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Locaux de MaMaMa. Décembre 2022. ©A.T.

Précarité infan­tile : l’association MaMaMa vient en aide aux mères isolées

À Saint-​Denis, l’association MaMaMa lutte contre la pré­ca­ri­té infan­tile en dis­tri­buant aux mères en dif­fi­cul­tés des ali­ments pour bébés, des couches et des vête­ments chauds. Reportage dans un lieu soli­daire pour­tant mena­cé de fermeture.

À quelques semaines de Noël, les locaux de MaMaMa sont en ébul­li­tion. Magali Bragard, la pré­si­dente de l’association, Inès, la secré­taire géné­rale et Julien, un béné­vole sont en pleine dis­cus­sion : les deux sapins de deux mètres gra­cieu­se­ment don­nés par la tante fleu­riste d’Inès rentreront-​ils dans le four­gon en plus de la col­lecte de la crèche ? Après quelques minutes de réflexion, il sera acté que pour que tout rentre, Julien pas­se­ra d’abord récu­pé­rer les dons avant les sapins. Ils ser­vi­ront à déco­rer les locaux de l’association, nichés au bout d’une impasse de la ville de Saint-​Denis (Seine-​Saint-​Denis).

La dis­cus­sion de ce mer­cre­di midi est à l’image de l’association : une ruche sans cesse en agi­ta­tion. « Il faut tou­jours tout gérer », s’excuse Magali Bragard, un café dans une main et tenant la porte d’entrée dans l’autre pour lais­ser pas­ser une jeune femme et sa pous­sette. À l’intérieur, des guir­landes ont déjà été ins­tal­lées dans la grande pièce qui sert de salon d’accueil. Malgré les tem­pé­ra­tures hiver­nales, l’ambiance est plu­tôt cha­leu­reuse. Quelques enfants jouent dans un coin tan­dis que plu­sieurs béné­voles s’affairent à aider les mères. À l’accueil, Johanne reçoit les nou­velles arri­vées. Et le lieu ne désem­plit pas ces der­niers mois, avec l’inflation galo­pante. MaMaMa accueille 200 familles par semaine, du lun­di au samedi.

Urgence 

MaMaMa est une jeune asso­cia­tion, créée dans l’urgence de la pan­dé­mie de Covid en mai 2020. À l’époque, Magali, Marguerite et Marielle sont toutes les trois béné­voles pour Covidom – la pla­te­forme télé­pho­nique de l’Assistance publique-​Hôpitaux de Paris (AP-​HP) pour un télé­sui­vi des cas de Covid. Parmi eux, cer­taines situa­tions les touchent plus que d’autres : les témoi­gnages de mères iso­lées en situa­tion de grande pré­ca­ri­té. « Des mamans nous racon­taient qu’elles récu­pé­raient l’eau de cuis­son du riz pour nour­rir leur bébé à la place du lait, d’autres sau­taient des repas pour ache­ter des couches », explique Magali. Ni elle ni Marguerite ni Marielle n'ont d'expérience dans l'associatif, mais face à ces situa­tions déses­pé­rées, elles décident d’agir. De l’urgence, nait donc MaMaMa, dont le nom est com­po­sé à par­tir des pré­noms des fon­da­trices, qui vient en aide aux mères iso­lées et à leurs enfants de 0 à 3 ans. 

Les trois fon­da­trices com­mencent à livrer aux femmes qui en ont besoin des colis ali­men­taires et de pro­duits d’hygiène de pre­mière néces­si­té qu’elles achètent elles-​mêmes. La soli­da­ri­té prend rapi­de­ment de l’ampleur, l’association reçoit de nom­breux dons, dont un consé­quent de la marque Blédina, qui néces­site de trou­ver rapi­de­ment un espace de sto­ckage. Grâce au sou­tien de la Maison des Femmes et de l’AP-HP, la pre­mière livrai­son est ache­mi­née dès le 7 mai dans cet entre­pôt mis gra­cieu­se­ment à dis­po­si­tion par la mai­rie de Saint-​Denis de l’époque. Aujourd'hui, elles reçoivent une par­tie des dons d'entreprises par­te­naires, l'autre par­tie par des dons de crèches ou de par­ti­cu­liers. MaMaMa orga­nise aus­si des col­lectes dans cer­tains maga­sins d’Ile-de-France et achète cer­tains pro­duits quand il faut. « On doit être à 100 000 euros de couches, je pense », lâche Magali Bragard. Pour finan­cer ces achats ain­si que les salaires des neufs employées, l’association reçoit des fonds de la Fondation des femmes, de la Fondation de France ain­si que de mécènes privés. 

