Comme Yann Arthus-​Bertrand, les hommes sont plus nom­breux à quit­ter leur femme malade

Le photographe a quitté sa femme atteinte de la maladie de Parkinson. Les chiffres l'attestent : les femmes malades constatent, plus souvent que les hommes, un manque de soutien de la part de leur conjoint.

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© Besse

Le photographe et militant Yann Arthus-Bertrand a confié sur YouTube, dans une interview à Jordan De Luxe, s’être séparé de celle qui était son épouse depuis quarante ans, Anne, qui l’avait suivi jusqu’au Kenya dans les années 1970. “On est malheureusement séparé aujourd’hui”, a-t-il déclaré. “Elle ne supportait plus mon travail. Je ne m’occupais pas assez d’elle. Mais je la vois tous les jours. C’est une séparation douce.”

Une situation loin d’être isolée : mariée à 27 ans, enceinte à 28 ans, Marina n’avait pas vu venir la leucémie, quelques mois après la naissance de sa fille. Ni le divorce, quelques années plus tard. “Avec le cancer, le mariage, ça passe ou ça casse”, résume cette sophrologue de 46 ans. Après cinq mois en chambre stérile, Marina rentre chez elle auprès de son mari et de sa fille de moins d’un an. Épuisée par sa maladie, elle n’a “plus la force de remplir le frigo et faire tourner la machine à laver”.

Mais son mari ne prend pas le relais. Avant sa leucémie, Marina se comportait “comme une parfaite ménagère des années 50, par amour, dévouement ou sacrifice”. Avec la maladie, le manque d’aide et de soutien de son mari au quotidien devient insupportable. Elle demande le divorce, il tente de l’en dissuader. “Tu n’as pas d’argent, pas de travail, ta vie ne tient qu’à un fil.” Justement, rétorque-t-elle, elle n’a “pas de temps à perdre” avec un “enfant” comme lui.

Comme Marina et son mari, 4,5 % des couples français se séparent moins de deux ans après le diagnostic de cancer d’un des conjoints, selon le rapport interministériel “La vie deux ans après un diagnostic de cancer” publié en 2014. En 2009, une étude publiée dans la revue Cancer constate que le taux de divorce des couples où l’un·e des conjoint·es souffre de cancer est six fois plus élevé lorsque le malade est une femme (20,8 % contre 2,9 %). Une autre étude, en 2015 aux États-Unis, montre qu’une maladie grave (cancer, problèmes cardiaques ou AVC) est associée à un risque plus important de divorce que la moyenne... seulement lorsque l’épouse est malade.

“Tu vas arrêter de me faire chier avec ton cancer”

“Il y a un mythe du divorce consécutif au cancer, mais pour l’instant, en France et en Europe, on manque de données sur le sujet”, nuance Leonor Fasse, psychologue clinicienne à l’institut Gustave Roussy, centre de lutte contre le cancer à Villejuif (Val-de-Marne).

Ce qui est sûr, c’est que les hommes peinent à endosser le rôle d’aidant auprès de leur épouse. Comme Marina, beaucoup d’entre elles doivent continuer de prendre en charge repas, lessives et enfants malgré la maladie. Dans le rapport interministériel de 2014, seulement 52 % des femmes malades se disent “beaucoup” aidées au quotidien par leur conjoint, contre 74 % des hommes malades.

“Depuis leur plus jeune âge, les femmes sont davantage habituées à faire ce travail de care, de soutien au quotidien, explique le sociologue Guillaume Grandazzi, qui a enquêté sur des couples face au cancer. Les hommes sont socialement moins encouragés à être dans l’aide et le souci de l’autre.” C’est d’ailleurs pour cela qu’on retrouve davantage de femmes dans les métiers de soin et de service à la personne… Et cela semble se vérifier dans l’intimité du couple, comme on peut le voir avec les différentes études sur la charge émotionnelle. Le sociologue a observé que dans les cas où l’homme est malade, même si le couple va mal, les femmes n’osent pas partir. “Elles ne s’autorisent pas à “abandonner” leur mari malade : elles ont une pression sociale plus forte, explique-t-il. Elles ont intériorisé l’assignation aux soins que l’on fait aux femmes dans la société – beaucoup plus qu’aux hommes.”

Ainsi, certaines femmes malades doivent se rendre seules aux opérations et aux chimiothérapies. Dominique souffre d’une maladie rare des os et d’un cancer du sein. Son ex-conjoint ne l’a jamais accompagnée ; elle en a conclu que “les hommes n’aiment pas les hôpitaux”. Pour Sabria, c’est la femme du meilleur ami de son mari, enceinte, qui s’est dévouée.

Brigitte se retient même de parler de son cancer du sein devant son mari. “Je ne suis pas médecin, ça ne sert à rien d’en parler”, lui oppose-t-il. À cause de ce “non-dit”, le couple, auparavant “très bavard” d’après Brigitte, n’a “plus rien à se dire”. Son mari “persiste” à lui demander de “se bouger” tous les matins. “Il en a marre que je sois tout le temps épuisée”, se désole Brigitte. Malade depuis deux ans, elle a voulu divorcer l’année dernière, mais son mari la retient : “Ça coûte trop cher”, avance-t-il.

