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© Editions Ixe

Langage inclu­sif : 4 argu­ments pour contrer les anti “point médian”

Éliane Viennot, his­to­rienne de la lit­té­ra­ture et autrice du livre Non, le mas­cu­lin ne l’emporte pas sur le fémi­nin !, réfute pour Causette quelques argu­ments contre l’usage du lan­gage inclu­sif.

Cette semaine aura vu le Sénat voter pour inter­dire l’écriture inclu­sive et Emmanuel Macron balan­cer qu’en fran­çais, “le mas­cu­lin fait le neutre”. Pour remettre l’église au milieu du vil­lage, Causette vous pro­pose un petit tour d’horizon des argu­ments pré­fé­rés des anti “point médian”, contes­tés par Éliane Viennot, his­to­rienne et pro­fes­seure de lit­té­ra­ture de la Renaissance, notam­ment autrice du livre Non, le mas­cu­lin ne l’emporte pas sur le fémi­nin !, qui “bagarre pour res­tau­rer un lan­gage qui per­mette de par­ler des femmes et des hommes à éga­li­té”.

C’est un débat d’initiés et tout le monde s’en fout 

Éliane Viennot : Si on prend une demi-​heure pour expli­quer com­ment uti­li­ser le lan­gage inclu­sif, puis une demi-​heure de plus pour mon­trer à quel point des gens ont insis­té pour mas­cu­li­ni­ser la langue, en géné­ral, les gens y sous­crivent au final. Il y a des gens très contre, qui sont contre l’égalité des sexes et qui bataillent comme des malades là-​dessus et ont décou­vert il y a quelques années que notre sou­ci d’égalité des sexes allait jusqu’à réflé­chir à la langue. Alors là, la France réac­tion­naire, mas­cu­li­niste, s’est mise en guerre. Mais sur la ques­tion de la langue, beau­coup de gens ne connaissent sim­ple­ment pas le sujet et en ont enten­du par­ler via ces frac­tions très réac­tion­naires, très pas­séistes. Tant qu’ils n’ont eu que ces informations-​là, ils sont contre. Dès qu’on leur ouvre les yeux, il y a plein de gens qui com­prennent et qui sont d’accord.

Quand on parle d’une popu­la­tion mixte, à la fois de femmes et d’hommes, on se doit d’utiliser autant les noms qui dési­gnent les femmes que les noms qui dési­gnent les hommes. Il faut lais­ser tom­ber le mot homme pour par­ler de l’humanité. L’homme, en fran­çais, ça veut dire mâle. On ne va pas faire sys­té­ma­ti­que­ment domi­ner le mas­cu­lin parce qu’il n’y a pas de rai­son de le faire. Si ce n’est un accord pas­sé avec une socié­té sexiste, mais sinon il n’y a aucune autre rai­son.
Les femmes qui sou­haitent se faire appe­ler “Madame le direc­teur, Madame le séna­teur…” ne com­prennent pas le piège idéo­lo­gique qu’il y a là-​dedans. On les a per­sua­dées que le mas­cu­lin l’emportait sur le fémi­nin. Soit on se révolte quand on com­prend ce pro­ces­sus, parce qu’on a un petit brin de fémi­nisme quelque part en soi, soit on est trop domi­née, trop alié­née pour y arri­ver. Je ne jette pas la pierre à ces femmes. Une dame m’a dit, l’autre jour : “Mais c’est ma liber­té.” Je lui ai répon­du : ça serait de la liber­té si vous aviez un col­lègue qui se disait séna­trice.” Là, oui, on ver­rait que chaque per­sonne a sa liberté.

C’est un effet de mode, une inven­tion, un délire de “wokistes”


É. V. : Nos ancêtres fai­saient les accords de majo­ri­té (au fémi­nin s’il y a plus de femmes et inver­se­ment), ils fai­saient leurs accords au choix ou bien les accords de proxi­mi­té (selon le fémi­nin ou le mas­cu­lin qui pré­cède) quand il n’y a pas de dif­fé­rence de valeur entre les termes de l’énumération. C’est ça qu’on veut, c’est ça le lan­gage non sexiste, c’est ça le lan­gage éga­li­taire, c’est ça le lan­gage inclu­sif. On ne fait que redé­cou­vrir le fil à cou­per le beurre.
Le lan­gage inclu­sif consiste à essayer de pui­ser dans toutes les res­sources que pos­sède le fran­çais. Et il en a plein, notam­ment les noms fémi­nins. On a dit ça pen­dant des siècles. Il suf­fit d’aller voir si le terme est attes­té. En géné­ral, tous les termes sont attes­tés, comme autrice, pro­fes­seuse, conseillère, rap­por­teuse, pro­vi­seuse, etc. Jusqu’au XVIIe siècle, il n’y a pas une seule femme qui est appe­lée au mas­cu­lin. Les gens auraient ri ou auraient esti­mé que c’était une erreur de lan­gage. Ce n’est pas orga­nique dans le fran­çais. En fran­çais, on parle des femmes au fémi­nin. Donc, il faut reve­nir au fran­çais nor­mal. En géné­ral, tous les termes qu’on connaît au mas­cu­lin, ils ont exis­té au fémi­nin. Les excep­tions sont raris­simes. Pour qu’il y ait une excep­tion, il faut qu’il y ait une impos­si­bi­li­té qu’un des sexes puisse exer­cer cette acti­vi­té. Par exemple, on ne connaît pas de mas­cu­lin pour “nour­rice” parce que le mot nour­rice, ça signi­fiait don­ner le sein. On n’a pas de fémi­nin pour “eunuque”, parce que les eunuques, c’était les hommes aux­quels on avait cou­pé leurs par­ties géni­tales. Mais c’est très rare. Pour tout le reste, on a les deux mots. Ça fait par­tie de notre tra­vail d’essayer de remettre en cir­cu­la­tion ces mots-​là parce qu’ils nous servent.

