-​delà même de l’appellation de viol, le fait que cet homme ait fait pres­sion sur une femme et abu­sé de sa posi­tion. Au-​delà même de la culture du viol, on est dans l’abus de pou­voir per­ma­nent du patriar­cat… La grande cause du quin­quen­nat, mer­ci bien ! On se fait quand même cra­cher à la gueule depuis quelque temps de façon assez éhon­tée. Les Césars, c’était pareil. Du coup, ça dur­cit les lignes. Moi, je n’aspire pas à écra­bouiller l’homme, que les choses soient très claires. J’aspire juste à un rap­port éga­li­taire. Ces der­niers temps, on a pu me pla­cer à des endroits pour que j’incarne la parole radi­cale de ser­vice sur des pla­teaux télé ou des antennes radio. Et je ne suis pas une Solanas à ce point ancrée ! Je ne suis pas vis­cé­ra­le­ment misandre. J’ai une méfiance folle, mais c’est autre chose. Le pro­blème, lui, est systémique.

Moi, ma vision, c’est que la femme est une classe. Et le pro­lé­ta­riat du pro­lé­ta­riat… On est en bout de chaîne et super impactées


Et pour­quoi cinq ans ?
C. D. : C’est le temps pour qu’on ait les mots, déjà. Ça a mis quelques mois pour que la notion de soro­ri­té s’infiltre. Ça met du temps par­fois pour qu’une expres­sion comme la can­cel culture, par exemple, sur­gisse et se fasse une place. Le fait qu’on ait des mots pour nom­mer les choses est essen­tiel. Il faut cinq ans pour qu’on ait tous les outils pour nom­mer le réel.
Je pense que ça va se dur­cir encore dans les années qui viennent et que ça se déten­dra quand on aura des acquis. Tant que les acquis ne sont pas là… Ce temps de dur­cis­se­ment, il est his­to­rique. Alors ça peut être effrayant, mais ça peut aus­si être super exci­tant. Et je pense que si on loupe cette fenêtre-​là, on est par­ties pour des décen­nies de rétro­gra­da­tion. Vu le dur­cis­se­ment, par ailleurs, de toutes les formes de vio­lence exer­cées sur les corps et les classes infé­rieures de nos jours, la réponse ne peut être que radi­cale. Moi, ma vision, c’est que la femme est une classe. Et le pro­lé­ta­riat du pro­lé­ta­riat… On est en bout de chaîne et super impactées.

Vous, vous abor­dez tou­jours la ques­tion fémi­niste avec beau­coup d’humour et de joyeu­se­té. Là, en ce moment, on ne peut pas dire que le fémi­nisme soit au taquet de l’humour. Ça ne vous ennuie pas ?
C. D. : On est obli­gées d’en pas­ser par là et c’est signe de mili­tan­tisme en fait. Je ne connais pas de mou­ve­ment mili­tant avec des rigo­los. Que ce soit chez les anar­chos, vers l’ultragauche ou Extinction Rebellion, ce n’est pas l’endroit pour faire des blagues. Les milieux mili­tants sont des milieux dénués d’humour. Et c’est nor­mal. Moi, en tant qu’autrice, je peux me per­mettre de faire des blagues, car je n’ai pas les mains dans le cam­bouis toute la jour­née. Cela dit, là, on voit que dans les milieux mili­tants, fémi­nistes durs, y a de l’humour dans les slo­gans et les pan­cartes. C’est là que l’humour s’exprime.

Le Cœur syn­thé­tique, votre nou­veau roman, vous l’avez écrit très vite après Mes bien chères sœurs
C. D. : Oui, celui-​là j’ai mis trois mois à l’écrire. Hyper vite ! Mais en fait, je l’ai écrit en forme d’épisodes et chaque fois que je finis­sais un épi­sode, je l’envoyais aux copines. J’étais dans une sorte d’urgence à faire l’andouille pour faire rire les copines. Du coup, ça allait très vite !

Vous reve­nez avec une comé­die roman­tique
C. D. : Ouais, c’est une paro­die de chick lit [lit­té­ra­ture pour pou­lettes] ! Il y a tous les ingré­dients de la chick lit mais ils sont twis­tés. On y retrouve une sorte de Bridget Jones qui lose et qui attend le prince char­mant comme une débile. Bon, je ne vais quand même pas jusqu’à paro­dier les romans feel good, quand même. Faut pas décon­ner ! Car même s'il est détour­né on ne peut pas faire du bon boulot !

