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© Michael Prewett

Non mixi­té : divi­ser pour mieux lutter ?

Dans une chro­nique pour le quo­ti­dien Libération, le jour­na­liste Luc Le Vaillant a dénon­cé, mi-​avril, la tenue d’une réunion inter­dite aux hommes au sein de sa rédac­tion. Ce genre d’espace non mixte, cen­sé libé­rer la parole, « par­ti­cipe d’une ten­ta­tion sépa­ra­tiste qui tor­pille la néces­saire entente entre les sexes », écrit-​il. La cri­tique rap­pelle celles émises contre le fes­ti­val afro­fé­mi­niste Nyansapo, en 2017. Certains ate­liers y étaient réser­vés aux femmes non blanches. Le débat est donc tou­jours d’actualité : faut-​il en pas­ser par la non-​mixité pour faire avan­cer l’égalité ? 

<strong>Natacha Polony</strong>

<em>Directrice de la rédac­tion de</em> Marianne

« Le prin­cipe de non-​mixité réduit les hommes à un sta­tut de bour­reaux domi­nants et les femmes à celui de vic­times domi­nées. La non-​mixité raciale relève de la même logique : obses­sion­nel­le­ment enfer­mer les indi­vi­dus dans une ­sup­po­sée iden­ti­té. Ainsi, il nous serait impos­sible de ­com­prendre l’expérience de l’autre ? Cela remet en cause ­l’héritage huma­niste qu’illustre la phrase du poète latin Térence reprise par Montaigne : <em>“Rien de ce qui est humain ne m’est étranger.”</em> <br> Et puis, osons le dire : la per­ver­si­té et l’abus de pou­voir sont uni­ver­sel­le­ment répan­dus, et des femmes peuvent les pra­ti­quer entre elles. La “non-​mixité” n’implique pas la bien­veillance. Ce n’est pas parce que nous sommes femmes ou que nous avons la même cou­leur de peau que nous vivons la même chose et que nous nous com­pre­nons. <br> Le sépa­ra­tisme n’a jamais fait pro­gres­ser l’égalité. C’est le com­bat poli­tique pour les droits qui le fait. Mais il doit se mener dans une pers­pec­tive uni­ver­sa­liste, c’est-à-dire au nom de notre huma­ni­té commune. » 

<strong>Fatima El Ouasd</strong>i

<em>Fondatrice de l’association Politiqu’elles</em>

« On ne peut pas atteindre l’égalité en excluant sys­té­ma­ti­que­ment les hommes des réflexions fémi­nistes, dans la mesure où ils portent une par­tie du sexisme pré­sent dans la socié­té. Ce n’est pas en res­tant dans l’entre-soi que l’on pour­ra chan­ger les choses, même si cer­tains temps non mixtes peuvent être per­ti­nents afin que celles et ceux qui se sentent oppressé·es puissent se confier. Chez Politiqu’elles, nous avons récem­ment orga­ni­sé une confé­rence mixte sur l’intelligence arti­fi­cielle et le sexisme. Certains déve­lop­peurs nous ont confié que, depuis, ils prennent en compte les biais sexistes en codant leurs algo­rithmes. Dans le milieu ultra mas­cu­lin du numé­rique, c’est une sacrée avan­cée. <br> Le plus impor­tant n’est donc pas le genre, mais la capa­ci­té et la qua­li­té d’écoute. Après tout, même en non-​mixité, des femmes peuvent véhi­cu­ler des pré­ju­gés. Et rap­pe­lons que cer­tains hommes sont aus­si vic­times de sexisme ou d’agressions sexuelles. » 

<strong>Rokhaya Diallo</strong>

<strong>Rokhaya Diallo</strong>

« Parler entre femmes, ou entre femmes non blanches, per­met d’élaborer nos causes serei­ne­ment. En non-​mixité, on peut lâcher prise et s’exprimer avec des paires qui nous com­prennent et ne pensent pas qu’on exa­gère. Il est beau­coup plus facile de par­ler de viol ou des microa­gres­sions racistes que l’on subit en l’absence d’hommes ou de per­sonnes qui ne vivent pas le racisme. La non-​mixité est aus­si fon­da­men­tale tout sim­ple­ment pour être sûre de pou­voir par­ler, sachant que le temps de parole sur la place publique est occu­pé aux deux tiers par les hommes… C’est donc une étape néces­saire pour iden­ti­fier nos pro­blèmes en tant que vic­times d’oppression, avant de les défendre dans le débat public.<br> Historiquement, c’est d’ailleurs grâce à des orga­ni­sa­tions non mixtes qu’ont émer­gé les grandes causes. D’abord aux États-​Unis, dans les années 1960, avec les Black Panthers ou Nation of Islam, qui ont défen­du les Noirs et les musul­mans. Puis en France, dans les années 1970, avec le Mouvement de libé­ra­tion des femmes. Leurs réunions fer­mées aux hommes ont per­mis de défi­nir les reven­di­ca­tions fémi­nistes au sujet de la contra­cep­tion, de l’avortement ou des vio­lences sexuelles, pour qu’elles soient ensuite por­tées par des per­son­na­li­tés comme Simone Veil. »

Son der­nier ouvrage : Ne reste pas à ta place ! (éd. Marabout).

<strong>Louis Boyard</strong>

<strong>Louis Boyard</strong>

« On a com­men­cé à orga­ni­ser des réunions en non-​mixité pour les femmes, il y a quelques mois, quand on s’est ren­du compte que les ­per­sonnes aux res­pon­sa­bi­li­tés étaient très sou­vent des hommes. Au début, certain·es, y com­pris des femmes, y étaient opposé·es. Mais après la pre­mière réunion, tout le monde a consta­té qu’il en res­sor­tait des choses qu’on n’avait jamais enten­dues jusque-​là. Par exemple, le fait que les mecs prennent beau­coup plus la parole ou que les femmes qui tra­vaillent en équipe avec des hommes prennent une grosse part de la charge mentale…<br> On avait déjà dis­cu­té des ques­tions d’égalité tous ensemble, et on n’avait pas avan­cé. Les échanges en non-​mixité se sont révé­lés extrê­me­ment effi­caces pour poser des cri­tiques et géné­rer une vraie prise de conscience. Et ça n’a rien d’excluant puisque, après, on s’est vu·es pour trou­ver des solu­tions col­lec­ti­ve­ment. Dans les pro­chains mois, on va d’ailleurs mettre en place des réunions en non-​mixité pour les per­sonnes raci­sées, car l’UNL est une orga­ni­sa­tion très blanche. Nous avons besoin de com­prendre d’où vient le pro­blème pour qu’on puisse ensuite avan­cer ensemble. » 

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