tribune e
© Georges Biard / Wikimedia Commons, © Diana Guylene / Wikimedia Commons.

Lettre ouverte à Depardieu, bis repe­ti­ta : "au pays des puis­sants, le viol n’existe pas"

En avril dernier, l'autrice de théâtre et comédienne Marion Guilloux écrivait pour Causette une "Lettre ouverte à Gérard Depardieu" dans laquelle elle affirmait avoir été la destinataire de propos déplacés de la part de Gérard Depardieu lors du tournage du film Turf, de Fabien Onteniente en 2011, auquel elle a participé en tant que figurante. Au vu de l'actualité, la colère de Marion Guilloux est montée d'un cran et elle nous a réécrit.

IMG 4974
Marion Guilloux © DR

Salut Gégé,

C’est de nouveau moi ! Je remonte à cheval pour un petit tour de piste. Appelons- cela un état des lieux ( en tout bien tout honneur, hein ! )... Eh bien écoute, ça bouillonne en ce moment. Tu es le clou du spectacle dans l’actualité. Tes aficionados ont fait les frais d’un mauvais plaisantin d’extrême-droite, le président te garde malgré tout une place au chaud, tellement il est certain que tu n’as rien à te reprocher (et que chacun.e se débrouille avec ça), les femmes de ta vie te sauvent par leurs dénis (ou peut-être une sorte de sidération générationnelle ?), créant par la même occasion une véritable rupture de classes entre « elles », les Intouchables, les Respectées et les «autres », ces traînées, Marie-couche-toi-là qui sont vraiment capables du pire, pour trente minutes de gloire médiatique.

Gégé, je te le dis, avec tes conneries, on fait un pas de plus dans l’ère de la post- vérité. Les images mentent, les victimes mentent, la justice est un être fantoche à la merci de l’audimat et des féministes 4.0 en furie qui t’attendent en bas de chez toi avec des arbalètes en papier mâché. Tu es pieds et poings liés, servi en pâture à une plèbe irascible et obsédée par la mort du héros, manipulée par des journalistes pervers et réclamant toujours plus de sang pour les jours de disette.

Pourtant, si on fait la synthèse de ces nouveaux rebondissements, et malgré une indignation de plus en plus claire et massive à ton égard, les pensées stagnantes et nauséabondes qui empêchent de faire société restent suspendues dans les airs :

Au pays des puissants, le viol n’existe pas, c’est seulement chez les « autres », les belliqueux, les étrangers, les fous dans la rue... Jamais au sein des familles,
jamais au gouvernement. On ne touche pas aux pères, on ne touche pas aux héros de la nation : ceux-là, on ne le répétera jamais assez, sont INATTAQUABLES.

Lire aussi I Lettre ouverte à Gérard Depardieu : “Tu crées la terreur par le rire, tu te fais passer pour un bouffon, alors que tu es un roi tout puissant”

Au pays des puissants, les femmes agressées font ça pour le pognon, la gloire, le coup de projecteur qui fait du bien à la carrière, le truc qui, vraiment, va te permettre de décrocher un premier rôle ensuite ou t’offrir la promotion de tes rêves au sein d’une équipe technique.

Et là, excuse-moi, je fais une pause, parce que vraiment, ça ne passe pas. On va parler chiffre deux secondes :

En France, 94 000 femmes sont victimes chaque année de viol ou de tentative de viol.
Dans 91 % des cas de violences sexuelles, les femmes connaissent leurs agresseurs.

70% des plaintes pour violences sexuelles son classées sans suite. 12% des femmes victimes de viol portent plainte.
0,6 % des violeurs sont condamnées par la justice.

(Sources : Insee, Ministère de l’Intérieur)

Tu vois, ce n’est pas un combat gagné d’avance. Celles et ceux qui osent en parler sont peu nombreux.ses, celles et ceux qui sortent du tribunal en ayant eu « gain de cause », encore plus rares.

Donc, quel signal nous envoie le pays des puissants ? Que, définitivement, quand tu te fais palper par Gégé, c’est juste parce que tu cherches à te redorer le CV ?
La main au cul, les doigts dans la chatte, les grognements et plus si affinité, c’est la promesse d’un avenir solide, labellisé par Gégé ?

Allons, soyons sérieux, deux secondes, les accusations sont graves et elles sont là.

Toi, tu pleures parce que tu ne pourras plus chanter Barbara et aller manger tranquillement au restaurant. De l’autre côté, des vies détruites, juste ça.
La justice, l’administration, une partie de la population qui te traite de « menteuse », répéter l’histoire encore et encore. Pour celles et ceux qui peuvent, payer un psy et raconter l’histoire encore une fois. Pas par complaisance, ces histoires ne révèlent aucune complaisance ; il s’agit d’essayer de s’en sortir. Et puis ne pas s’en sortir... Pas toujours en tout cas. Ça cartonne moins au box-office, ça s’appelle le réel.

On va arrêter d’être naïf.ves, ça fait longtemps qu’on a compris que notre pays marchait à deux vitesses (si ce n’est plus). D’un côté, la fierté nationale, le roman national, le cinéma français, les valeurs culturels et économiques d’un pays, l’élégance à la française, la drague à la française, le droit d’importuner, le droit de nier l’intégrité d’autrui.

De l’autre côté, celles et ceux, Nous, qui demandons justice, considération, respect et légitimité. C’est moins subtil, c’est plus concret. Et pourtant, dans un monde avec de telles valeurs, il sera toujours possible de faire de l’Art. Compte sur nous.

Tu sais, on ne va pas te lancer une bande d’épagneuls énervés pour te traquer dans tout Paris. On n’espère qu’une chose : que tu reconnaisses les faits.

Sois novateur, sois surprenant, réinvente les codes et offre à ton public le rôle de ta vie : L’ Histoire de homme qui demandait pardon. Mais pas un faux truc par-dessus la jambe pour faire taire ton odieux « tribunal populaire », non.

Une véritable demande de pardon.
Peux-tu imaginer l’incroyable bouleversement de société que tu créerais ?
Ce serait le début, un tout petit début sur le chemin d’une très longue réparation.

Partager

Cet article vous a plu ? Et si vous vous abonniez ?

Chaque jour, nous explorons l’actualité pour vous apporter des expertises et des clés d’analyse. Notre mission est de vous proposer une information de qualité, engagée sur les sujets qui vous tiennent à cœur (féminismes, droits des femmes, justice sociale, écologie...), dans des formats multiples : reportages inédits, enquêtes exclusives, témoignages percutants, débats d’idées… 
Pour profiter de l’intégralité de nos contenus et faire vivre la presse engagée, abonnez-vous dès maintenant !  

 

Une autre manière de nous soutenir…. le don !

Afin de continuer à vous offrir un journalisme indépendant et de qualité, votre soutien financier nous permet de continuer à enquêter, à démêler et à interroger.
C’est aussi une grande aide pour le développement de notre transition digitale.
Chaque contribution, qu'elle soit grande ou petite, est précieuse. Vous pouvez soutenir Causette.fr en donnant à partir de 1 € .

Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.