![Chloé Delaume : Pour en finir avec la mauvaise utilisation de l’expression «femmes puissantes» 2 delaume chloe 218 carree gros plan sophie couronne a](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/01/delaume-chloe-218-carree-gros-plan-sophie-couronne-a.jpg)
"Il arrive que des termes ou des concepts soient dévoyés, des expressions, des mots, que le camp d’en face récupère à son profit. La nouvelle vague féministe a pour outil un vocabulaire spécifique, qui circule tant et tant que certain·es peuvent y voir une mode, un créneau à exploiter. On connaît le greenwashing, le procédé marketing ou de relations publiques utilisé par une organisation, une entreprise ou une administration dans le but de se donner une image de responsabilité écologique trompeuse. On parle de pinkwashing, dans le cas où un État ou une structure simule le soutien à la cause LGBTQI. Et donc de purplewashing lorsque l’image renvoyée se veut féministe.
Parmi le lexique de la nouvelle vague, on remarque l’expression « femmes puissantes ». En 2009, Marie NDiaye a obtenu le prix Goncourt pour son sublime roman Trois Femmes puissantes, récit de trois femmes si fortes qu’elle en modifiait leur destin. En 2018, Mona Cholet a publié Sorcières, la puissance invaincue des femmes, avec le succès que l’on sait.
Depuis, des « femmes puissantes », on ne cesse pas d’en croiser. Au début, j’étais plutôt contente, parce que la puissance, ce n’est pas le pouvoir. Le pouvoir, c’est systémique, vertical, patriarcal ; la puissance, c’est la faculté de produire un effet, une capacité, la force ou le caractère qui en résulte. La puissance, c’est une force psychique, le pouvoir est une question d’autorité. Ne pas être dans le pouvoir relève du capital : sinon on remplacera juste les papatrons par une nuée de mamatrones. Il ne suffit pas d’une femme à la tête d’un système pour que le système change. Pour briser le plafond de verre, il faut des femmes puissantes qui se montrent solidaires.
J’étais donc bien contente que l’expression circule, jusqu’à ce que je me rende compte que ce n’était plus possible, que j’en avais ras le bol, que son utilisation, c’était n’importe quoi. Je peux dater la prise de conscience, c’est arrivé en apprenant le casting de la saison 2 de Femmes puissantes, l’émission de Léa Salamé sur France Inter. Une amie agacée m’avait alertée lors de la saison 1, déjà : des parcours de réussite, des winneuses, des profils de leadeuses, des créatives, des politiques, on y entendait Christiane Taubira autant que Carla Bruni, ce qui me laissait déjà relativement perplexe. La saison 2 annonce Christine Lagarde, Anne Hidalgo, Aya Nakamura, la colonelle de gendarmerie Karine Lejeune. Je crois que Léa Salamé devrait se mettre à la drogue, ça pourrait pas être pire. Une ancienne ministre de Sarkozy devenue présidente de la Banque centrale européenne, question modèle, ça donne envie. Question modèle : c’est ça, le problème.
L’injonction à être puissante, quand bien même le mot « puissance » est vidé de son sens. Peut-être que pour s’en sortir, il ne faut plus de modèles. Le féminisme réinvente, il a un matrimoine, une histoire, des icônes. Les femmes puissantes, en vrai, c’est chacune et nous toutes, le cortège des anonymes invisibilisées. Plutôt que de passer un coup de purplewashing, les médias feraient mieux de valoriser les gestes d’héroïnes inconnues qui luttent au quotidien."