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Le lance-​flammes d’Axelle Jah Njiké

vignettes lance flamme 1
© Illustration : Camille Besse

Axelle Jah Njiké, autrice et pod­cas­teuse, est la patronne de la rubrique Au Lance-​Flamme de la ver­sion papier de Causette jusqu'en sep­tembre 2022.

« Le fémi­nisme, c’est la mémoire. » Ces mots sont ceux de l’anthropologue Cherokee Rayna Green, et c’est Gloria Steinem qui nous les rap­porte dans son auto­bio­gra­phie *. Je n’ai jamais com­pris L’Hymne des femmes, chan­son créée col­lec­ti­ve­ment en mars 1971 par des mili­tantes fémi­nistes à Paris, deve­nue emblème du MLF, dont les paroles disent que les femmes n’ont pas d’histoire. Pas de passé. 

Pour moi, le fémi­nisme a un visage, des traits, une voix avec un accent léger, chic, dif­fi­cile à iden­ti­fier si vous ne par­lez pas ma langue mater­nelle. Il ne s’agit pas d’une théo­rie mais de quelque chose d’aussi tan­gible que le par­cours de vie de ma mère, qui incar­nait à elle seule cer­taines des sta­tis­tiques encore en vigueur aujourd’hui en matière d’inégalités et d’afflictions pour les filles. « Mariée » contre son gré à 12 ans, deve­nue mère à 13 puis à 16 ans, ma mère ne savait ni lire ni écrire. Je suis aujourd’hui autrice et j’ai pu choi­sir de mon plein gré ma gros­sesse, comme celui qui allait deve­nir le père de ma seule et unique enfant. 

Officialisé en France depuis 1982, le 8 mars – Journée inter­na­tio­nale des droits des femmes et non pas, faut-​il encore le rap­pe­ler, de LA femme – est tra­di­tion­nel­le­ment une jour­née de mobi­li­sa­tion contre le sexisme et les inéga­li­tés. Cette date est, depuis plus d’un siècle, sym­bole de lutte et de reven­di­ca­tions. Mais pour moi, c’est celle où je rends hom­mage à mes aïeules par un rituel que j’ai ins­ti­tué il y a de cela déjà plu­sieurs années ; j’allume des bou­gies à la nuit tom­bée et je les remer­cie à voix haute pour le che­min qu’elles ont ouvert pour moi. Je leur raconte ce que je peux faire grâce à leurs sacri­fices, com­ment j’ai trans­for­mé cer­tains de leurs empê­che­ments en pos­sibles. Et leur confie ce qui peut encore sur­ve­nir. Avec le sen­ti­ment de me tenir sur leurs épaules, je me remé­more ain­si que l’histoire débute au sein de ma famille, par le récit de vie de cha­cune d’entre elles. Que le fémi­nisme, c’est la mémoire et la trans­mis­sion. Qu’il res­semble à ces femmes afri­caines de ma lignée grâce aux­quelles je peux aujourd’hui lire, écrire, choi­sir… et jouir. Qu’il est de ma res­pon­sa­bi­li­té de ne pas les oublier et de faire savoir à mon tour, à ma fille, qu’elle s’inscrit dans cette lignée féminine.

À l’origine, le terme “fémi­niste” déni­grait les attri­buts du fémi­nin chez les hommes, puis il est deve­nu le mot que nous connais­sons aujourd’hui, dési­gnant la lutte pour l’égalité des droits. Dans l’intervalle, il n’a jamais signi­fié une célé­bra­tion du fémi­nin. De sa trans­mis­sion. Peut-​être serait-​il temps que ça change et que le 8 mars soit syno­nyme de mémoire et de gra­ti­tude pour celles qui furent avant nous ? En atten­dant, mer­ci à mes aïeules pour ce qu’elles ont ren­du pos­sible, et par­ti­cu­liè­re­ment aux femmes, aux sœurs et aux mères qui com­posent toute l’équipe de Causette d’accueillir entre ses pages mes billets depuis quelques mois. Prenez (bien) soin de vous. 

* Ma vie sur la route : Mémoires d’une icône fémi­niste, de Gloria Steinem, tra­duit de l’anglais (États-​Unis) par Karine Lalechère. Éd. Harper Collins, 2019.

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