À Saint-Denis, l’association MaMaMa lutte contre la précarité infantile en distribuant aux mères en difficultés des aliments pour bébés, des couches et des vêtements chauds. Reportage dans un lieu solidaire pourtant menacé de fermeture.
À quelques semaines de Noël, les locaux de MaMaMa sont en ébullition. Magali Bragard, la présidente de l’association, Inès, la secrétaire générale et Julien, un bénévole sont en pleine discussion : les deux sapins de deux mètres gracieusement donnés par la tante fleuriste d’Inès rentreront-ils dans le fourgon en plus de la collecte de la crèche ? Après quelques minutes de réflexion, il sera acté que pour que tout rentre, Julien passera d’abord récupérer les dons avant les sapins. Ils serviront à décorer les locaux de l’association, nichés au bout d’une impasse de la ville de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).
La discussion de ce mercredi midi est à l’image de l’association : une ruche sans cesse en agitation. « Il faut toujours tout gérer », s’excuse Magali Bragard, un café dans une main et tenant la porte d’entrée dans l’autre pour laisser passer une jeune femme et sa poussette. À l’intérieur, des guirlandes ont déjà été installées dans la grande pièce qui sert de salon d’accueil. Malgré les températures hivernales, l’ambiance est plutôt chaleureuse. Quelques enfants jouent dans un coin tandis que plusieurs bénévoles s’affairent à aider les mères. À l’accueil, Johanne reçoit les nouvelles arrivées. Et le lieu ne désemplit pas ces derniers mois, avec l’inflation galopante. MaMaMa accueille 200 familles par semaine, du lundi au samedi.
Urgence
MaMaMa est une jeune association, créée dans l’urgence de la pandémie de Covid en mai 2020. À l’époque, Magali, Marguerite et Marielle sont toutes les trois bénévoles pour Covidom – la plateforme téléphonique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) pour un télésuivi des cas de Covid. Parmi eux, certaines situations les touchent plus que d’autres : les témoignages de mères isolées en situation de grande précarité. « Des mamans nous racontaient qu’elles récupéraient l’eau de cuisson du riz pour nourrir leur bébé à la place du lait, d’autres sautaient des repas pour acheter des couches », explique Magali. Ni elle ni Marguerite ni Marielle n'ont d'expérience dans l'associatif, mais face à ces situations désespérées, elles décident d’agir. De l’urgence, nait donc MaMaMa, dont le nom est composé à partir des prénoms des fondatrices, qui vient en aide aux mères isolées et à leurs enfants de 0 à 3 ans.
Les trois fondatrices commencent à livrer aux femmes qui en ont besoin des colis alimentaires et de produits d’hygiène de première nécessité qu’elles achètent elles-mêmes. La solidarité prend rapidement de l’ampleur, l’association reçoit de nombreux dons, dont un conséquent de la marque Blédina, qui nécessite de trouver rapidement un espace de stockage. Grâce au soutien de la Maison des Femmes et de l’AP-HP, la première livraison est acheminée dès le 7 mai dans cet entrepôt mis gracieusement à disposition par la mairie de Saint-Denis de l’époque. Aujourd'hui, elles reçoivent une partie des dons d'entreprises partenaires, l'autre partie par des dons de crèches ou de particuliers. MaMaMa organise aussi des collectes dans certains magasins d’Ile-de-France et achète certains produits quand il faut. « On doit être à 100 000 euros de couches, je pense », lâche Magali Bragard. Pour financer ces achats ainsi que les salaires des neufs employées, l’association reçoit des fonds de la Fondation des femmes, de la Fondation de France ainsi que de mécènes privés.
