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Depardieu, Weinstein, Poutine… : la Légion d’honneur a‑t-​elle encore un sens ?

En matière de retrait de la Légion d’honneur, titre censé honorer les “mérites éminents acquis au service de la nation”, la République fait – en la personne du président – un peu au feeling, selon la morale qu’elle s’impose à elle-même à un instant T.

On l’apprenait en début de semaine : la Grande chancellerie de la Légion d’honneur a bel et bien ouvert une procédure disciplinaire à l’encontre de Gérard Depardieu, pouvant aboutir au retrait de sa médaille. L’initiative de l’instance est un petit camouflet pour le président de la République. Le 20 décembre, Emmanuel Macron avait cru bon dans son entretien à C à vous de voler au secours d’un “immense acteur” mis en examen pour viol et dont on a pu mesurer la déchéance morale dans le Complément d’enquête le montrant tenir des propos misogynes et obscènes, notamment à l’encontre d’une enfant.

Gérard Depardieu “rend fière la France”, avait soutenu avec morgue le président, allant jusqu’à dénoncer une “chasse à l’homme” dont se rendraient coupables les féministes qui le conspuent. De quoi gêner certain·es membres du gouvernement, à l’instar de la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, pour qui Depardieu “fait honte à la France”. Ou, plus récemment, le porte-parole du gouvernement Olivier Véran, qui s’est dit “choqué par les propos” tenus par l’acteur.

Lire aussi l “Je les trouve nuls” : Olivier Véran se dit choqué par les propos misogynes de Depardieu

On le voit, le cas du “monstre du cinéma français” est en passe de devenir le maître étalon de nos valeurs, occasionnant tribunes de soutien, contre-tribunes de révolte et mea-culpa d’artistes ayant apporté à la hâte un blanc-seing par la suite regretté.

Naphtaline

La mise sur la sellette de la Légion d’honneur que Depardieu a obtenue des mains de Jacques Chirac en 1996 est un premier pas vers la décence dont on ne peut que se réjouir. Mais son retrait potentiel doit désormais emprunter le chemin feutré et tortueux des décisions opaques des ors de la République : c’est le chef de l’État qui est l’ultime décisionnaire en matière du retrait de cette récompense lancée par Napoléon et codifiée par Charles de Gaulle. Autant dire que tout ceci sent légèrement la naphtaline.

Mise en place en 1802 pour récompenser les “mérites éminents acquis au service de la nation soit à titre civil, soit sous les armes”, la Légion d’honneur n’en finit plus, ces dernières années, de questionner sur sa légitimité à honorer au nom de la nation des personnages pour le moins “problématiques” pour le dire poliment. La Légion d’honneur, c’est Gérard Depardieu qui se répand en grossièretés libidineuses, Jeff Bezos (2023) devenu milliardaire sur le dos de ses salarié·es ultra pressurisé·es et à coup de croissance climaticide, ou encore Bernard Arnault, tout juste fait en janvier grand-croix, probablement pour le féliciter de ses montages fiscaux permettant d’optimiser son impôt au détriment de nos services publics.

Mais c’est aussi, pêle-mêle, l’autocrate président égyptien Abdel Fattah al-Sissi (2020), le quelque peu belliqueux Vladimir Poutine (2006) ou encore Mohammed ben Nayef, prince héritier d’une Arabie saoudite qui n’accordait pas encore aux femmes le droit de conduire quand il fut décoré en 2016. Notons ici que le sanguinaire président syrien Bachard al-Assad a eu le bon goût de rendre sa médaille de la Légion d’honneur à la France en 2018, après avoir été menacé d’en être déchu (wouh, c’est qu’il a dû avoir peur !).

Une angoisse de la séparation ?

Au titre de ces destitutions, le code de la Légion d’honneur est assez clair : “Tout acte contraire à l’honneur commis par un membre de la Légion d’honneur est susceptible d’entraîner des mesures disciplinaires.” Autant dire qu’en la matière, la République fait un peu au feeling, selon la morale qu’elle s’impose à elle-même à un instant T. Malgré cela, nous attendons toujours celle d’Harvey Weinstein, condamné pour de multiples viols en 2020. Promise par Emmanuel Macron en 2017, elle était en 2019 “en cours de finalisation”, selon les services de l’Élysée cités par Libération. Depuis, plus de nouvelle, et ça fait quand même relativement long pour apposer un simple paraphe à une petite bafouille pour le Journal officiel.

Serait-ce qu’Emmanuel Macron aurait une petite angoisse de la séparation non résolue ? Trop dur de rompre avec celles et ceux auxquel·les on a un jour accroché une breloque au veston comme on remet un bon point à un enfant après une dictée réussie ? Pourtant, le président n’a pas eu la main qui tremble quand il s’est agi de retirer la Légion des condamné·es Claude Guéant en 2019 ou Isabelle Balkany en 2021.

Or donc, on attend. Certes, Depardieu n’est, à cette heure, pas condamné pour viol. Mais les propos qu’il a tenus dans Complément d’enquête sont incontestables, quand bien même Emmanuel Macron nous a – aussi – fait le coup du “mauvais montage” en défense de l’ex-icône du cinéma français. Mais si la Grande chancellerie se positionne sur une destitution de la Légion pour Gégé, le refus du président de l’acter montrera qu’il a une conception de “l’honneur” à tout le moins très basse.

Lire aussi l “Entre nous et le chef de l’État, ce n’est plus un fossé, c’est un trou béant” : les féministes en PLS après les déclarations de Macron sur Depardieu

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