Début février, à la veille de la Conférence nationale du handicap, la secrétaire d’État Sophie Cluzel s’est dite « favorable » à « l’accompagnement de la vie sexuelle des handicapés. À l’heure actuelle, les client·es peuvent être accusé·es de recourir à la prostitution, ce qui est illégal en France. Le Comité national consultatif d’éthique – qu’a saisi Sophie Cluzel – a par ailleurs déjà rendu plusieurs avis défavorables à la légalisation de cette activité. De même que le Haut Conseil à l’égalité, qui s’y « oppose fermement ». Tout cela avec pour débat sous-jacent : doit-on distinguer accompagnement sexuel et prostitution ?
Sophie Cluzel
Secrétaire d’État chargée <br> des personnes handicapées
« J’ai souhaité rouvrir le débat sur l’accompagnement affectif et sexuel des personnes handicapées à la suite de nombreuses demandes des concernés. Huit ans après la dernière saisine du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) sur le sujet, il me semble que la société est prête à repenser sereinement et sans tabou cette question. Je souhaite que les personnes handicapées soient vues comme des sujets de droit et pas uniquement comme des objets de soin J’ai chargé le CCNE de mener une réflexion qui va bien au-delà de la simple question des relations sexuelles, mais qui concerne aussi le rapport à l’intime et à la vie affective des personnes en situation de handicap, entravées dans leur corps ou du fait d’une limitation intellectuelle. Connaître son intimité, pouvoir se masturber, avoir un simple contact affectif : les besoins sont variés et la nature de l’accompagnement éventuel également.<br> Pour autant, ma démarche n’est en aucun cas d’autoriser la prostitution. Si le CCNE se montre favorable à cet accompagnement, nous ‑verrons dans quel cadre cela peut s’exercer. La société a bien évolué en autorisant et encadrant les salles de shoot par exemple, sans pour autant dépénaliser l’usage des drogues. »
Jill Prévôt Nuss
Présidente de l’Association <br> pour la promotion de l’accompagnement sexuel (Appas)
« La déclaration de Sophie Cluzel est une surprise, car nous n’avons jamais été consultés sur le sujet. Nous formons pourtant des gens à ‑l’accompagnement sexuel en toute illégalité certes, mais en toute transparence — 80 depuis 2015, avec 2 500 demandes de bénéficiaires. L’accompagnement leur permet de se reconnecter à leur plaisir, grâce à des gestes plus lents et adaptés à leurs limites. J’aime dire que c’est un “tremplin”, car l’idée est de reconstruire leur estime pour eux-mêmes et de les aider à apprivoiser leur vie sexuelle, pour que, ensuite, ils volent de leurs propres ailes. C’est l’une des distinctions avec la prostitution, même si, juridiquement, notre activité est considérée comme telle. D’ailleurs, nous ne militons pas uniquement pour les personnes en situation de handicap : nous demandons la décriminalisation plus globale du recours à la prostitution. Il n’y a pas, d’un côté, les “gentils handicapés” qui auraient “besoin” de ça pour avoir une vie intime et, de l’autre, de méchants clients. La sexualité est une liberté. »
Claire Desaint
Coprésidente de l’association Femmes pour le dire, Femmes pour agir (FDFA)* et membre du Comité des femmes du Forum européen des personnes handicapées
« L’association Femmes pour le dire, Femmes pour agir est totalement opposée à l’assistance sexuelle pour des personnes handicapées, car cette pratique s’apparente à de la prostitution. C’est un achat de services sexuels menant à la marchandisation des corps, et en majorité ceux des femmes. En effet, les demandes d’assistance sexuelle sont faites à 90 % par des hommes. Avec une approche de genre, on comprend que c’est une mise à disposition du corps des femmes pour satisfaire des désirs masculins, ce qui est une expression de la domination masculine. Certains lobbies sont aussi favorables à cette pratique, car ce marché serait très lucratif. En France, l’assistance sexuelle est illégale puisque le proxénétisme et l’achat de services sexuels sont interdits. L’ajustement de la législation souhaitée par Sophie Cluzel serait donc une régression inacceptable en matière de dignité humaine. Faire une exception pour les personnes handicapées, ainsi exclues du droit commun, ouvrirait une brèche dans la loi de 2016 sur la prostitution. »
* L’association Femmes pour le dire, Femmes pour agir réunit des femmes en situation de handicap.
Lény Marques
Co-porte-parole du Collectif <br> lutte et handicaps pour l’égalité <br> et l’émancipation (CLHEE)
« Relancer ce débat, c’est une technique de ‑diversion. Pendant ce temps, on ne parle pas de l’allo-cation aux adultes handicapés (AAH), du revenu universel d’activité ou des mesures ‑d’accessibilité repoussées depuis 2015… Autant de sujets dont on souhaiterait discuter avant l’assistance sexuelle, à laquelle nous sommes par ailleurs opposés. Car cette idée n’a rien de progressiste ni de libérateur. C’est nous voir, encore une fois, comme des personnes qui auraient besoin de filières spécialisées pour avoir accès à une vie affective ou sexuelle. Mais il est clair qu’on ne peut pas espérer avoir une vie intime lambda si on nous empêche d’accéder aux espaces de sociabilisation classiques. Surtout lorsque des centaines de milliers de personnes vivent dans des centres spécialisés. C’est pour ça que nous appelons à une désinstitutionnalisation globale et à la mise en place d’une aide humaine à hauteur de nos besoins. Il faudrait également pouvoir avoir une situation financière un peu plus viable – l’AAH est toujours sous le seuil de pauvreté – ainsi qu’un accès réel à l’éducation et à l’emploi. Et travailler enfin, sérieusement, sur l’accessibilité : comment rencontrer des gens quand les bars, les boîtes de nuit ou les magasins ne sont pas adaptés ? »