Accusant un homme de l'avoir violée pendant son sommeil, Fanny a eu la mauvaise surprise de voir son affaire envoyée devant un tribunal correctionnel sans avoir pu consulter un·e avocat·e. Une situation qui va à l'encontre de la loi, comme le rappelle Me Dupuy-Busson, qui a récemment obtenu un renvoi pour que l'affaire soit jugée aux Assises.
Un soir de mars 2018, Fanny*, 22 ans, sort avec des ami·es dans Paris. Lors d'un vernissage, le petit groupe sympathise avec Quentin*, l'artiste qui expose ce soir-là. La soirée se poursuit en discothèque et, au petit matin, Quentin propose un after chez lui. Fanny, sa meilleure amie et le copain de cette dernière acceptent de le suivre. Quentin leur prépare à dîner et l’on discute de tout et de rien. Après le repas, le couple d’amis de Fanny s’enlace sur le canapé du salon. Fanny souhaite rentrer chez elle se coucher : elle enfile son manteau et, en attendant que ses amis puissent la raccompagner tout en leur laissant un peu d’intimité, elle quitte le salon et se retrouve dans la seule autre pièce de l’appartement : la chambre de son hôte. Epuisée, elle tombe littéralement de sommeil au moment où elle s’assoit au pied du lit.
Stupeur à son réveil : il est 13h et elle réalise que Quentin l’a rejointe dans la chambre. Profitant de son brutal endormissement, il s'est glissé dans le lit et l’a installée sous la couette. Lorsqu’elle ouvre les yeux, elle porte toujours son manteau, mais sa jupe a été relevée sur ses hanches, ses collants et sa culotte ont été jetés à l’autre bout de la chambre. Quentin est allongé nu à côté d’elle, la main sur son sexe. Prise de panique, elle s'extrait de la pièce et cherche ses amis pour être raccompagnée chez elle au plus vite. Sa meilleure amie a dû partir tôt à un rendez-vous professionnel : seul le petit copain est encore assoupi dans le canapé. Fanny et lui quittent tous deux l'appartement précipitamment. Une fois chez elle, Fanny, que sa meilleure amie a rejoint, envoie un sms à Quentin, versé au dossier : « Tu peux m'expliquer pourquoi tu m’as déshabillée pendant que je dormais et qu'en plus tu me touchais alors que j'était inconsciente ?? ». Réponse de l'intéressé, également versée au dossier : « J'ai craqué sur toi, mais comment tu sais que je te touchais si tu étais inconsciente ? […] J'avais déjà la main sur toi, bien avant.. je l'avais aussi fait avec ma bouche.. »
Une information judiciaire sous la qualification de viol
Fanny porte plainte immédiatement, des prélèvements vaginaux sont réalisés. Ils révèlent la présence de sperme qui s'avèrera être celui de Quentin. Placé en garde à vue, Quentin revendique avoir pénétré digitalement Fanny dans son sommeil. Tout en contestant l'absence de consentement (dont il ne connait visiblement pas la définition) de sa victime, ainsi qu'une pénétration avec son sexe.
Une instruction est ouverte et, pendant 18 mois, c’est une information sous la qualification de viol qui est menée. Fanny et Quentin sont entendu·es en audition. Une confrontation est organisée. Puis, arrive le moment de renvoyer vers la juridiction de jugement. C’est alors que la juge d’instruction parisienne en charge du dossier va proposer à Fanny, qui est constituée partie civile mais qui n’a pas encore fait appel à un avocat, si elle accepterait une correctionnalisation du dossier. Prudemment, cette dernière va répondre : « Je préfère attendre d’avoir un avocat avant de vous répondre. »
Un dossier finalement envoyé en correctionnelle sans l'accord de la plaignante
Pour celle qui la représente aujourd'hui, Maître Séverine Dupuy-Busson, il est évident qu’à ce moment-là, la jeune fille, « ne comprend absolument pas les tenants et les aboutissants juridiques de ce qui vient de lui être proposé, à savoir qu’on passe d’un crime passible de 15 ans de réclusion criminelle à un délit puni de 5 ans d’emprisonnement ». Pourtant, la juge d'instruction n'attend pas que Fanny revienne vers elle pour prendre sa décision et cette dernière reçoit en janvier 2022 une convocation devant le tribunal correctionnel pour une audience début février. C'est à ce moment qu'elle fait appel à Me Dupuy Busson.
« Comment est-ce possible de nier à ce point ce que j’ai subi ? Il a profité de mon état d’épuisement pour me pénétrer, et cela devient un simple attouchement ? »
Fanny
Cette avocate pénaliste, qui exerce au barreau de Paris, se souvient : « La première chose que m’a dite ma cliente, c’est : "mais j’ai été victime d’un viol, et dans la convocation, il n’est plus question que d’attouchements de nature sexuelle ! Comment est-ce possible de nier à ce point ce que j’ai subi ? Il a profité de mon état d’épuisement pour me pénétrer, et cela devient un simple attouchement ?" », explique l'avocate. Laquelle sollicite auprès de la présidente de la chambre de pouvoir reporter l'audience pour avoir le temps de se plonger dans le dossier. Elle obtient un report pour le 10 février, qui lui laisse le temps de se rendre compte « qu'il n'y a aucune raison de correctionnaliser cette affaire, si ce n'est une opportunité qui ne va pas du tout dans le sens de la victime ».