La présidente aimerait inscrire le projet dans la durée, mais une épée de Damoclès plane depuis quelques mois au-dessus de la tête des bénévoles et des bénéficiaires. L’association a en effet reçu l’ordre, le 19 juillet dernier, de quitter ses locaux avenue de la métallurgie. Initialement, l’association occupait cet immense entrepôt grâce à des conventions d’occupation temporaire à titre gratuit, renouvelées régulièrement avec la mairie. Mais sentant les relations avec l'équipe municipale tourner au vinaigre ces derniers mois, MaMaMa propose à la mairie socialiste de payer 1 000 puis 5 000 euros de loyer. « Une réunion a eu lieu en décembre 2021. On nous a alors demandé 18 000 euros de loyer par mois. On est vraiment tombées des nues », se souvient Coline, chargée de projet pour l’association. Après des mois de conflit, une procédure d’expulsion à l'encontre de MaMaMa été lancée en octobre. Prochaine étape : une audience en référé doit se tenir le 13 janvier au tribunal de Bobigny. « On va se battre, ces femmes ont besoin de nous », affirme Magali Bragard.
70 000 mères aidées depuis le début
Depuis mai 2020, l’association de lutte contre la précarité infantile a aidé 70 000 mères de famille à accéder aux produits les plus nécessaires pour élever leurs enfants âgés de 0 à 3 ans. Des femmes souvent en sous-nutrition et des bébés en malnutrition, qui vivent pour la plupart d’hôtels sociaux en hôtels sociaux. « Elles viennent de toute l’Ile-de-France, indique la présidente. On a même reçu des appels de Marseille et de Caen. » La majorité de ces mères sont originaires d’Afrique de l’Ouest et beaucoup sont sans papier.
Spécificité de l’association : elle prend seulement en charge les mères d'enfants jusqu’à trois ans. « Les besoins des bébés sont vraiment spécifiques jusqu'à cet âge et représentent une charge financière lourde pour les mères », explique Magali qui précise accueillir quelques pères isolés aussi. MaMaMa vise prioritairement les parents célibataires isolés, mais assure ne pas refuser les couples qui se présentent.
![Précarité infantile : l’association MaMaMa vient en aide aux mères isolées 2 Capture d’écran 2022 12 09 à 10.49.51](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/12/Capture-d’écran-2022-12-09-à-10.49.51-1024x770.jpg)
À gauche de l’entrée, de petites caisses rouges en plastique sont empilées les unes sur les autres. « Body 6 mois », « Body 12 mois », « Body 7 mois » sont notés dessus. Une jeune mère, dont le bébé dort lové contre elle dans une écharpe de portage, est justement en train d’en choisir un avec l’aide d’une bénévole. C’est la première fois qu’elle, passe la porte de MaMaMa. Avant de choisir quelques vêtements pour son enfant, elle a passé plus d'une heure trente avec une bénévole pour évaluer ses besoins et discuter de sa situation. Pour faire partie du dispositif, aucun justificatif ne lui a été demandé, car, précise la présidente, le but est d’instaurer une relation de confiance avec les mères. Un système qui permet de rassurer les femmes sans papiers mais aussi celles victimes de violences conjugales dont les papiers d’identité ont été « confisqués » par un compagnon violent. La majorité de ces femmes se sentent isolées, en marge de la société. Ce moment est aussi un moyen de créer du lien social.
Accueil sur rendez-vous
La jeune mère a choisi un body beige et une petite combinaison polaire. « C’est bien de pouvoir avoir des affaires chaudes pour l’hiver », dit-elle timidement. À son bras, un sac en tissu déborde de petits pots pour bébé et de couches, ce qui lui permettra de tenir quelques semaines sans acheter à manger pour son enfant. Dans une salle à côté, elle pourra choisir quelques vêtements et sous-vêtements pour elle-même. Elle repartira aussi avec une culotte menstruelle et un kit d’hygiène comprenant du shampoing, du gel douche et des préservatifs. Dans cette caverne de la solidarité, on trouve aussi des jouets, des livres, des biberons ou encore des poussettes et des tire-laits, des denrées rares et extrêmement coûteuses pour ces mères.
