Maternité en temps de pan­dé­mie : et si on accou­chait mieux ?

Port du masque en salle de tra­vail, absence du second parent… La crise sani­taire a remis en lumière la ques­tion cru­ciale du bien-​être dans les mater­ni­tés. Mais la colère monte chez les sages-​femmes, qui ne cessent de dénon­cer leurs condi­tions d’exercice. Les femmes accouchent-​elles bien, en France, aujourd’hui ?

Causette sage femme A
© Marie Boiseau pour Causette

Quand elle a ôté sa blouse ce soir-​là, Anna Roy, sage-​femme dans une mater­ni­té pari­sienne mais aus­si en libé­ral, et créa­trice du pod­cast Sage-​meuf, s’est sen­tie mal. Ce n’était pas une his­toire de fatigue, com­pagne quo­ti­dienne, ni de colère. Non, cette fois, c’était autre chose. Un mot lui a sau­té au visage : elle était « mal­trai­tante ». Maltraitante, car elle n’avait pas eu le temps d’être aux côtés des femmes qui, pour­tant, récla­maient sa présence.

Maltraitante par manque de temps et de moyens. Un constat ultra­violent que toutes les pro­fes­sion­nelles de la nais­sance – on compte 97,2 %* de femmes, donc le fémi­nin l’emporte – enga­gées et pas­sion­nées par leur métier ne par­tagent pas for­cé­ment. Mais le terme a fait mouche. La vidéo, publiée le 11 novembre, dans laquelle Anna Roy lève le voile sur ses dif­fi­cul­tés, a été vue des mil­liers de fois. Un hash­tag #JeSuisMaltraitante a aus­si cir­cu­lé sur les réseaux sociaux. « J’ai mis un genou à terre et j’ai deman­dé par­don aux femmes, confie-​t-​elle. J’ai l’impression que cette demande a per­mis de retis­ser un lien entre elles et nous, qui avait été rom­pu par des années d’incompréhension réciproque. »

Il y aurait donc quelque chose à répa­rer entre celles qui accouchent et celles qui les aident ? Peut-​on dire que les Françaises donnent nais­sance dans de mau­vaises condi­tions ? La ques­tion est vaste et sus­cite des réponses épi­der­miques. « Non, on n’accouche pas bien chez nous, s’agace Anna Roy. D’ailleurs, les indi­ca­teurs péri­na­tals comme la mor­ti­na­ta­li­té [mort à la nais­sance] ou la mor­ta­li­té néo­na­tale [durant le pre­mier mois de vie] le montrent bien. On est 21e et 23e dans la der­nière enquête euro­péenne Euro-​Peristat de 2018. Il faut arrê­ter de croire qu’on est les meilleurs en méde­cine. » Un avis que Marianne Benoît-​Truong Canh, vice-​présidente de l’Ordre des sages-​femmes, rela­ti­vise. « Attention avec ces chiffres, nuance-​t-​elle. Certains pays n’ont pas exac­te­ment les mêmes cri­tères que nous au sujet de la mor­ti­na­ta­li­té, ce qui rend les com­pa­rai­sons très déli­cates. » Pour elle, les femmes accouchent « glo­ba­le­ment bien » dans notre pays. « En tout cas, mieux que dans plein d’autres endroits, aux États-​Unis, par exemple. Leur sécu­ri­té et celle de l’enfant sont vrai­ment assu­rées. Je pense qu’il est impor­tant de faire pas­ser ce message. »

“Une femme, une sage-femme”

La cher­cheuse Anne Chantry, long­temps pra­ti­cienne en salle de tra­vail et l’une des rares en France à avoir une double cas­quette, évoque de son côté une situa­tion « contras­tée ». « Certains indi­ca­teurs sont très favo­rables, comme le taux de césa­riennes pour lequel la France est au 7e rang euro­péen avec 20 % et reste stable. Mais il y a un vrai enjeu pour les femmes à bas risque obs­té­tri­cal qui pour­raient accou­cher mieux », avance-t-elle.