Qu’est-ce qui vous a menée sur cette voie ?
C. D. : La situa­tion géné­rale de mon groupe soro­ral de céli­ba­taires. C’est-à-dire qu’on losait toutes. Avec des pro­fils très dif­fé­rents, des attentes dif­fé­rentes et des modes rela­tion­nels très dif­fé­rents. Certaines sur Tinder, cer­taines qui courent les fêtes, d’autres qui ont fait le deuil depuis bien long­temps. Moi, je suis très télé­phone, je suis vrai­ment une fille des années 1980, donc je passe trois heures par jour avec des copines au télé­phone. Et je me nour­ris beau­coup des récits qu’on me fait. Y a des nanas que j’ai vues une fois dans une fête y a trois ans, mais dont je connais l’intégralité de la vie, car c’est des copines de copines et qu’entre nous ça jacte ! Et je me suis retrou­vée avec un nombre de récits incal­cu­lables qui conver­geaient tous vers la lose et ses dif­fé­rentes incar­na­tions. Puis je losais aus­si, que les choses soient claires. Donc là, je me suis dit, on tient un sujet ! On peut peut-​être diver­tir les copines avec la des­crip­tion de ce moment où on est hyper auto­nomes, où on a une vision fémi­niste des choses dans le rap­port à l’homme, mais où on se sent quand même incom­plète de pas être en couple avec un homme. Alors on se dit que c’est quand même une putain de malé­dic­tion d’être hété­ro. C’est très dif­fi­cile à gérer de se dire qu’en plus, dans cette période par­ti­cu­lière, le mec peut être alpha donc quand même poten­tiel­le­ment un enne­mi, tout en pen­sant au secours je suis seule ! Et qu’est-ce qu’on fait de cette soli­tude. Moi, j’étais plus ou moins dans le cas de l’héroïne, dans le sens où j’ai été tou­jours de bras en bras. Je n’avais jamais connu le céli­bat plus de trois mois. J’avais des his­toires longues que je rom­pais, car je ren­con­trais quelqu’un d’autre. D’ailleurs, je ne me ren­dais même pas compte que j’avais été exces­si­ve­ment pré­ser­vée dans le par­cours amou­reux. Du coup, quand je me suis sépa­rée, je n’étais pas pré­pa­rée. J’avais un peu une idée, via les récits des copines, mais je n’avais pas expé­ri­men­té la soli­tude. Trois mois… on a juste le temps de se faire un peu chier. Moi, mon pire enne­mi, c’est l’ennui. Je me fais chier à une vitesse ! Donc fal­lait que j’apprivoise ce temps flot­tant… Depuis que j’avais 17 ans, je dînais avec quelqu’un le soir. Soudain, j’avais plein de repères qui sautaient.

Votre héroïne retourne sur le mar­ché de la séduc­tion, où, dit-​elle, elle a le sen­ti­ment de ne pas valoir plus qu’une « bar­quette de viande ava­riée » ?
C. D. : C’est le regard qui est posé par les hommes sur les femmes de plus de 40 ans mal­heu­reu­se­ment. Elle est confron­tée à une réa­li­té très cruelle qui est qu’elle est mise en concur­rence désor­mais avec les plus jeunes. Et qu’elle a affaire à des pro­fils très dif­fé­rents de ceux aux­quels elle avait accès dix ans aupa­ra­vant. Elle se col­tine les vieux gar­çons, en gros. Ou les pro­fils dys­fonc­tion­nant où l’égoïsme est maître et la notion de par­tage très dif­fi­cile. Et puis, avec les applis, il y a une accé­lé­ra­tion de la consom­ma­tion. Il faut une effi­ca­ci­té comme sur un mar­ché éco­no­mique ultra libé­ral. Il faut être dans laper­for­mancedès les pre­mières minutes du ren­card. Enfin, il y a le pro­blème des chiffres. C’est-à-dire qu’il y a plus de femmes que d’hommes. Y a trop de femmes céli­ba­taires ! Y a donc des meufs des­ti­nées à res­ter sur le car­reau pour des rai­sons de chiffres !

Comment on fait quand on a tra­vaillé sur soi pour se défaire du regard des hommes, qu’on est s’affranchie de leur regard sur plein de trucs, mais que sur le plan sen­ti­men­tal, bah… on a du mal à s’en passer ?


