Port du masque en salle de travail, absence du second parent… La crise sanitaire a remis en lumière la question cruciale du bien-être dans les maternités. Mais la colère monte chez les sages-femmes, qui ne cessent de dénoncer leurs conditions d’exercice. Les femmes accouchent-elles bien, en France, aujourd’hui ?
![Maternité en temps de pandémie : et si on accouchait mieux ? 1 Causette sage femme A](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/01/Causette-sage-femme-A-434x1024.jpg)
Quand elle a ôté sa blouse ce soir-là, Anna Roy, sage-femme dans une maternité parisienne mais aussi en libéral, et créatrice du podcast Sage-meuf, s’est sentie mal. Ce n’était pas une histoire de fatigue, compagne quotidienne, ni de colère. Non, cette fois, c’était autre chose. Un mot lui a sauté au visage : elle était « maltraitante ». Maltraitante, car elle n’avait pas eu le temps d’être aux côtés des femmes qui, pourtant, réclamaient sa présence.
Maltraitante par manque de temps et de moyens. Un constat ultraviolent que toutes les professionnelles de la naissance – on compte 97,2 %* de femmes, donc le féminin l’emporte – engagées et passionnées par leur métier ne partagent pas forcément. Mais le terme a fait mouche. La vidéo, publiée le 11 novembre, dans laquelle Anna Roy lève le voile sur ses difficultés, a été vue des milliers de fois. Un hashtag #JeSuisMaltraitante a aussi circulé sur les réseaux sociaux. « J’ai mis un genou à terre et j’ai demandé pardon aux femmes, confie-t-elle. J’ai l’impression que cette demande a permis de retisser un lien entre elles et nous, qui avait été rompu par des années d’incompréhension réciproque. »
Il y aurait donc quelque chose à réparer entre celles qui accouchent et celles qui les aident ? Peut-on dire que les Françaises donnent naissance dans de mauvaises conditions ? La question est vaste et suscite des réponses épidermiques. « Non, on n’accouche pas bien chez nous, s’agace Anna Roy. D’ailleurs, les indicateurs périnatals comme la mortinatalité [mort à la naissance] ou la mortalité néonatale [durant le premier mois de vie] le montrent bien. On est 21e et 23e dans la dernière enquête européenne Euro-Peristat de 2018. Il faut arrêter de croire qu’on est les meilleurs en médecine. » Un avis que Marianne Benoît-Truong Canh, vice-présidente de l’Ordre des sages-femmes, relativise. « Attention avec ces chiffres, nuance-t-elle. Certains pays n’ont pas exactement les mêmes critères que nous au sujet de la mortinatalité, ce qui rend les comparaisons très délicates. » Pour elle, les femmes accouchent « globalement bien » dans notre pays. « En tout cas, mieux que dans plein d’autres endroits, aux États-Unis, par exemple. Leur sécurité et celle de l’enfant sont vraiment assurées. Je pense qu’il est important de faire passer ce message. »
“Une femme, une sage-femme”
La chercheuse Anne Chantry, longtemps praticienne en salle de travail et l’une des rares en France à avoir une double casquette, évoque de son côté une situation « contrastée ». « Certains indicateurs sont très favorables, comme le taux de césariennes pour lequel la France est au 7e rang européen avec 20 % et reste stable. Mais il y a un vrai enjeu pour les femmes à bas risque obstétrical qui pourraient accoucher mieux », avance-t-elle.
Notre pays a réglé la question du risque de mort en couches – sauf situations dramatiques rarissimes – et c’est une excellente nouvelle. Mais pour le suivi des grossesses et des accouchements a priori sans problèmes, qui représentent 80 % des cas, il y a encore du boulot, notamment en matière d’accompagnement. Car, dans ces moments-là, il est crucial de se sentir soutenue.