Notre pays a réglé la ques­tion du risque de mort en couches – sauf situa­tions dra­ma­tiques raris­simes – et c’est une excel­lente nou­velle. Mais pour le sui­vi des gros­sesses et des accou­che­ments a prio­ri sans pro­blèmes, qui repré­sentent 80 % des cas, il y a encore du bou­lot, notam­ment en matière d’accompagnement. Car, dans ces moments-​là, il est cru­cial de se sen­tir soutenue.

De la colère d’Anna Roy est aus­si née une péti­tion, qui a déjà ras­sem­blé plus de 60 000 signa­tures. La demande est simple : « Une femme, une sage-​femme. » En clair, qu’une femme qui accouche soit prise sous l’aile d’une seule sage-​femme tout au long du tra­vail. Pour le moment, lors des gardes, les sages-​femmes de l’hôpital public – qui repré­sentent 60 % des 24 000 professionnel·les en exer­cice1 – doivent gérer au moins trois femmes, plus les urgences. On est loin du compte. « C’est une reven­di­ca­tion ancienne dans la pro­fes­sion, explique Marianne Benoît-​Truong Canh. Les femmes auraient besoin d’une pré­sence extrê­me­ment rap­pro­chée dès le début du tra­vail. Mais on ne peut pas le faire par manque de dis­po­ni­bi­li­té. Or la sécu­ri­té émo­tion­nelle de l’accouchement est très impor­tante, car son vécu peut avoir des réper­cus­sions en post-partum. »

Pourtant, beau­coup de nos voi­sins euro­péens se sont conver­tis à ce modèle, pays scan­di­naves et nor­diques en tête. À peu près tout le monde, sauf la France. Un comble pour le pays de l’Union euro­péenne où l’on fait le plus de bébés (un peu moins de 800 000 nais­sances par an), même si le nombre baisse régu­liè­re­ment depuis cinq ans. « Toutes les études inter­na­tio­nales montrent que cette orga­ni­sa­tion en “one-​to-​one”, avec une femme et une pro­fes­sion­nelle, apporte de meilleures condi­tions d’accouchement », défend Anne Chantry. La liste des bien­faits est impres­sion­nante : « Moins de césa­riennes, des hor­mones qui s’expriment mieux car la femme se sent en confiance et donc un tra­vail plus court, des sen­ti­ments néga­tifs liés à l’accouchement en recul de 30 %. Quant aux nouveau-​nés, ils ont de meilleurs scores d’Apgar (test d’évaluation de la san­té du bébé réa­li­sé dans les minutes qui suivent l’accouchement) parce qu’ils arrivent dans de meilleures condi­tions. » Ça fait rêver, hein ?

Prise en charge “ plus humaine ”

Les gyné­co­logues aus­si appuient cette demande. Camille Le Ray, obs­té­tri­cienne à la mater­ni­té Port-​Royal à Paris, se sou­vient de ses années d’exercice à Montréal. « Ça mar­chait très bien et les femmes sem­blaient satis­faites, raconte-​t-​elle. Mais, évi­dem­ment, cela néces­site de l’argent. » Pour atteindre l’objectif d’« une femme, une sage-​femme », il fau­drait recru­ter en masse et qua­si­ment dou­bler les effec­tifs actuels en milieu hos­pi­ta­lier. Pour Adrien Gantois, l’un des rares hommes de la pro­fes­sion, pré­sident du Collège natio­nal des sages-​femmes, la racine du pro­blème se niche aus­si dans l’inconscient patriar­cal de notre pays.

« On se dit que c’est un truc de bonne femme, on se demande si c’est vrai­ment néces­saire d’investir de l’argent pour ­l’accouchement. Je peux vous dire que si Jean Castex ou ses pré­dé­ces­seurs avaient accou­ché deux fois, s’ils avaient stres­sé seuls en se deman­dant si tout allait bien se pas­ser, on aurait le sui­vi conti­nu. » Olivier Véran, lui non plus, n’a jamais accou­ché. Mais les ser­vices du minis­tère de la Santé assurent à Causette que la prise en charge « plus humaine » de la gros­sesse est une « pré­oc­cu­pa­tion forte du gou­ver­ne­ment ». Visiblement, c’est déjà une avan­cée… Les décrets fixant le nombre mini­mal de professionnel·les en salles de nais­sance sont en cours de dis­cus­sion depuis deux ans. Franchement, il est plus que temps d’aboutir car le texte date, tenez-​vous bien, de 1998 !