C’est impos­sible à com­prendre et com­pli­qué pour cer­taines caté­go­ries de personnes


É. V. : À l’oral, il est évident qu’on peut pro­non­cer les termes mas­cu­lins et fémi­nins pour être éga­li­taire, comme “les étu­diantes et les étu­diants, les com­mer­çants, les com­mer­çantes…”, mais à l’écrit, c’est un peu long et redon­dant. Alors, quand on se rend compte que dans le mot fémi­nin et le mot mas­cu­lin il y a les neuf dixièmes du maté­riel lin­guis­tique qui est sem­blable, on peut faire une abré­via­tion. Donc, voi­là le péril mor­tel qui arrive, c’est-à-dire qu’au lieu d’écrire “la fête des voi­sins et des voi­sines”, ce qui est tou­jours pos­sible, on peut écrire la fête des “voisin·es”. C’est pas grand-​chose cette his­toire de point médian. Ce n’est jamais qu’un rem­pla­ce­ment des “e” entre paren­thèses qu’il y a sur des mil­liers de for­mu­laires admi­nis­tra­tifs. On ne vou­lait plus de la paren­thèse, donc on a cher­ché un can­di­dat adé­quat pour ce qu’on veut signi­fier – c’est-à-dire n’écrire qu’un seul mot qui veut dire à la fois le mas­cu­lin et le fémi­nin. On a bri­co­lé avec pas mal de signes, mais main­te­nant on pense que le point médian, c’est fina­le­ment ce qu’il y a de mieux. Si quelqu’un trouve mieux encore, pour­quoi pas ?

On a inven­té quelques néo­lo­gismes, notam­ment, ces néo­lo­gismes qui fonc­tionnent très bien, que sont, par exemple, visi­teur et visi­teuse qui, sans le point, font "visi­teu­reuse". C'est un nou­veau mot, où on entend à la fois du mas­cu­lin, du fémi­nin, et ça marche très, très bien : "les acteu­ristes, les consom­ma­teu­ristes,…". Si on ne veut pas les uti­li­ser, on ne les uti­lise pas et on dit les deux mots, le dou­blé com­plet, c'est tout. On n'est pas obli­gé d'aller jusqu'au néo­lo­gisme, on peut sim­ple­ment, en uti­li­sant les res­sources fran­çaises, les mots fran­çais, les accords tra­di­tion­nels, les alter­na­tives au mot "homme", etc. se débrouiller sans aucune inno­va­tion pour pro­duire un lan­gage écrit ou oral par­fai­te­ment éga­li­taire.
J’entends tout à fait l’argument de la dys­lexie et autres troubles de l’apprentissage. Bon, si on a un dou­blé écrit en toutes lettres, là, vrai­ment, il faut être de très mau­vaise foi pour dire que c’est dif­fi­cile. Mais pour tous les gens qui ne font pas de la lec­ture toute la jour­née, ou pour les étran­gers et les étran­gères qui apprennent notre langue, etc., ce qui est dif­fi­cile, ce sont les construc­tions avec un point médian et les néo­lo­gismes. Le point médian, si on l’utilise, il faut le faire avec modé­ra­tion rai­son­ne­ment. Si on uti­lise toutes les res­sources, notam­ment celle du Guide pour une com­mu­ni­ca­tion publique sans sté­réo­type de sexe du Haut Conseil à l’égalité, on arrive effec­ti­ve­ment à un point médian toutes les 4–5 pages. Et c’est abso­lu­ment lisible. 

Le Président a dit que ça ne ser­vait à rien


É. V. : Il drague la droite et l’extrême droite. Il ne fait que ça depuis quelque temps. Il a l’air d’un mau­vais élève qui fait du théâtre, du mau­vais théâtre qui plus est. On peut se deman­der quelles sont les convic­tions de Macron. Il n’a pas de convic­tions. Il dit tout et n’importe quoi, tout et son contraire. Est-​ce qu’il le pense vrai­ment ? Il n’arrête pas de faire des dou­blés, par exemple. Il n’arrête pas de dire “les Françaises et les Français, celles et ceux…”. C’est sûr que ce qu’il fait, là, c’est faire des clins d’œil. Le soir même, il y avait la pro­po­si­tion de loi qui était dis­cu­tée au Sénat. Trois semaines avant, il y avait eu la même chose à l’Assemblée. Donc lui, il drague. Je pense que c’est tout.

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