![Chloé Delaume : « La quatrième vague féministe, celle que nous vivons depuis #MeToo, est une révolution de mœurs » 1 books on brown wooden shelf](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/ft_wn-k5yh8-682x1024.jpg)
« Fatwa civilisationnelle » ; « Projet génocidaire moral » ; « Une forme de totalitarisme ». C’est ce qu’ont hurlé bien des messieurs, y compris dans le poste de radio. Ce qui les a rendus mabouls, ce n’est pas la venue de l’Apocalypse ni une émasculation de masse, mais une remarque d’Alice Coffin. Militante féministe, autrice du livre Le Génie lesbien.
Son crime : avoir partagé une astuce permettant à notre imaginaire d’échapper à la domination masculine. À savoir : ne se nourrir que des œuvres de femmes. Livres, films, musiques. C’est en tout cas ce qu’elle a choisi pour que le monde ne soit plus pensé uniquement par les hommes. Pour elle, les œuvres masculines sont le prolongement d’un système, et pour penser hors de ce système, sa solution est de voir ailleurs. Elle aussi, dans son genre, elle se lève et se casse. Et ça, ils sont nombreux à ne pas le supporter.
Bien sûr, c’est radical, mais ça a le mérite de soulever moult problèmes. La représentation des femmes dans l’art, la visibilité ou plutôt l’invisibilité des artistes féminines. Les clichés ancestraux gravés sur pellicule et la nécessité d’inventer d’autres modèles. C’est un peu compliqué de se construire puissante quand on est habituée à voir les seconds rôles se prendre des baffes et des mains au cul tout en faisant la vaisselle.
Vous connaissez sûrement le test de Bechdel ? Pour le passer avec succès, une œuvre doit cocher trois critères : deux femmes au moins doivent être nommées par leur prénom et leur nom, qui parlent ensemble, et d’un sujet sans rapport avec un homme. Passez en revue vos films cultes, vous serez surprises par le résultat.
C’est pour échapper à ce carcan mental qu’Alice Coffin a fait le choix de ne plus se tourner que vers des productions féminines. Je ne suis pas certaine que toutes passent pour autant le test de Bechdel d’ailleurs. Ni que la qualité soit obligatoirement, intrinsèquement, au rendez-vous. Mais ce qui m’intéresse dans sa démarche, c’est qu’elle est en quête d’un outil. Un outil pour modifier le réel, un réel régi par le système patriarcal. La quatrième vague féministe, celle que nous vivons depuis #MeToo, est une révolution de mœurs. De pensée, également. Or, ce qui n’est pas nommé n’existe pas. Mais depuis quelque temps, des mots, des expressions viennent nommer le réel. Je pense à « culture du viol » ou à « abus conjugal », mais également à « sororité ».
C’est également le cas du terme « matrimoine ». Le matrimoine culturel, c’est l’héritage légué par les générations de femmes qui nous ont précédées. Le mot existe depuis le Moyen Âge, mais, évincé au profit de « patrimoine », il n’est revenu dans les bouches que depuis les années 2000. Valoriser le matrimoine, visibiliser toutes les créatrices qui ont été savamment évincées de l’histoire des arts et des lettres, prêter attention aux contemporaines : peut-être que c’est ça, aussi, que ces messieurs nombreux ne peuvent pas supporter. Fin de leur suprématie. Chéri, pousse-toi j’arrive et mon nom est légion. Le couillidé n’est pas prêteur, c’est là son moindre défaut.