Une époque où le pays comp­tait plus de mater­ni­tés qu’aujourd’hui. En 2020, on recense 471 mater­ni­tés de tailles diverses, même si une logique de concen­tra­tion est à l’œuvre. La très grande majo­ri­té des Françaises accouchent dans un cadre hos­pi­ta­lier, le plus sou­vent public. Entre 1 000 et 3 000 nais­sances ont lieu à domi­cile et 0,07 % dans les mai­sons de nais­sance, un dis­po­si­tif en cours de déploie­ment après une pre­mière expé­ri­men­ta­tion sur huit sites en France. « Attention, tout le monde ne peut pas et ne sou­haite pas accou­cher en mai­son de nais­sance, rela­ti­vise Adrien Gantois. Il faut réflé­chir à amé­lio­rer ­l’accompagnement du plus grand nombre. »

Choisir son accouchement

Pour y par­ve­nir, il y a un élé­ment cru­cial : l’écoute des femmes et le res­pect le plus scru­pu­leux pos­sible de ce qu’elles veulent et ne veulent pas. Pédiatre au Centre hos­pi­ta­lier du Belvédère, en Seine-​Maritime, Célia Levavasseur a sou­hai­té agir pour amé­lio­rer le quo­ti­dien des « usa­gères ». Créatrice de l’Association pour la bien­trai­tance obs­té­tri­cale, elle vient de lan­cer le site Internet Monprojetdenaissance.fr, qui incite les futures mères à rem­plir un ques­tion­naire sur leurs attentes et leurs refus.

Elaborer un pro­jet de nais­sance reste un geste rare : moins de 3 % s’y prêtent, selon les don­nées de la cher­cheuse Anne Chantry. « J’en vois de plus en plus, sou­ligne Marianne Benoît-​Truong Canh. Et depuis dix ans, il y a eu un vrai tra­vail de prise en compte de leur parole, d’arrêt de gestes comme l’expression uté­rine [appuyer sur le ventre, ndlr] et de res­pect du consen­te­ment. » Une évo­lu­tion salu­taire, notam­ment après la dénon­cia­tion des vio­lences obs­té­tri­cales qui a for­cé le corps médi­cal à se for­mer davan­tage. Mais qui ne règle pas tout. « Il y a une mater­ni­té à Besançon qui est à 3 % d’épisiotomies. Nous, on est à 9 %, et la moyenne en France se situe autour de 20 %, dénonce Célia Levavasseur. On n’est pas égales en France, il faut en avoir bien conscience. »

Pour cette pédiatre, la crise sani­taire a « dégra­dé » les condi­tions dans les­quelles les femmes accouchent. Arrêt de cer­tains cours de pré­pa­ra­tion à la nais­sance, port du masque en plein effort expul­sif, absence du second parent… Les jeunes mères de 2020 ont vécu des moments dif­fi­ciles. La Fondation des femmes a d’ailleurs sai­si la Défenseure des droits le 10 novembre. Une demande « en cours d’instruction », selon l’autorité admi­nis­tra­tive indé­pen­dante. Impossible d’avoir un bilan natio­nal, pour l’instant. Côté mater­ni­tés, on assure que les choses se tassent. La pré­sence du second parent semble à nou­veau auto­ri­sée en salle de nais­sance. Quant au masque, son port reste recom­man­dé, mais la négo est pos­sible. « L’équipe s’adapte pour évi­ter tout conflit », pré­cise Camille Le Ray. Ouf !

Au-​delà des reven­di­ca­tions indi­vi­duelles et du contexte excep­tion­nel de la crise sani­taire, les femmes doivent s’emparer sérieu­se­ment de la ques­tion de la nais­sance. Célia Levavasseur a la convic­tion que sans leur enga­ge­ment, rien ne chan­ge­ra. « Pour moi, choi­sir son accou­che­ment, c’est le com­bat de l’époque, après l’IVG et la pilule, insiste la pédiatre. Et c’est par les femmes que ça bougera. » 

  1. Chiffre de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des sta­tis­tiques (Drees).[]
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