Le manque de soutien émotionnel touche plus les femmes que les hommes. Face à la maladie, 60 % des femmes se déclarent “beaucoup” soutenues par leur conjoint sur le plan affectif, contre 82 % des hommes, selon un rapport interministériel français publié en 2004.

Pour Élisabeth, l’entrée en rémission n’entraîne aucune amélioration. À peine savoure-t-elle la nouvelle que les mots de son conjoint la glacent : “Enfin, tu vas arrêter de me faire chier avec ton cancer !” Elle tombe des nues. À l’annonce du diagnostic, il l’avait pourtant rassurée : “On est ensemble pour le meilleur et pour le pire.” Élisabeth s’investit dans des associations, tient un blog, puis écrit un livre sur son expérience. Il ne s’y intéresse pas. “Tout ce qu’il voulait, c’était de ne plus entendre parler de la maladie”, raconte-t-elle.

Mais rémission ne veut pas dire guérison, et certains cancers du sein, comme celui d’Élisabeth, nécessitent un traitement hormonal pendant plusieurs années. Son conjoint finit par la quitter : “J’en ai marre de cette vie de merde, de tes problèmes, de tous tes rendez-vous, tes trucs, tes machins.”

La maladie, un révélateur des failles du couple

Céline Lis-Raoux, cofondatrice de Rose Up, une association d’aide aux femmes touchées par un cancer, pense que la maladie dévoile les failles du couple. Élisabeth, Brigitte et tant d’autres femmes interrogées estiment ainsi que leur cancer leur a “révélé” la vraie personnalité de leurs maris, un manque d’empathie et d’attention.

“La maladie m’a montré que mon mari et moi n’étions pas en phase en termes de valeurs”, témoigne aussi Claire, une trentenaire qui souffre d’endométriose sévère et de la maladie de Crohn, une inflammation chronique du gros intestin. La fidélité, la loyauté, le soutien et l’écoute sont fondamentales pour elle. Mais son mari lui reproche ses douleurs, la traite de rabat-joie, la trompe avec une autre femme et s’en justifie par la maladie. Il lui reproche de lui gâcher sa jeunesse : “Tu te rends compte que je suis condamné à être le mari d’une malade ?” Claire se sent comme un “boulet”.

Elle essaie d’épargner son mari, cache ses douleurs chroniques pour ne pas mettre en péril la vie sociale du couple. Quand elle craque devant leurs amis, il l’engueule : “Tu gâches toujours tout, tu fais ça pour attirer l’attention.” À l’époque, Claire culpabilise. Aujourd’hui divorcée de son ex-mari, elle en est certaine : “Moi, je l’aurais soutenu s’il avait été malade.”

“Une femme qui n’a qu’un sein, je ne peux pas”

Les relations intimes, devenues difficiles, fragilisent le couple. D’après le sociologue Guillaume Grandazzi, les conséquences esthétiques de la maladie sont particulièrement compliquées à assumer pour les femmes. Brigitte ne supporte plus que son mari la regarde, avec ses cicatrices, son sein en moins puis sa prothèse, qui ne lui “ressemble pas”. “Je me cache, j’ai terriblement honte de mon corps. Et mon mari ne m’aide pas : mon corps, mes cicatrices, il n’en parle pas, c’est un sujet tabou.”

Il y a une dizaine d’années, Sophie 1 subit une mastectomie (ablation du sein) à la suite d’un cancer. Elle découvre peu après que son mari la trompe. Ils se séparent. À leur groupe d’amis, son ex-mari confie : “Moi, je ne peux pas vivre avec une femme qui n’a qu’un sein.”

Le mari de Sabria, lui, n’arrivait plus à la toucher après sa mastectomie, n’osait même plus entrer dans la salle de bains quand elle était nue. Elle garde de cette histoire “l’impression de n’avoir été qu’un bout de viande”. “Tant que j’avais deux seins, je pouvais lui plaire, mais avec un seul, ce n’est plus possible.” Sophie résume : “Un couple, à quoi ça tient ? Parfois, juste à un sein.”

Qu’elle touche ou non aux “attributs féminins”, la maladie dégrade l’intimité. L’ex-mari de Claire lui disait : “Tu crois que ça me fait envie, une femme qui se tord de douleur par terre ?” Dominique se souvient : “La maladie a coupé tous les moyens à monsieur. J’avais l’impression de vivre avec un asexuel.” Elle confie avoir pensé “retourner sa veste” et aller vers les femmes, qu’elle estime plus compréhensives. Claire, elle, a rencontré un autre homme après son divorce. Elle a mis du temps à croire qu’elle pouvait plaire à nouveau, avec ses crises de douleur, ses faiblesses, ses diarrhées. Elle lui disait : “Ça ne marchera jamais, tu vas en avoir marre.” Il l’a convaincue du contraire. Comme le nouveau compagnon de Sophie, comme celui de Sabria, “plein de douceur et de tendresse”. Quant à Marina, elle s’estime “heureuse” que la maladie lui ait montré à quel point son mari était “égoïste”. Elle espère bien se remarier un jour.

  1. Le prénom a été modifié[]
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