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© Besse

Séparation : l’annonce faite aux enfants

Tous les mois, Causette inter­roge des parents impar­faits sur la façon dont ils et elles se démènent avec l’éducation de leurs bam­bins. Et quel sys­tème D ils et elles
mettent en place pour sur­vivre. Ce mois-​ci, com­ment dire : « papa et maman se quittent ».

Certes, une sépa­ra­tion se déroule rare­ment dans la joie et l’allégresse. Mais s’il est un moment par­ti­cu­liè­re­ment redou­table, c’est bien celui où il faut cra­cher la Valda aux enfants, leur expli­quer qu’entre leurs parents, c’est moins La croi­sière s’amuse (« Love, exci­ting and neeeeew… ») qu’une ver­sion de Titanic où Jack et Rose n’auraient même plus envie de par­ta­ger la même planche.

Selon les chiffres de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des sta­tis­tiques, en France, on recense annuel­le­ment envi­ron 425 000 sépa­ra­tions (divorces, rup­tures de Pacs, d’union libre), ce qui implique, par rico­chet, les 379 000 mineurs qui sont sous la res­pon­sa­bi­li­té des adultes concer­nés. Autant dire que cela fait un paquet de minot·es à infor­mer. Et autant de méthodes pour s’en acquitter…

Renaud, 44 ans, deux enfants de 13 et 9 ans

Auteur de la news­let­ter Les Séparents

En 2020, Renaud et sa com­pagne achètent une mai­son. Problème : les sen­ti­ments n’étaient pas dans les car­tons. L’idée d’une sépa­ra­tion affleure. Sauf qu’« on avait envie de conti­nuer à faire famille. Pour nous, il est pos­sible de déco­cher la case “amour” sans déco­cher toutes les autres cases ». Les ex-​conjoints ont donc un double mes­sage à faire pas­ser : les parents se séparent, mais conti­nuent à cohabiter.

Ils laissent pas­ser Noël pour faire leur annonce. Pour Renaud, c’est moins le fond du mes­sage que sa forme qui importe. « Le moment où on va dire les choses, l’attitude qu’on va avoir… On ne vou­lait pas qu’ils sentent chez nous de la peur ou de l’incertitude. Et hors de ques­tion de dra­ma­ti­ser, parce qu’il n’y a rien de dra­ma­tique dans le fait de ne plus s’aimer. On opère juste un chan­ge­ment pour que la vie de famille soit plus heu­reuse. » L’annonce se fait un dimanche soir. Pas de texte pré­pa­ré, « on avait confiance en nous, en notre déci­sion, et c’est ce qu’il fal­lait par­ta­ger. Plus des ondes que des mots, fina­le­ment », résume Renaud. Âgée de 11 ans, leur fille aînée pleure. 

Avec le recul, Renaud pense qu’ils auraient dû l’emmener voir quelqu’un pour accueillir ses sen­ti­ments. De même, il estime que son ex et lui n’ont pas été assez clairs dans l’explication du double mes­sage, car, pour les parents, le quo­ti­dien n’évolue pas vrai­ment. Le tir est rec­ti­fié au bout de quelques semaines. Un conjoint prend la res­pon­sa­bi­li­té du foyer pour une semaine quand l’autre est libre de son temps, puis inver­se­ment. « Il fal­lait acter des modi­fi­ca­tions pour mon­trer aux enfants que les choses avaient changé. »

Irène*, 42 ans, trois enfants de 16, 13 et 8 ans

*Le pré­nom a été modifié

Pour Irène et son mari, la déci­sion de se sépa­rer a été longue à prendre. On ne tire pas un trait sur vingt ans de vie com­mune comme ça… Mais, au bout de trois séances de thé­ra­pie conju­gale, la rup­ture s’est impo­sée. Monsieur traîne un peu des pieds. Aussi Irène commence-​t-​elle à en par­ler, par petites touches, à leurs trois enfants. Des dis­cus­sions infor­melles quand l’occasion se pré­sente. En adap­tant son dis­cours à la tranche d’âge de chacun. 

À la grande, elle parle de « la vie de famille qui peut être pleine de rebon­dis­se­ments ». Au cadet qui s’enquiert des futures vacances, elle explique qu’il n’est pas dit que, cet été, elles se dérou­le­ront tous ensemble. À la petite, elle annonce que « papa et maman ne dorment plus ensemble ». Leur thé­ra­peute enjoint Irène et son ex de par­ler aux enfants de façon plus for­melle. « On l’a ins­crit comme “réunion de famille” sur le plan­ning », se rap­pelle Irène.

L’explication ne dure pas plus de… dix minutes. Et se déroule sans drame. « La petite s’est excla­mée : “Génial, je vais pou­voir aller dor­mir avec maman !” Il a fal­lu remettre les pen­dules à l’heure tout de suite ! », affirme Irène avec un sou­rire. De fait, estime-​t-​elle, « ce sont fina­le­ment les deux années pré­cé­dentes, où ils ont vu qu’on n’allait pas bien, qui ont peut-​être été les plus dures pour eux ». La dis­cus­sion se pour­suit sur des inter­ro­ga­tions concrètes : com­ment fêter les anni­ver­saires ? Est-​ce que des vacances com­munes sont envi­sa­geables à l’avenir ? Irène et son conjoint
répondent fran­che­ment. OK pour les anni­ver­saires, pour les vacances, pas ques­tion pour l’instant.

