Chloé Delaume : « La qua­trième vague fémi­niste, celle que nous vivons depuis #MeToo, est une révo­lu­tion de mœurs »

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© Olena Sergienko

« Fatwa civi­li­sa­tion­nelle » ; « Projet géno­ci­daire moral » ; « Une forme de tota­li­ta­risme ». C’est ce qu’ont hur­lé bien des mes­sieurs, y com­pris dans le poste de radio. Ce qui les a ren­dus mabouls, ce n’est pas la venue de l’Apocalypse ni une émas­cu­la­tion de masse, mais une remarque d’Alice Coffin. Militante fémi­niste, autrice du livre Le Génie les­bien

Son crime : avoir par­ta­gé une astuce per­met­tant à notre ima­gi­naire d’échapper à la domi­na­tion mas­cu­line. À savoir : ne se nour­rir que des œuvres de femmes. Livres, films, musiques. C’est en tout cas ce qu’elle a choi­si pour que le monde ne soit plus pen­sé uni­que­ment par les hommes. Pour elle, les œuvres mas­cu­lines sont le pro­lon­ge­ment d’un sys­tème, et pour pen­ser hors de ce sys­tème, sa solu­tion est de voir ailleurs. Elle aus­si, dans son genre, elle se lève et se casse. Et ça, ils sont nom­breux à ne pas le supporter. 

Bien sûr, c’est radi­cal, mais ça a le mérite de sou­le­ver moult pro­blèmes. La repré­sen­ta­tion des femmes dans l’art, la visi­bi­li­té ou plu­tôt l’invisibilité des artistes fémi­nines. Les cli­chés ances­traux gra­vés sur pel­li­cule et la néces­si­té d’inventer d’autres modèles. C’est un peu com­pli­qué de se construire puis­sante quand on est habi­tuée à voir les seconds rôles se prendre des baffes et des mains au cul tout en fai­sant la vaisselle. 

Vous connais­sez sûre­ment le test de Bechdel ? Pour le pas­ser avec suc­cès, une œuvre doit cocher trois cri­tères : deux femmes au moins doivent être ­nom­mées par leur pré­nom et leur nom, qui parlent ensemble, et d’un sujet sans rap­port avec un homme. Passez en revue vos films cultes, vous serez sur­prises par le résultat.

C’est pour échap­per à ce car­can men­tal qu’Alice Coffin a fait le choix de ne plus se tour­ner que vers des pro­duc­tions fémi­nines. Je ne suis pas cer­taine que toutes passent pour autant le test de Bechdel d’ailleurs. Ni que la qua­li­té soit obli­ga­toi­re­ment, intrin­sè­que­ment, au rendez-​vous. Mais ce qui m’intéresse dans sa démarche, c’est qu’elle est en quête d’un outil. Un outil pour modi­fier le réel, un réel régi par le sys­tème patriar­cal. La qua­trième vague fémi­niste, celle que nous vivons depuis #MeToo, est une révo­lu­tion de mœurs. De pen­sée, éga­le­ment. Or, ce qui n’est pas nom­mé n’existe pas. Mais depuis quelque temps, des mots, des expres­sions viennent nom­mer le réel. Je pense à « culture du viol » ou à « abus conju­gal », mais éga­le­ment à « sororité ». 

C’est éga­le­ment le cas du terme « matri­moine ». Le matri­moine cultu­rel, c’est l’héritage légué par les géné­ra­tions de femmes qui nous ont pré­cé­dées. Le mot existe depuis le Moyen Âge, mais, évin­cé au pro­fit de « patri­moine », il n’est reve­nu dans les bouches que depuis les années 2000. Valoriser le matri­moine, visi­bi­li­ser toutes les créa­trices qui ont été savam­ment évin­cées de l’histoire des arts et des lettres, prê­ter atten­tion aux contem­po­raines : peut-​être que c’est ça, aus­si, que ces mes­sieurs nom­breux ne peuvent pas sup­por­ter. Fin de leur supré­ma­tie. Chéri, pousse-​toi j’arrive et mon nom est légion. Le couilli­dé n’est pas prê­teur, c’est là son moindre défaut.

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