On en est tou­jours là, vous croyez ? Dans ces vieux sché­mas où les hommes ne sont inté­res­sés que par les femmes plus jeunes ?
C. D. : Ils ne le reven­diquent pas tous comme Yann Moix, mais dans les faits… Je crois que ça les ras­sure pro­fon­dé­ment. Moi, j’ai consta­té que des hété­ros très bien, avec un cer­veau bien fait et tout, sont allés, après une pre­mière union, vers l’assistante, la col­lègue qui a dix ans de moins. Des mecs bien, qui sont pour­tant tom­bés dans le tra­vers. Ils y ont accès, pour­quoi se pri­ver ! Mais c’est évi­dem­ment prendre l’ascendant sur elles… Le mec brille­ra tou­jours avec un écart d’âge. Il y aura tou­jours un côté pyg­ma­lion. Même s’il est moins culti­vé qu’elle ! J’ai eu accès à un secret humain qui m’a été confié par Maud Kristen, une grande voyante. Bon… qu’on croit ou non à la voyance, là en l’occurrence, c’est une femme qui est très bonne psy­cho­logue et qui a eu accès en trente ans à énor­mé­ment de pro­fils humains. Et à ce qui se dit dans l’alcôve d’une voyante. Et bah, c’est simple. Les mecs ne demandent que le pro­fes­sion­nel. Les femmes ne demandent que le sen­ti­men­tal. Et Maud m’a dit un jour : « Tu sais, les mecs n’ont pas peur des femmes, ils veulent juste pas être emmer­dés. » Ça cla­ri­fie les choses ! Ils veulent juste pas s’emmerder avec une égale intel­lec­tuelle… Ce qu’ils sou­haitent, c’est le repos du guer­rier. Les femmes, bien sou­vent, quand elles sont avec des hommes plus jeunes, elles s’ennuient. Ça ne l’excite pas de ne pas être chal­len­gée, la meuf ! Le gar­çon, lui, il sem­ble­rait qu’être chal­len­gé le fatigue…

Elle est bien emmer­dée cette héroïne, car elle est fémi­niste. Et en même temps, elle voit bien qu’elle a envie d’exister dans les yeux d’un homme…
C. D. : Mais oui, c’est ter­rible. Comment on fait quand on a tra­vaillé sur soi pour se défaire du regard des hommes, qu’on est s’affranchie de leur regard sur plein de trucs, mais que sur le plan sen­ti­men­tal, bah… on a du mal à s’en pas­ser ? Le désir passe par là… Mais en même temps, au final, on va res­ter seule, car on ne veut pas en tant que fémi­niste faire des com­pro­mis pour autant. Donc oui, y a une géné­ra­tion sacri­fiée, la mienne ! Et si on est pas hyper aven­tu­rière et qu’on n’a pas envie de cou­cher pour le fun, on se retrouve rapi­de­ment abs­ti­nente. Alors, fina­le­ment, plu­tôt que de s’acharner à se taper des rela­tions pour­ries, bah on attend gen­ti­ment que ça passe.

Si on veut sérieu­se­ment trou­ver quelqu’un, c’est un tra­vail à plein temps quoi ! Ah non ! moi, j’ai un scé­na­rio à finir pour la ren­trée avec des zom­bies dedans, c’est beau­coup plus important !


Vous en êtes là, vous ?
C. D. :
Moi, je suis en mode « j’ai autre chose à faire ». Je n’ai pas un rap­port de diver­tis­se­ment au flirt et à la baga­telle. C’est pas des situa­tions dans les­quelles je me sens power­full. Ça me fra­gi­lise plus que ça ne me gal­va­nise. Je suis plu­tôt pas­sive dans la chasse. Et puis si on veut sérieu­se­ment trou­ver quelqu’un, c’est un tra­vail à plein temps quoi ! Ah non ! moi, j’ai un scé­na­rio à finir pour la ren­trée avec des zom­bies dedans, c’est beau­coup plus important !

Pourtant, vous vous épa­nouis­sez dans le couple ?
C. D. : Oui, la conju­ga­li­té me va plu­tôt bien au teint. C’est un fait ! Mais j’arrive à l’âge où les com­pro­mis qu’implique la conju­ga­li­té, je ne suis plus prête à les faire. Par exemple, je ne me vois pas habi­ter avec quelqu’un alors que j’ai tou­jours vécu avec quelqu’un. Y a une maî­trise du temps que je ne suis plus prête à sacri­fier. Depuis que je suis seule, je tra­vaille un tiers plus. Et ça me plaît bien. Le couple, c’est du temps pas­sé à écou­ter l’homme. Même à 50 balais, le mec, il ne se connaît pas très bien. Et ce côté « Je te raconte mon rêve de la nuit » ; « Je ne sais pas trop où j’en suis, aide-​moi ». Toute cette charge émo­tion­nelle, en plus de tenir la baraque, je n’en ai plus envie. Il m’en fau­drait un extrê­me­ment auto­nome et qui se connaî­trait très bien. Mais du coup, ça res­sem­ble­rait à une fille ! Or j’ai déjà eu une his­toire d’amour avec une fille et je sais que c’était une per­sonne, mais c’est tout. Car je ne suis pas atti­rée sexuel­le­ment par les filles, je sais que ça ne va pas se repro­duire. Je serais les­bienne, ce serait sûre­ment com­pli­qué ailleurs, mais je pense que ce serait plus simple dans le rap­port de conni­vence immé­diate, de fluidité.