Bilan des courses, l’annonce se passe plu­tôt bien. Pour Irène, deux condi­tions à cette réus­site. D’abord, par­ve­nir à faire sor­tir la colère res­sen­tie envers son ex en amont et être apaisé·e. Et sur­tout, ne pas mettre les enfants face à un choix entre les parents : « Ils sont certes au milieu, mais ce ne sont pas les arbitres. »

Jeanne *, 42 ans, trois enfants de 12, 8 et 4 ans

*Le pré­nom a été modifié

Pour Jeanne, tout va très vite. Cela fait déjà un moment que son couple prend l’eau. Un 12 décembre, elle embrasse un homme qui la fait vibrer et, le 7 jan­vier, elle annonce son désir de par­tir au père de ses filles. Lequel « tombe de l’armoire » et n’y croit pas trop. Elle dort dans le salon et met son réveil à six heures du matin, his­toire de replier le cana­pé avant que ses filles, qui ont alors 5 et 1 an, ne se lèvent. 

Si l’annonce a été moins for­melle pour la ben­ja­mine encore bébé, pour l’aînée, les choses ont été actées. « On a atten­du que j’aie trou­vé un appar­te­ment et lais­sé pas­ser son anni­ver­saire », se sou­vient la qua­dra. L’annonce se déroule un dimanche soir, après le jambon-​coquillettes. Jeanne se rap­pelle avoir eu peur de « foutre la vie de (s)es filles en l’air ». « Mais je me suis dit ensuite que, si je ne par­tais pas, c’est moi que ça fou­trait en l’air. Et puis je sen­tais que l’amour que j’avais pour mon nou­veau com­pa­gnon allait nous por­ter. Il y avait un vrai sen­ti­ment de liber­té. »

A pos­te­rio­ri, Jeanne note que, lors de cette annonce, elle a beau­coup lais­sé par­ler son conjoint, « parce que je me sen­tais cou­pable ». Elle ne se sou­vient pas d’avoir mis sa fille en confiance, de « lui avoir dit que ça allait bien se pas­ser ». C’est donc lui qui prend la parole et qui récon­forte leur fille. « Je le revois la prendre sur ses genoux. C’est un sou­ve­nir qui me saoule. Je lui ai lais­sé le beau rôle. » Son rôle à elle ? « Celui de la fofolle qui se barre. Alors que ce qui était fou, c’était de res­ter. » Même si elle aurait aimé tenir davan­tage sa place au moment de l’annonce, Jeanne se sent fière : « En par­tant, j’ai mon­tré à mes filles qu’on pou­vait prendre sa vie en main. »

Qu’en dit le Dr Kpote ?

Vous avez tout ten­té… en vain. Les rendez-​vous de thé­ra­pie fami­liale tombent tou­jours un soir de Ligue des cham­pions, la conseillère conju­gale est « une fémi­niste mal bai­sée qui veut cou­per les couilles des mecs », les dis­cus­sions sur l’oreiller sombrent dans les ron­fle­ments et, sur­tout, « pas un mot aux enfants, ça va les trau­ma­ti­ser ». Les dif­fé­rends s’enkystent et votre couple pour­rit dans son jus.

Cette dis­cus­sion, ça fait un bail que vous vou­lez la pro­vo­quer. Mais sté­réo­type de genre oblige, le mec attend que vous cre­viez l’abcès conju­gal pour opi­ner du chef, tout en réac­ti­vant son vieux compte Tinder avec ses pho­tos d’avant cou­vades et cal­vi­tie. Les gosses ? « Ils ont sur­tout besoin de leur mère à c’t’âge-là, non ? » C’est fou le nombre d’hommes qui, au moment de la sépa­ra­tion, ont tra­duit à leur sauce, entre deux Rapido, tout Winnicott ou Dolto, et qui sont prêts à frei­ner leurs élans
pater­nels pour le bien de leurs ché­ru­bins. Mais ne soyons pas mau­vaise langue – #NotAllMen –, cer­tains s’y collent, au fameux « papa et maman ont un truc impor­tant à vous dire ». 

Il faut avouer que c’est un peu plus simple aujourd’hui que quand j’étais gamin, où, dans mon école, les « enfants de divorcé·es » se comp­taient sur les doigts d’une main. Désormais, la famille recom­po­sée est plus ten­dance et les jeunes se sentent beau­coup moins seul·es dans leur sta­tut post­rup­ture. Autre temps, autres mœurs, mais curieu­se­ment, le mythe du coït à voca­tion thé­ra­peu­tique per­dure. De Claude François en 1967 (On fera sem­blant /​Oui, comme d’habitude /​On fera l’amour) à Orelsan en 2011 (On s’engueule elle me crache à la figure /​Je lui retourne le crâne en 3 minutes /​Les draps nous consolent après chaque dis­pute). Reste à savoir si votre couple est dans de beaux draps, ou pas.

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