De l’autre côté de la pièce, une femme finalise son inscription avec Johanne. Si un espace jeu est prévu pour les enfants et que des canapés sont à disposition des mères, MaMaMa n’est pas considéré comme un accueil de jour. Les femmes viennent uniquement sur rendez-vous. Ce qui limite forcément le nombre de bénéficiaires. « 5 000 femmes attendent actuellement de rentrer dans le dispositif, indique la présidente de MaMaMa. On essaye de voir actuellement comment on pourrait prioriser pour venir en aide rapidement à celles qui en ont le plus besoin, les mères mineures ou à la rue, par exemple. »
Colis adaptés
Justement, hier, une jeune femme s’est présentée avec ses deux petites jumelles. Elle vit dans la rue avec ses filles et est obligée de mendier pour les nourrir. « Par souci d’équité pour les femmes en attente et parce que nous ne sommes pas un accueil de jour, on n’a pas pu la prendre en charge, explique Coline. La seule chose qu’on a pu faire, c’est l’inscrire dans le dispositif en précisant que son dossier est hautement prioritaire. » Coline admet qu'il est difficile pour l’équipe de refuser ces femmes en très grande difficulté qui viennent sans rendez-vous.
Une fois les bénéficaires rentrées dans le dispositif, elles viennent une fois par mois récupérer leur colis solidaire. La question de la durée au sein du dispositif ne se pose pas. Les femmes restent le temps qu’elles ont besoin. « À chaque rendez-vous, on réévalue les besoins de l’enfant », souligne la présidente. Et à cet âge-là, ces derniers sont en constante évolution. « La nutrition infantile est un angle mort de l'aide alimentaire d'urgence car c'est du sur-mesure. On adapte les colis selon le poids, l'âge du bébé, sa diversification alimentaire. Ça prend énormément de temps », relève Magali Bragard. Derrière une grande porte battante, c’est d’ailleurs le branle-bas de combat. Dans cet immense entrepôt de 1 400 m² se trouve le cœur du réacteur, accessible uniquement aux neuf salariés et à la centaine de bénévoles. Sur les étagères et les palettes s’empilent des dizaines et des dizaines de cartons de laits en poudre, petits pots pour bébés, couches et savons.
À la fois bénéficiaire et bénévole
Des dizaines de bénévoles s’affairent ce mercredi à trier les dons reçus lors des dernières collectes, par âge et date de péremption. Cette période de l’année est la plus intense en termes de dons comme de besoins. Dans un coin, plusieurs personnes préparent des colis en suivant des fiches explicatives manuscrites. Ils sont supervisés par Assata. La jeune femme au large sourire est salariée de l’association depuis trois mois, c'est la dernière arrivée dans l'équipe. Avant ça, elle était bénévole. Femme de ménage à Clamart (Hauts-de-Seine), elle faisait trois heures de route chaque après-midi pour venir donner un coup de main à MaMaMa. Un geste de solidarité essentiel pour celle qui a vécu dans la rue lorsqu’elle était enceinte il y a quelques années. « J’aurais tellement aimé que ce lieu existe à ce moment très difficile de ma vie », dit-elle à Causette entre la préparation de deux colis.
![Précarité infantile : l’association MaMaMa vient en aide aux mères isolées 3 Capture d’écran 2022 12 08 à 18.34.05](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2022/12/Capture-d’écran-2022-12-08-à-18.34.05-1024x754.jpg)
Chez MaMaMa, beaucoup de bénéficiaires sont ensuite devenues des bénévoles. C’est le cas d’Alvine, 33 ans. Elle a bénéficié des colis solidaires pendant un an lorsque sa fille avait 18 mois. « Ça m’a fait beaucoup de bien, surtout de parler à quelqu’un, je ne me sentais plus seule », raconte-t-elle. Aujourd’hui, Alvine n’a plus de rendez-vous mensuel, mais continue de percevoir des colis solidaires. Pourtant elle ne se considère plus pour autant comme une bénéficiaire. « Ces femmes continuent à être en situation de précarité, elles continuent à obtenir de l’aide mais elles se sentent avant tout bénévoles, soutient Magali Bragard. Se sentir utiles c’est une immense fierté. » Et c’est peut-être là toute la réussite de MaMaMa : offrir à ces femmes une chance de redevenir pleinement actrices de leur vie.