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Traitement média­tique des vio­lences conju­gales : Midi Libre dérape sur l'affaire Mohamed Haouas

Le quo­ti­dien régio­nal a publié sur Twitter la pre­mière ver­sion d'un article sur le joueur de rug­by condam­né mar­di pour vio­lences conju­gales en titrant sur « une per­son­na­li­té "atta­chiante" appré­ciée de tous ».

Mais com­ment en 2023 une rédac­tion fran­çaise peut-​elle à ce point être à côté de la plaque en trai­tant de vio­lences conju­gales ? Mardi 30 mai, Midi Libre publiait un article inti­tu­lé « Portrait de Mohamed Haouas : une per­son­na­li­té "atta­chiante" appré­ciée de tous, mais dont l'avenir est aujourd'hui incer­tain », alors même qu'était atten­du le ver­dict dans le pro­cès du joueur de Montpellier et du XV de France pour avoir frap­pé son épouse ven­dre­di 26 mai. Le mes­sage du tweet se borne à reprendre la même for­mu­la­tion que le titre de l'article, sans aucun recul sur le poids des mots employés pour décrire un homme qui sera fina­le­ment condam­né à un an de pri­son ferme.

Car s'il peut sem­bler oppor­tun d'écrire un article sur Mohamed Haouas, per­son­na­li­té publique pour­sui­vie pour des agis­se­ments qui dépassent la rubrique faits divers pour s'inscrire dans un phé­no­mène de socié­té sys­té­mique, encore faut-​il trou­ver les bons mots pour le faire. Et avec cet article de Midi Libre, on n'y est pas du tout !

Parlons du titre, déjà : choi­sir de mettre en avant les qua­li­fi­ca­tifs d'« atta­chiant » et « appré­cié de tous » relève du vol pla­né sans filet au-​dessus des stan­dards qui se sont déve­lop­pés ces der­nières années dans la façon dont la presse traite les vio­lences conju­gales. On voit bien l'idée der­rière : Midi Libre fait le choix de cher­cher à rendre sym­pa­thique le bon­homme, pour appâ­ter le clic. Certes, Mohamed Haouas a frap­pé son épouse après l'avoir vue fumer une ciga­rette devant le centre com­mer­cial où elle tra­vaille… Mais der­rière les coups, il y a avant tout une per­son­na­li­té qui mérite à être décou­verte, un gar­çon convi­vial mal­gré ses démons.

La faute aux lecteur·rices

Devant la pluie de cri­tiques émises par des inter­nautes choqué·es d'un tel choix édi­to­rial, le quo­ti­dien régio­nal a modi­fié son titre, sans pour autant pré­sen­ter ses excuses – les vic­times de vio­lences conju­gales et au pre­mier rang des­quelles Imane, l'épouse d'Haouas, appré­cie­ront : « Bonjour, voi­ci l'article tel qu'il est publié sur Midilibre.fr. La pre­mière ver­sion, qui n'aurait jamais dû paraître titrée ain­si, a été cor­ri­gée immé­dia­te­ment. » Interpelé à son tour par un inter­naute qui lui fai­sait remar­quer « Tu nous as habi­tués à mieux », le jour­na­liste qui a rédi­gé l'article semble ne pas prendre la mesure de l'erreur du titre : « C'est une cita­tion », répond-​il sobre­ment. Par la suite, Paul Seidenbinder revien­dra sur ce bad buzz en des termes pour le moins ambi­gus : « Mea culpa si un titre a été mal inter­pré­té. » Pratique, de reje­ter la faute sur les « inter­pré­ta­tions » de ses lecteur·rices !

On le voit, l'équipe de Midi Libre ne semble pas se remettre énor­mé­ment en ques­tion sur le sujet. Pourtant, d'autres élé­ments de l'article désor­mais inti­tu­lé Qui est Mohamed Haouas, joueur inter­na­tio­nal du MHR, jugé ce mar­di pour vio­lences conju­gales posent ques­tion. Ainsi, dès le cha­pô, la gra­vi­té des faits repro­chés au rug­by­man est gom­mée, lais­sant place à l'expression « déboires extra-​sportifs ». Si l'enjeu était de ne pas faire de répé­ti­tions avec le terme « vio­lences conju­gales » pré­sent dans le titre, on aurait pré­fé­ré la men­tion de « coups assé­nés à sa femme ».

