Chloé Delaume : « Le male gaze colo­nise tous les imaginaires »

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© Sophie Couronne 

« Un géné­ra­teur de com­plexes », c’est Bérangère qui m’a dit ça de son der­nier rendez-​vous Tinder. Ils étaient nus dans le lit, tous les deux avaient joui, il l’a sou­dain scan­née, a com­men­té son corps. Limite s’il ne l’a pas notée. Compliment sur ses seins, un grain de beau­té sexy, puis : « C’est dom­mage, ce ventre. » Bérangère m’a avoué être res­tée inter­dite. Elle n’a pas répon­du : « Et toi que tu perdes tes che­veux », ni trou­vé de pun­chline, ni ten­du un miroir. Elle a mis son pei­gnoir et elle a fait du thé. Une fois que le gar­çon a quit­té son appart, Bérangère s’est regar­dée très long­temps dans la glace. Ensuite, elle m’a appe­lée pour savoir si j’avais déjà por­té une gaine. Le fait est que j’en ai une, que je n’ai mise qu’une fois : on ne peut pas s’asseoir et on est à deux doigts de tom­ber dans les pommes. 

Que la réflexion de ce type ait un impact sur elle, ça m’a mise en colère. Ce pou­voir d’un quasi-​inconnu, ce pou­voir qu’a sur les femmes le regard mas­cu­lin et qui, dès le plus jeune âge, les marque au fer rouge et crée des com­plexes indé­lé­biles. Le droit aux com­men­taires, ce qu’ils s’autorisent, aus­si, tan­dis que nous, on ne dit rien. Sur le gras de leur ventre, sur leur alo­pé­cie, sur leurs dys­fonc­tion­ne­ments érec­tiles. On n’y accorde pas d’importance ; dans le cas contraire, on accepte. C’est une ques­tion de condi­tion­ne­ment. Conséquences directes du male gaze.

L’asymétrie se pour­suit jusqu’au creux de la chambre. Notre corps, sans cesse, est jau­gé. Espace public, espace pri­vé, espace intime. Matin, midi et soir, toutes, sans relâche, expo­sées. Ici, ce sera un nez trop long ; là, des kilos incri­mi­nés ; ailleurs, une taille de bon­nets insuf­fi­sante ou un cul pas assez bom­bé. Les canons du mâle domi­nant impliquent qu’on soit pho­to­sho­pées. Se sou­mettre à l’évaluation en rêvant d’avoir la moyenne s’avère aus­si vain qu’humiliant. 

Il fau­drait que ce regard change, édu­quer les petits gar­çons, faire en sorte que les hommes prennent plei­ne­ment conscience de la vio­lence que ça véhi­cule et com­bien ça conta­mine d’autres ter­ri­toires dans la tête des femmes. Le male gaze colo­nise tous les ima­gi­naires. J’en ai repar­lé à Bérangère, avant qu’elle n’amorce un régime, parce que, entre le confi­ne­ment et les fêtes, c’est pas vrai­ment le moment de se faire des blancs de pou­let dès le petit déjeuner. 

La seule solu­tion viable, c’est de s’affranchir de ce regard. Bérangère m’a fait remar­quer que c’était pas si simple, dans la mesure où nous avons toutes les deux le mal­heur d’être hété­ro­sexuelles. Mais la solu­tion la plus pérenne et la plus construc­tive serait sans doute que les hommes en finissent avec ce réflexe pav­lo­vien dont, pour la plu­part, ils n’ont pas la moindre conscience. Car, sauf erreur de notre part, on ne leur a pas deman­dé leur avis. Ce sont des géné­ra­tions de femmes hété­ros qui s’en por­te­raient mieux dans le futur.

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