La pré­si­dente aime­rait ins­crire le pro­jet dans la durée, mais une épée de Damoclès plane depuis quelques mois au-​dessus de la tête des béné­voles et des béné­fi­ciaires. L’association a en effet reçu l’ordre, le 19 juillet der­nier, de quit­ter ses locaux ave­nue de la métal­lur­gie. Initialement, l’association occu­pait cet immense entre­pôt grâce à des conven­tions d’occupation tem­po­raire à titre gra­tuit, renou­ve­lées régu­liè­re­ment avec la mai­rie. Mais sen­tant les rela­tions avec l'équipe muni­ci­pale tour­ner au vinaigre ces der­niers mois, MaMaMa pro­pose à la mai­rie socia­liste de payer 1 000 puis 5 000 euros de loyer. « Une réunion a eu lieu en décembre 2021. On nous a alors deman­dé 18 000 euros de loyer par mois. On est vrai­ment tom­bées des nues », se sou­vient Coline, char­gée de pro­jet pour l’association. Après des mois de conflit, une pro­cé­dure d’expulsion à l'encontre de MaMaMa été lan­cée en octobre. Prochaine étape : une audience en réfé­ré doit se tenir le 13 jan­vier au tri­bu­nal de Bobigny. « On va se battre, ces femmes ont besoin de nous », affirme Magali Bragard. 

70 000 mères aidées depuis le début 

Depuis mai 2020, l’association de lutte contre la pré­ca­ri­té infan­tile a aidé 70 000 mères de famille à accé­der aux pro­duits les plus néces­saires pour éle­ver leurs enfants âgés de 0 à 3 ans. Des femmes sou­vent en sous-​nutrition et des bébés en mal­nu­tri­tion, qui vivent pour la plu­part d’hôtels sociaux en hôtels sociaux. « Elles viennent de toute l’Ile-de-France, indique la pré­si­dente. On a même reçu des appels de Marseille et de Caen. » La majo­ri­té de ces mères sont ori­gi­naires d’Afrique de l’Ouest et beau­coup sont sans papier. 

Spécificité de l’association : elle prend seule­ment en charge les mères d'enfants jusqu’à trois ans. « Les besoins des bébés sont vrai­ment spé­ci­fiques jusqu'à cet âge et repré­sentent une charge finan­cière lourde pour les mères », explique Magali qui pré­cise accueillir quelques pères iso­lés aus­si. MaMaMa vise prio­ri­tai­re­ment les parents céli­ba­taires iso­lés, mais assure ne pas refu­ser les couples qui se présentent. 

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Locaux de MaMaMa. Décembre 2022. ©A.T.

À gauche de l’entrée, de petites caisses rouges en plas­tique sont empi­lées les unes sur les autres. « Body 6 mois », « Body 12 mois », « Body 7 mois » sont notés des­sus. Une jeune mère, dont le bébé dort lové contre elle dans une écharpe de por­tage, est jus­te­ment en train d’en choi­sir un avec l’aide d’une béné­vole. C’est la pre­mière fois qu’elle, passe la porte de MaMaMa. Avant de choi­sir quelques vête­ments pour son enfant, elle a pas­sé plus d'une heure trente avec une béné­vole pour éva­luer ses besoins et dis­cu­ter de sa situa­tion. Pour faire par­tie du dis­po­si­tif, aucun jus­ti­fi­ca­tif ne lui a été deman­dé, car, pré­cise la pré­si­dente, le but est d’instaurer une rela­tion de confiance avec les mères. Un sys­tème qui per­met de ras­su­rer les femmes sans papiers mais aus­si celles vic­times de vio­lences conju­gales dont les papiers d’identité ont été « confis­qués » par un com­pa­gnon violent. La majo­ri­té de ces femmes se sentent iso­lées, en marge de la socié­té. Ce moment est aus­si un moyen de créer du lien social. 

Accueil sur rendez-vous 

La jeune mère a choi­si un body beige et une petite com­bi­nai­son polaire. « C’est bien de pou­voir avoir des affaires chaudes pour l’hiver », dit-​elle timi­de­ment. À son bras, un sac en tis­su déborde de petits pots pour bébé et de couches, ce qui lui per­met­tra de tenir quelques semaines sans ache­ter à man­ger pour son enfant. Dans une salle à côté, elle pour­ra choi­sir quelques vête­ments et sous-​vêtements pour elle-​même. Elle repar­ti­ra aus­si avec une culotte mens­truelle et un kit d’hygiène com­pre­nant du sham­poing, du gel douche et des pré­ser­va­tifs. Dans cette caverne de la soli­da­ri­té, on trouve aus­si des jouets, des livres, des bibe­rons ou encore des pous­settes et des tire-​laits, des den­rées rares et extrê­me­ment coû­teuses pour ces mères. 