Ne pas avoir d’enfant, ça déso­cia­bi­lise, dites-​vous.
C. D. :
C’est vécu. Passé la tren­taine, se faire des amis, c’est com­pli­qué. Les gens avec enfants se font des amis à l’école, se voient le dimanche pour faire des acti­vi­tés qui sont très chiantes pour des gens qui n’ont pas d’enfant. Nous, il nous reste la fête du same­di, qui n’a plus lieu qu’une fois tous les trois mois. J’ai plein d’amis, mais les acti­vi­tés sont quand même moindres en groupe. Les copines avec enfants sont quand même moins dis­po. Quand on a une sainte hor­reur des enfants, c’est compliqué.

C’est votre cas ?
C. D. : Ah oui ! vrai­ment. Par contre, les ados, alors qu’ils épuisent tout le monde, c’est mon gros truc. Donc là, j’ai hâte d’être dans 4–5 ans pour que les enfants de mes amis soient ados. Au moment où ils ont envie de mou­rir et qu’ils détestent tout le monde, le contact passe bien avec moi ! La souf­france ado, j’y suis hyper empa­thique, alors que le côté per­vers poly­morphe de l’enfant me met extrê­me­ment mal à l’aise. Bon, c’est lié à mon par­cours. On ne peut pas avoir envie de repro­duire une cel­lule fami­liale qui finit comme ça. Et il y a aus­si un truc de carac­tère. Enfant, les enfants m’insupportaient. J’ai été sur­nom­mée la crâ­neuse quand j’étais en pri­maire, car je lisais dans la cour de récré. J’ai tou­jours eu beau­coup de mal avec les cris étant moi-​même enfant !

Si dans une fête, un dîner, un homme fait preuve de pater­na­lisme, on se regarde et on sait que le cercle est là. Il va y avoir un sou­tien par la parole et par le geste. Depuis qu’on a le mot [soro­ri­té, ndlr], c’est beau­coup plus fort.


Comment la soro­ri­té se tra­duit concrè­te­ment dans votre vie ?
C. D. : Il y a la soro­ri­té du cercle proche, où on sait qu’il y a un lien indé­fec­tible et que si l’une d’entre nous a un pro­blème nous trou­ve­rons une solu­tion. Et je dis « nous » à des­sein, car c’est vrai­ment une ques­tion de consti­tu­tion de groupe. Et pour ce qui est des incon­nues, il y a une sorte d’identification en un coup d’œil qui fait qu’on est dans la bien­veillance et le sou­tien. Pour moi, ça c’est une arme de des­truc­tion mas­sive. Et pour­tant, je ne suis pas dans la bien­veillance à tout crin. J’ai plu­tôt un côté très sombre… Mais ça, c’est très effec­tif. Si dans une fête, un dîner, un homme fait preuve de pater­na­lisme, on se regarde et on sait que le cercle est là. C’est effi­cient. Il va y avoir un sou­tien par la parole et par le geste. Depuis qu’on a le mot, c’est beau­coup plus fort.

Vous pra­ti­quez la sor­cel­le­rie depuis long­temps…
C. D. : J’ai fait mon apos­ta­sie en 2010. Quand le pape, Benoit XVI à l’époque, a expli­qué que les homos iraient en enfer. J’étais avec une femme à ce moment-​là. Jusqu’ici, j’étais une fer­vente catho­lique. De mon propre chef, j’avais deman­dé à suivre les cours de cathé. Je suis allée au-​delà de la confir­ma­tion. Jusqu’aux jeunes chré­tiens. Mais j’ai per­du la foi. Pour ne pas faire par­tie des sta­tis­tiques des catho­liques de France, chiffres uti­li­sés par les gens de la Manif pour tous, pour dire « non je ne suis pas des vôtres », j’ai fait mon apos­ta­sie. Du coup, il faut faire un papier à l’évêque pour être rayé du registre des catho­liques. J’ai spi­ri­tuel­le­ment chan­gé d’optique. Aujourd’hui, je suis poly­théiste et je prie les déesses de l’Olympe. Et ce, depuis quelques années. C’est une foi per­son­nelle que je me suis inven­tée. Tous les jours, je suis sous leur pro­tec­tion et celle de Lilith, qui sont des enti­tés fémi­nines. Ce que je trouve pra­tique avec elles, c’est que cha­cune incarne quelque chose de très concret, donc ça per­met, comme une hygiène men­tale, de décom­po­ser ce qui s’est pas­sé de posi­tif dans la jour­née selon les postes. Un peu comme les boud­dhistes. Et puis, je pra­tique un peu de magie tra­di­tion­nelle de puri­fi­ca­tion, et les cartes. Avec l’oracle Belline.

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Le Cœur syn­thé­tique, de Chloé Delaume. Éd. du Seuil, 208 pages, 18 euros. 

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