Le coup des « vieux démons »

Par la suite, c'est la phrase « Mais le coup qu’il a por­té à sa femme ven­dre­di a fra­cas­sé, presque détruit, tout ce qu’il avait (re)construit » qui inter­pelle. Le jour­na­liste fait ici preuve d'une com­pas­sion éton­nante avec l'auteur des vio­lences conju­gales, sem­blant s'inquiéter pour la suite de la car­rière d'Haouas. Sans aucune consi­dé­ra­tion pour la vic­time. De même, cet acte de vio­lence conju­gale est mis sur le même plan que des faits pas­sés de vio­lence lors de matchs : « [Le coup por­té à sa femme] fait res­sas­ser quelques déra­pages sur les ter­rains. Et cette fois, le pilier droit ne peut pas se cacher der­rière le pas­sé, la faute à ces fichus vieux démons qui l’empêchent de se contrô­ler. Ceux-​là mêmes qui l’ont fait dis­jonc­ter une paire de fois sur les ter­rains pro­fes­sion­nels. » À la lec­ture de l'article, un sen­ti­ment de malaise se dégage : à force de ne pas ins­crire la vio­lence d'Haouas à l'encontre de son épouse dans un cadre plus vaste de vio­lences de genre sys­té­miques, Midi Libre raconte n'importe quoi. Les « vieux démons qui l'empêchent de se contrô­ler » sur le ter­rain, ce sont les mêmes qui l'ont fait frap­per son épouse ? En fait, le jour­nal épouse ici la défense du rug­by­man. À la barre, celui-​ci a décla­ré : « Je ne me suis pas contrô­lé, c’était plus fort que moi. »

Par la suite et avant de s'inquiéter du deve­nir de la car­rière de Mohamed Haouas, le jour­nal réa­lise une micro-​enquête de per­son­na­li­té, récu­pé­rée semble-​t-​il d'interviews anciennes et là encore bien com­plai­sante : « Pourtant, en interne, tout le monde a tou­jours défen­du "Momo". Sa per­son­na­li­té "atta­chiante" fait qua­si­ment l’unanimité. "Si je suis dans une galère à 4 h du matin, je sais que je peux appe­ler "Momo" pour qu’il m’aide", nous avait souf­flé un joueur. "C’est l’une des plus belles per­sonnes que je connaisse", pro­met­tait le grand frère Yacouba Camara il y a quelques mois. Mais là, ce der­nier geste passe mal. Les bornes ont été dépas­sées. Tout le monde a dû (sic) mal à faire la sourde oreille. » On argue­ra qu'il s'agissait là peut-​être de prou­ver que les conjoints vio­lents peuvent appa­raître sym­pa­thiques à l'extérieur de l'intimité du couple. Reste que lorsqu'on s'intéresse à la res­pon­sa­bi­li­té des médias dans le trai­te­ment des affaires de vio­lences conju­gales, on peut se deman­der s'il est bien légi­time de s'attabler au comp­toir du com­merce pour tendre le micro aux ami·es d'une per­son­na­li­té publique sans leur par­ler de l'affaire.

Une « per­son­na­li­té » atta­chiante mais fran­che­ment rétrograde 

Car on passe alors peut-​être à côté du plus signi­fiant dans cette his­toire. À la barre, et c'est Midi Libre lui-​même qui le rap­porte dans un autre article, Mohamed Haouas a affir­mé : « J’ai un bon salaire, je pré­fère qu’elle ne tra­vaille pas. Elle a le droit de fumer, mais si elle ment pour une ciga­rette… J’ai ima­gi­né des choses, je me suis fait des films, des femmes mariées trompent leur mari… » Un homme qui, en 2023, « pré­fère que sa femme ne tra­vaille pas », n'est-ce pas là un trait de per­son­na­li­té un peu plus inté­res­sant que de savoir que ses potes de troi­sième mi-​temps le trouvent « atta­chiant » ?

Le joueur de Montpellier et du XV de France a été condam­né dans l'après-midi de mar­di à un an de pri­son ferme sans main­tien en déten­tion, moins que requis par le par­quet qui deman­dait 18 mois et un main­tien en déten­tion, détaille fran­cein­fo.

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