De l’autre côté de la pièce, une femme fina­lise son ins­crip­tion avec Johanne. Si un espace jeu est pré­vu pour les enfants et que des cana­pés sont à dis­po­si­tion des mères, MaMaMa n’est pas consi­dé­ré comme un accueil de jour. Les femmes viennent uni­que­ment sur rendez-​vous. Ce qui limite for­cé­ment le nombre de béné­fi­ciaires. « 5 000 femmes attendent actuel­le­ment de ren­trer dans le dis­po­si­tif, indique la pré­si­dente de MaMaMa. On essaye de voir actuel­le­ment com­ment on pour­rait prio­ri­ser pour venir en aide rapi­de­ment à celles qui en ont le plus besoin, les mères mineures ou à la rue, par exemple. » 

Colis adap­tés 

Justement, hier, une jeune femme s’est pré­sen­tée avec ses deux petites jumelles. Elle vit dans la rue avec ses filles et est obli­gée de men­dier pour les nour­rir. « Par sou­ci d’équité pour les femmes en attente et parce que nous ne sommes pas un accueil de jour, on n’a pas pu la prendre en charge, explique Coline. La seule chose qu’on a pu faire, c’est l’inscrire dans le dis­po­si­tif en pré­ci­sant que son dos­sier est hau­te­ment prio­ri­taire. » Coline admet qu'il est dif­fi­cile pour l’équipe de refu­ser ces femmes en très grande dif­fi­cul­té qui viennent sans rendez-vous. 

Une fois les béné­fi­caires ren­trées dans le dis­po­si­tif, elles viennent une fois par mois récu­pé­rer leur colis soli­daire. La ques­tion de la durée au sein du dis­po­si­tif ne se pose pas. Les femmes res­tent le temps qu’elles ont besoin. « À chaque rendez-​vous, on rééva­lue les besoins de l’enfant », sou­ligne la pré­si­dente. Et à cet âge-​là, ces der­niers sont en constante évo­lu­tion. « La nutri­tion infan­tile est un angle mort de l'aide ali­men­taire d'urgence car c'est du sur-​mesure. On adapte les colis selon le poids, l'âge du bébé, sa diver­si­fi­ca­tion ali­men­taire. Ça prend énor­mé­ment de temps », relève Magali Bragard. Derrière une grande porte bat­tante, c’est d’ailleurs le branle-​bas de com­bat. Dans cet immense entre­pôt de 1 400 m² se trouve le cœur du réac­teur, acces­sible uni­que­ment aux neuf sala­riés et à la cen­taine de béné­voles. Sur les éta­gères et les palettes s’empilent des dizaines et des dizaines de car­tons de laits en poudre, petits pots pour bébés, couches et savons. 

À la fois béné­fi­ciaire et bénévole 

Des dizaines de béné­voles s’affairent ce mer­cre­di à trier les dons reçus lors des der­nières col­lectes, par âge et date de péremp­tion. Cette période de l’année est la plus intense en termes de dons comme de besoins. Dans un coin, plu­sieurs per­sonnes pré­parent des colis en sui­vant des fiches expli­ca­tives manus­crites. Ils sont super­vi­sés par Assata. La jeune femme au large sou­rire est sala­riée de l’association depuis trois mois, c'est la der­nière arri­vée dans l'équipe. Avant ça, elle était béné­vole. Femme de ménage à Clamart (Hauts-​de-​Seine), elle fai­sait trois heures de route chaque après-​midi pour venir don­ner un coup de main à MaMaMa. Un geste de soli­da­ri­té essen­tiel pour celle qui a vécu dans la rue lorsqu’elle était enceinte il y a quelques années. « J’aurais tel­le­ment aimé que ce lieu existe à ce moment très dif­fi­cile de ma vie », dit-​elle à Causette entre la pré­pa­ra­tion de deux colis. 

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Magali Bragard (à gauche) et Assata. Locaux de MaMaMa. Décembre 2022. ©A.T.

Chez MaMaMa, beau­coup de béné­fi­ciaires sont ensuite deve­nues des béné­voles. C’est le cas d’Alvine, 33 ans. Elle a béné­fi­cié des colis soli­daires pen­dant un an lorsque sa fille avait 18 mois. « Ça m’a fait beau­coup de bien, sur­tout de par­ler à quelqu’un, je ne me sen­tais plus seule », raconte-​t-​elle. Aujourd’hui, Alvine n’a plus de rendez-​vous men­suel, mais conti­nue de per­ce­voir des colis soli­daires. Pourtant elle ne se consi­dère plus pour autant comme une béné­fi­ciaire. « Ces femmes conti­nuent à être en situa­tion de pré­ca­ri­té, elles conti­nuent à obte­nir de l’aide mais elles se sentent avant tout béné­voles, sou­tient Magali Bragard. Se sen­tir utiles c’est une immense fier­té. » Et c’est peut-​être là toute la réus­site de MaMaMa : offrir à ces femmes une chance de rede­ve­nir plei­ne­ment actrices de leur vie. 

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