L’alcool, et souvent les boissons en général, est associé à des clichés sexistes. L’été et ses cocktails-terrasses-apéros aggravent la scission entre breuvages pour femmes (plus light, plus colorés et moins sucrés, régime oblige !) et ceux pour hommes. La virilité se mesurant
à l’absence de bulles et à l’intensité d’alcool… comme chacun·e sait.
Il y a celles et ceux, cash, qui se permettent de l’insérer noir sur blanc. Sur la carte du bar de l’hôtel Molitor à Paris, le cocktail intitulé Thé-Delight, composé d’ingrédients somme toute rafraîchissants (infusion au thé vert jasmin, concombre frais, jus de pamplemousse, jus de citron vert et topping * Perrier), est directement adressé à la gent féminine sous la forme d’une petite phrase : « Création […] dédiée aux femmes. » Gros clin d’œil aux régimes d’avant l’été que nous pratiquons toutes, naturellement.
Si le verre allégé vous tombe des mains, vous pouvez sans doute, au bar de l’hôtel, commander un whisky, un Johnnie Walker… pour fille ! La marque propose, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, une édition limitée de sa gamme féminine, Jane Walker. L’alcool reste identique, le seul changement est le logo, une femme en queue-de-pie portant cravate. Un visuel loin d’être révolutionnaire, toujours en accord avec les codes masculins. « Le whisky est perçu comme très intimidant par les femmes, c’est une excellente opportunité pour les attirer vers notre marque », déclare Stéphanie Jacoby, vice-présidente du label, lors du lancement de l’opération en mars 2018.
« Maman veut la bite de son gendre »
Le sexisme est tout à fait soluble dans l’alcool, on l’aura bien compris. C’est sur cette vague qu’a voulu surfer un bar strasbourgeois (Bas-Rhin) en proposant, cet hiver, une gamme de cocktails résolument pornos. La carte est un gracieux florilège de noms exquis : « Boris danse sur le clito », « Maman veut la bite de son gendre »… Des noms qui passent du domaine de la lourdeur à celui de la violence pure et simple, avec les boissons « Fesses élargies pour grosse bite », « Punie par deux bites », « Esclave sexuel forcé à sucer ». Plus d’une vingtaine de cocktails dont les formulations trouveraient facilement leur place dans le catalogue de Jacquie et Michel. Le caractère « hot », trash et misogyne a‑t-il séduit la clientèle ? Si l’on se réfère aux commentaires sur Facebook, on constate qu’il y a bataille entre les sexes, que les hommes sont nombreux à prendre la chose à la blague. Entre mecs, les punchlines fusent. Au commentaire graveleux d’un consommateur : « Ils sont en rupture de jus d’Alex ? », le patron répond : « On propose la crème d’Alex, à présent. » On est estomaqué·e par tant de subtilité ! Le gérant prétendra qu’il n’avait pas pris conscience du caractère offensant de ces intitulés parce qu’une part de sa clientèle, masculine au demeurant, était conquise et amusée par le caractère osé de la carte. Rassurons-nous, l’association Osez le féminisme 67 a demandé le retrait de cette carte et, avec d’autres collectifs, obtenu satisfaction. Ils ont dû bien arroser ça.
Ce genre d’humour éthylique est, hélas, bien partagé. Une marque de bière sud-africaine a fait, il y a quelques mois, une tentative dans le même sens avec une « Blonde facile » et une « Brune légère », vite retirées de la vente. Idem outre-Atlantique, à Lévis, au Canada, où la brasserie Le Corsaire avait, il y a quelques années, baptisé une bière la « Petite pute », « une petite blonde facile et fruitée ». En Chine, en 2018, la boisson maltée Sawow, vendue en bouteille rose dragée, mettait en scène dans ses publicités des femmes perdant leur inhibition après avoir bu le nectar (3 % d’alcool, quand même !). L’une avouait son amour à un homme, l’autre encourageait bruyamment des sportifs, une autre se mettait à danser sans retenue. Des pubs rapidement interdites par le gouvernement.
Du sucre (vrai ou faux)
Du côté des grandes surfaces, on cible encore et toujours celles qui remplissent, majoritairement, les frigos, les femmes, auxquelles on ne se lasse pas de vendre du cliché, en bouteille et en pack de douze. On leur vend aussi du sucre (vrai ou faux). Bière aromatisée, vin rosé au pamplemousse, à la pêche, à la guimauve (ça va venir), mimosa, kir cassis… Leurs packagings roses et pastel, ornés parfois de silhouettes féminines, désignent clairement leur cœur de cible.
Pour les autres, les sans-alcool qui peuvent s’offrir des campagnes de pub télé, on tourne encore et toujours autour du sexe, si l’on peut dire… Souvenez-vous de « Gini, la plus chaude des boissons froides », un thème toujours d’actualité grâce à Coca Light (qui cible la clientèle féminine), dont la campagne TV montra longtemps un groupe de femmes matant un torride jardinier torse nu, sans parler de Schweppes et ses stars glamour (« What did you expect ? ») ou de Perrier, qui avait fracassé le hit-parade de l’allusif, en 2014, avec une campagne – « J’en ai jamais vu une aussi longue » – qui ne pourrait plus (tant mieux !) être produite aujourd’hui.
À la sortie de l’hypermarché, me voici « sur le terrain », dans une brasserie du IXe arrondissement de Paris, pour un dernier petit test. Je me jette à l’eau en commandant, sans plus de précision, « une boisson pour filles ». Le barman me demande du tac au tac : « Cosmopolitan ou Long Island ? » Devant ma surprise, il m’explique que, depuis qu’il a commencé à travailler derrière un comptoir, ces deux cocktails ne lui ont été commandés que par des femmes. Les hommes préfèrent des mélanges plus bruts, comprenant un seul alcool… Comme si l’apéro devenait une épreuve de force en soi. Je casse alors les codes et réclame un pastis. Le barman me fait les gros yeux – blasphème ! Mais il me faut bien ça pour étancher ma soif, une vraie soif d’égalitarisme pour accompagner toutes ces quiches.
* Le topping est la petite touche de fin qui fait toute la différence !