delaume chloe 218 carree gros plan sophie couronne a
© Sophie Couronne

Chloé Delaume : Pour en finir avec la mau­vaise uti­li­sa­tion de l’expression « femmes puissantes »

delaume chloe 218 carree gros plan sophie couronne a
Chloé Delaume © Sophie Couronne 

"Il arrive que des termes ou des concepts soient dévoyés, des expres­sions, des mots, que le camp d’en face ré­cupère à son pro­fit. La nou­velle vague fémi­niste a pour outil un voca­bu­laire spé­ci­fique, qui cir­cule tant et tant que certain·es peuvent y voir une mode, un cré­neau à exploi­ter. On connaît le green­wa­shing, le pro­cé­dé mar­ke­ting ou de rela­tions publiques uti­li­sé par une orga­ni­sa­tion, une entre­prise ou une admi­nis­tra­tion dans le but de se don­ner une image de res­pon­sa­bi­li­té éco­lo­gique trom­peuse. On parle de pink­wa­shing, dans le cas où un État ou une struc­ture simule le sou­tien à la cause LGBTQI. Et donc de pur­ple­wa­shing lorsque l’image ren­voyée se veut féministe.

Parmi le lexique de la nou­velle vague, on remarque l’expression « femmes puis­santes ». En 2009, Marie NDiaye a obte­nu le prix Goncourt pour son sublime roman Trois Femmes puis­santes, récit de trois femmes si fortes qu’elle en modi­fiait leur des­tin. En 2018, Mona Cholet a publié Sorcières, la puis­sance invain­cue des femmes, avec le suc­cès que l’on sait.

Depuis, des « femmes puis­santes », on ne cesse pas d’en croi­ser. Au début, j’étais plu­tôt contente, parce que la puis­sance, ce n’est pas le pou­voir. Le pou­voir, c’est sys­té­mique, ver­ti­cal, patriar­cal ; la puis­sance, c’est la facul­té de pro­duire un effet, une capa­ci­té, la force ou le carac­tère qui en résulte. La puis­sance, c’est une force psy­chique, le pou­voir est une ques­tion d’autorité. Ne pas être dans le pou­voir relève du capi­tal : sinon on rem­pla­ce­ra juste les papa­trons par une nuée de mama­trones. Il ne suf­fit pas d’une femme à la tête d’un sys­tème pour que le sys­tème change. Pour bri­ser le pla­fond de verre, il faut des femmes puis­santes qui se montrent soli­daires.
J’étais donc bien contente que l’expression cir­cule, jusqu’à ce que je me rende compte que ce n’était plus pos­sible, que j’en avais ras le bol, que son uti­li­sa­tion, c’était n’importe quoi. Je peux dater la prise de conscience, c’est arri­vé en appre­nant le cas­ting de la sai­son 2 de Femmes puis­santes, l’émission de Léa Salamé sur France Inter. Une amie aga­cée m’avait aler­tée lors de la sai­son 1, déjà : des par­cours de réus­site, des win­neuses, des pro­fils de lea­deuses, des créa­tives, des poli­tiques, on y ­enten­dait Christiane Taubira autant que Carla Bruni, ce qui me lais­sait déjà rela­ti­ve­ment per­plexe. La sai­son 2 annonce Christine Lagarde, Anne Hidalgo, Aya Nakamura, la colo­nelle de gen­dar­me­rie Karine Lejeune. Je crois que Léa Salamé devrait se mettre à la drogue, ça pour­rait pas être pire. Une ancienne ministre de Sarkozy deve­nue pré­si­dente de la Banque cen­trale euro­péenne, ques­tion modèle, ça donne envie. Question modèle : c’est ça, le problème.

L’injonction à être puis­sante, quand bien même le mot « puis­sance » est vidé de son sens. Peut-​être que pour s’en sor­tir, il ne faut plus de modèles. Le fémi­nisme réin­vente, il a un matri­moine, une his­toire, des icônes. Les femmes puis­santes, en vrai, c’est cha­cune et nous toutes, le cor­tège des ano­nymes invi­si­bi­li­sées. Plutôt que de pas­ser un coup de pur­ple­wa­shing, les médias feraient mieux de valo­ri­ser les gestes d’héroïnes incon­nues qui luttent au quotidien." 

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.