"Tour de passe-passe" versus "bonne administration de la justice"
Les juges en charge de l'instruction choisissent parfois de faire passer certains dossiers de viol devant le tribunal correctionnel, craignant que les éléments à charges soient insuffisants pour amener la preuve du viol et que l'accusé soit relaxé. Mais, fait remarquer Me Dupuy-Busson, « dans ce dossier, nous avons un mis en examen qui a assumé à plusieurs reprises par écrit avoir pénétré digitalement sa victime alors inconsciente, et toute pénétration non consentie relevant du viol, il n'y a pas lieu de transformer en un tour de passe-passe ces faits en agression. » Et l'avocate tempête : « Pour justifier de la correctionnalisation de l'affaire, la juge d'instruction a expliqué à ma cliente le faire dans un souci de "bonne administration de la justice". Il faudrait m'expliquer en quoi nier un viol est un acte de bonne administration de la justice. Parlait-elle du coût supplémentaire que représente un procès d'Assise par rapport à un procès en correctionnelle ? »
Le 10 février, Me Dupuy-Busson et sa cliente se présentent à l'audience. L’avocate dépose des conclusions d’incompétence s'appuyant sur l'article 469 du code de procédure pénale en application duquel le tribunal correctionnel ne peut pas être saisi « si le fait déféré au tribunal correctionnel sous la qualification de délit est de nature à entraîner une peine criminelle ». Elle s’appuie plus particulièrement sur l’alinéa 4 de cet article en application duquel : « Lorsqu'il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d'instruction […], le tribunal correctionnel ne peut pas » se dessaisir « si la victime était constituée partie civile et était assistée d'un avocat lorsque le renvoi a été ordonné. » En d'autres termes, a argué Me Dupuy-Busson durant l'audience, la correctionnalisation n'est pas valable « sans consentement éclairé » (grâce aux lumières d'un·e conseil) sur les conséquences d'un passage devant le tribunal correctionnel de la part de la plaignante.
Le tribunal correctionnel se dessaisit
Le procureur, rapporte Me Dupuy-Busson, n'a pas hésité à la suivre dans sa démonstration : « La correctionnalisation d'un dossier ne vaut que si la victime est d'accord », a‑t-il déclaré lorsque la présidente de la chambre correctionnelle lui a demandé de se prononcer sur l'incompétence du tribunal soulevée par Me Dupuy-Busson. Le tribunal correctionnel s’est donc dessaisi immédiatement du dossier. L’affaire repart donc à l’instruction et la juge devra à nouveau demander à Fanny sa position quant à la correctionnalisation du dossier.
Ce cas de « décorrectionnalisation » paraît simple mais il n'est pourtant pas si courant estime Me Dupuy-Busson. Contacté par Causette, l'avocat de la défense n'a pas souhaité s'exprimer sur le fond du dossier mais fait remarquer que le renvoi de l'affaire créé un « délai supplémentaire particulièrement long pour [son] client », d'autant que ce dernier est sous contrôle judiciaire, donc non prioritaire par rapport à des mis en examen qui sont en détention.
"Principe réparateur des Assises"
Me Dupuy-Busson affirme aussi que Fanny avait été découragée par la juge d'instruction de poursuivre aux Assises en lui expliquant qu'elles pouvaient être traumatisantes. Experte en droit des victimes de violences de genre, Me Khadija Azougach à qui Causette a présenté l'affaire de Fanny confirme qu'il est important pour les victimes de viol d'avoir le choix entre un procès d'Assises et un procès en correctionnelle. « Les Assises ont un principe réparateur en soi, car en tant que victime, elles signifient qu'on a pris au sérieux vos accusations et qu'elles sont graves, observe l'avocate. Il y a une dimension de reconnaissance de votre histoire par la société, représentée par les jurés, absents des tribunaux correctionnels. »
« Les prévenus ont, dès leur garde à vue et fort heureusement, accès aux services d'un avocat… contrairement aux plaignantes. »
Me Azougach
Me Azougach s'accorde avec sa consœur pour affirmer que l'article 469 créé un désavantage pour les victimes. « Les prévenus ont, dès leur garde à vue et fort heureusement, accès aux services d'un avocat, contrairement aux plaignantes, souligne-t-elle. Cela peut expliquer en partie le chiffre de 60% de viols qui passent en correctionnelle. » Me Azougach n'a jamais eu affaire à un cas comme celui de Fanny mais porte régulièrement un combat en amont : la réouverture de dossiers après un classement sans suite (« plus de 80% des plaintes pour viol »), pour demander de nouveaux actes d'instruction. Et de conclure : « Cela peut étonner mais il était hélas plus facile pour moi de défendre des victimes avant #MeToo. Les magistrats nous regardent désormais avec suspicion, se demandant si on n'instrumentalise pas l'actualité avec de fausses accusations. » En écoutant ces avocates, on comprend comment on arrive au terrible chiffre de « seulement 1% des viols sont condamnés en France. »
*Les prénoms ont été modifiés