Depuis #MeToo, quand des personnalités féminines sont interrogées sur leur rapport au féminisme, on assiste souvent, dans les interviews, à des contorsions acrobatiques, des triples axels double looping qui finissent généralement par se vautrer sur cette figure : « Je suis féministe, mais ». Quand vous lisez cette phrase, vous pouvez effacer la première partie. Tout ce qui compte, c’est la seconde. D’ailleurs, essayez avec d’autres mots. « Je ne suis pas raciste, mais » « je ne suis pas homophobe, mais ». Vous sentez à quel point le résultat est désastreux ? Pourtant, on a des tas de « je suis féministe, mais » qui passent crème, comme s’il s’agissait vraiment d’une petite nuance de rien du tout.
On l’est ou on ne l’est pas !
Chimamanda Ngozi Adichie a écrit qu’être féministe, c’est comme être enceinte, on l’est ou on ne l’est pas. On est pour l’égalité pleine et entière entre les femmes et les hommes ou pas. Il n’y a pas de restriction possible au principe d’égalité. Comment peut-on dire « Je suis pour l’égalité, mais » ? Mais il ne faudrait pas que ça aille trop loin ? Qu’est-ce qu’une égalité extrême ? C’est 50–50 ? « Je suis féministe, mais je suis pour laisser 60 % aux hommes. » L’égalité est-elle un concept si effrayant ? En tout cas, le féminisme reste une idée subversive, perçue comme dangereuse parce qu’en réalité, dans le fond, pour les tenantes du « mais », il s’agit de ne pas se fâcher avec les hommes, de se montrer gentilles, inoffensives, pas vindicatives comme les autres sorcières hystériques. Ce qu’elles négligent, c’est que ce « mais » est grave parce qu’il discrédite les féministes, il anéantit des heures d’explications et de pédagogie. Il induit l’idée que les autres féministes veulent pendre les hommes par leurs couilles et nous préparer une société totalitaire où les petits garçons seront obligés de jouer à la poupée en chantant La Reine des neiges. Je ne pense pas que ces femmes cherchent délibérément à saborder le travail des militantes, elles parlent ainsi par lâcheté et/ou par méconnaissance.
Je comprends qu’on éprouve le besoin de nuancer des choses dans son engagement féministe. Bien sûr que nous sommes toutes en désaccord les unes avec les autres, mais répondre ainsi à la question êtes-vous féministe, c’est choisir de mettre en avant non la lutte pour l’égalité, mais les soi-disant dangers du féminisme. C’est une hiérarchisation qui consiste à se dire que sa priorité, ce n’est pas de défendre des idées féministes, mais de s’en désolidariser et de filer un gros coup de pied aux autres féministes. Et c’est d’autant plus grave et irresponsable que les militantes féministes se font régulièrement harceler. On vivrait une époque où être féministe ne poserait pas de difficulté particulière, ces déclarations à base de « mais » seraient moins problématiques. Mais tous les jours, en particulier en ligne, des féministes se font verbalement agresser, menacer, harceler. Mettre en avant un « mais », c’est presque donner raison à leurs agresseurs. La priorité de celles qui sont féministes devrait être de le revendiquer, et plus tard, si la question est posée, d’apporter ses propres nuances.