S’adresser de façon gaga (mais pas débile) à son nouveau-né permet de capter son intérêt. La recherche en sciences cognitives cherche maintenant à comprendre si cela peut favoriser son éveil.
“Aloooors mon bébéééé, cooomment ça va aujourd’huiiiii ?” Si vous pratiquez ces accentuations parfois clownesques pour vous adresser à un nouveau-né, vous parlez sans le savoir le “parentais”. C’est le nom qu’ont donné les sciences cognitives et psycholinguistiques à cette façon de communiquer, qui paraît naturelle alors qu’elle s’est en fait développée récemment, à mesure qu’on a pris conscience que les bébés étaient des êtres capables d’interaction dès leur naissance.
Souvent victime d’une mauvaise image où il est assimilé à une infantilisation grotesque de la parole, le parentais favorise pourtant l’attention du bébé et donc son ouverture au monde. Alors que la science cherche à comprendre s’il pourrait avoir des bénéfices quant à l’acquisition de la langue et au développement des émotions, Causette fait le point avec la chercheuse Laurianne Cabrera et la doctorante Julie Camici, toutes deux rattachées au Babylab de l’INCC (Integrative neuroscience et cognition center).
Quelles sont les caractéristiques du “parentais” ?
Laurianne Cabrera : En tout premier lieu, on trouve la constante de l’hyperarticulation, comme on le ferait avec une personne qui a des problèmes d’audition pour pouvoir être compris. Le parentais est donc plus lent, avec des pauses entre certains mots et certains sons. Ce qui se joue ensuite dans le parentais, c’est le fait de parler plus fort et avec plus d’intonations et d’accentuations, de façon plus joyeuse que dans une conversation standard. Mais le parentais varie aussi selon les cultures. Celui des Américains par exemple est particulièrement “plus haut” que lors d’une conversation entre adultes.
Julie Camici : À noter que ces derniers temps, l’universalité un temps supposée du parentais est remise en question parce qu’il y aurait des cultures où on n’utilise pas ce “parler bébé”. C’est surtout en Occident qu’on s’adresse très précocement aux bébés.
Laurianne Cabrera : Oui, dans certaines cultures d’Amérique du Sud ou d’Afrique par exemple, on ne parle pas aux bébés, comme en Occident il n’y a pas si longtemps que ça. Les recherches actuelles s’intéressent donc à comprendre comment se fait l’acquisition du langage pour ces bébés à qui les adultes ne s’adressent pas directement, qui ne bénéficient que d’une écoute passive des échanges entre adultes et passent par contre beaucoup de temps entre eux.
Le parentais n’est donc pas une pratique innée mais plutôt culturelle ?
L.C. : Oui, car c’est un phénomène relativement récent. Il y a encore un siècle, on n’anesthésiait pas les bébés parce qu’on pensait qu’ils ne ressentaient pas la douleur. De la même manière, on pensait qu’il n’y avait pas d’interaction possible avec le nouveau-né. Mais ensuite, toutes les recherches scientifiques ont montré que ces présupposés étaient faux et cela a influencé les comportements des parents, qui se sont mis à intégrer à leurs manières de faire une communication spécifique avec leurs bébés.
J.C. : C’est un résultat culturel qu’on pense faire de manière instinctive, mais on agirait plutôt par mimétisme, en observant d’autres parents. On pourrait même supposer que les adultes gardent aussi en mémoire la façon dont on s’est adressé à eux bébés et la reproduisent.
À quoi sert-il ?
J.C. : On ne peut pas affirmer à 100 % que ça va aider au développement de l’enfant, c’est encore controversé. Ce que les études ont principalement montré, c’est que parler parentais aux bébés leur permet de rester à l’écoute plus longtemps que si on s’adresse à eux comme à des adultes. Il y a une préférence avérée pour ce type de voix et de manière de parler. Conséquence : cela favorise l’attention de l’enfant et donc son intégration sociale.
Est-ce que cela peut également aider son développement du langage ?
L.C. : On ne sait pas encore. En ce qui concerne l’acquisition du vocabulaire, les études ont prouvé que c’est la quantité de paroles qui est adressée à l’enfant qui est liée au développement du nombre de mots acquis. Pour le démontrer, le procédé est de donner à des parents un petit enregistreur que porte le bébé pendant quelques jours. On analyse ensuite l’enregistrement et on peut automatiquement extraire la quantité de paroles qui a été adressée à l’enfant par un adulte. Ensuite, on va suivre ces enfants dans le temps pour faire des tests de vocabulaire quand ils sont un peu plus âgés [les premiers mots sont acquis dès 6 mois, ndlr] : les études montrent qu’il y a une forte corrélation positive entre le fait que plus il y a eu de paroles adressées à l’enfant, plus son vocabulaire est important. Ça montre que parler à un bébé, en parentais ou pas, va l’aider à développer le langage. Ça paraît un peu évident de le dire comme ça, mais cela correspond à un changement de paradigme récent.
J.C. : Par ailleurs, on sait que lorsque le parent communique avec lui, le bébé va tenter d’imiter les sons qu’il entend. Donc, si on entre précocement en interaction avec lui en usant du parentais – si on articule bien, si on prononce bien toutes les syllabes –, on pourrait supposer que son cerveau a davantage de temps pour les intégrer et mieux les reproduire. Mais c’est encore à prouver.
Pourquoi les bienfaits du parentais sont-ils controversés ?
L.C. : Parce qu’il existe une confusion entre le parentais, qui est une manière de capter l’attention de l’enfant en parlant avec emphase, et des interactions où on lui parlerait comme s’il était bête, avec des mots qui n’existent pas et une simplification de la langue néfaste, qui tend à son appauvrissement. Il faut donc bien faire ce distinguo, surtout se faire confiance voir comment son enfant réagit.
J.C. : Pour l’instant, en ce qui concerne le parentais, la science n’a pas encore prouvé s’il y avait un effet positif ou négatif en termes d’acquisition ou de retard de langage. Ce qui est certain, c’est que les parents se posent beaucoup de questions sur la meilleure façon de s’adresser à leur bébé. Ce que l’on peut dire pour rassurer tout le monde, c’est que plus on rentre en interaction avec son bébé, plus on favorise son développement, qu’on le fasse en parentais ou pas.
L.C. : Une autre utilité hypothétique du parentais résiderait dans le développement émotionnel. C’est relativement récent, mais les sciences cognitives s’intéressent de plus en plus au volet émotionnel des interactions sociales, qui est objectivement difficile à mesurer. Des études actuelles cherchent à comprendre si le parentais peut favoriser, au-delà de l’attention du bébé, des émotions positives et l’attachement entre l’enfant et ses parents.