De la colère d’Anna Roy est aussi née une pétition, qui a déjà rassemblé plus de 60 000 signatures. La demande est simple : « Une femme, une sage-femme. » En clair, qu’une femme qui accouche soit prise sous l’aile d’une seule sage-femme tout au long du travail. Pour le moment, lors des gardes, les sages-femmes de l’hôpital public – qui représentent 60 % des 24 000 professionnel·les en exercice1 – doivent gérer au moins trois femmes, plus les urgences. On est loin du compte. « C’est une revendication ancienne dans la profession, explique Marianne Benoît-Truong Canh. Les femmes auraient besoin d’une présence extrêmement rapprochée dès le début du travail. Mais on ne peut pas le faire par manque de disponibilité. Or la sécurité émotionnelle de l’accouchement est très importante, car son vécu peut avoir des répercussions en post-partum. »
Pourtant, beaucoup de nos voisins européens se sont convertis à ce modèle, pays scandinaves et nordiques en tête. À peu près tout le monde, sauf la France. Un comble pour le pays de l’Union européenne où l’on fait le plus de bébés (un peu moins de 800 000 naissances par an), même si le nombre baisse régulièrement depuis cinq ans. « Toutes les études internationales montrent que cette organisation en “one-to-one”, avec une femme et une professionnelle, apporte de meilleures conditions d’accouchement », défend Anne Chantry. La liste des bienfaits est impressionnante : « Moins de césariennes, des hormones qui s’expriment mieux car la femme se sent en confiance et donc un travail plus court, des sentiments négatifs liés à l’accouchement en recul de 30 %. Quant aux nouveau-nés, ils ont de meilleurs scores d’Apgar (test d’évaluation de la santé du bébé réalisé dans les minutes qui suivent l’accouchement) parce qu’ils arrivent dans de meilleures conditions. » Ça fait rêver, hein ?
Prise en charge “ plus humaine ”
Les gynécologues aussi appuient cette demande. Camille Le Ray, obstétricienne à la maternité Port-Royal à Paris, se souvient de ses années d’exercice à Montréal. « Ça marchait très bien et les femmes semblaient satisfaites, raconte-t-elle. Mais, évidemment, cela nécessite de l’argent. » Pour atteindre l’objectif d’« une femme, une sage-femme », il faudrait recruter en masse et quasiment doubler les effectifs actuels en milieu hospitalier. Pour Adrien Gantois, l’un des rares hommes de la profession, président du Collège national des sages-femmes, la racine du problème se niche aussi dans l’inconscient patriarcal de notre pays.
« On se dit que c’est un truc de bonne femme, on se demande si c’est vraiment nécessaire d’investir de l’argent pour l’accouchement. Je peux vous dire que si Jean Castex ou ses prédécesseurs avaient accouché deux fois, s’ils avaient stressé seuls en se demandant si tout allait bien se passer, on aurait le suivi continu. » Olivier Véran, lui non plus, n’a jamais accouché. Mais les services du ministère de la Santé assurent à Causette que la prise en charge « plus humaine » de la grossesse est une « préoccupation forte du gouvernement ». Visiblement, c’est déjà une avancée… Les décrets fixant le nombre minimal de professionnel·les en salles de naissance sont en cours de discussion depuis deux ans. Franchement, il est plus que temps d’aboutir car le texte date, tenez-vous bien, de 1998 !
Une époque où le pays comptait plus de maternités qu’aujourd’hui. En 2020, on recense 471 maternités de tailles diverses, même si une logique de concentration est à l’œuvre. La très grande majorité des Françaises accouchent dans un cadre hospitalier, le plus souvent public. Entre 1 000 et 3 000 naissances ont lieu à domicile et 0,07 % dans les maisons de naissance, un dispositif en cours de déploiement après une première expérimentation sur huit sites en France. « Attention, tout le monde ne peut pas et ne souhaite pas accoucher en maison de naissance, relativise Adrien Gantois. Il faut réfléchir à améliorer l’accompagnement du plus grand nombre. »
Choisir son accouchement
Pour y parvenir, il y a un élément crucial : l’écoute des femmes et le respect le plus scrupuleux possible de ce qu’elles veulent et ne veulent pas. Pédiatre au Centre hospitalier du Belvédère, en Seine-Maritime, Célia Levavasseur a souhaité agir pour améliorer le quotidien des « usagères ». Créatrice de l’Association pour la bientraitance obstétricale, elle vient de lancer le site Internet Monprojetdenaissance.fr, qui incite les futures mères à remplir un questionnaire sur leurs attentes et leurs refus.
Elaborer un projet de naissance reste un geste rare : moins de 3 % s’y prêtent, selon les données de la chercheuse Anne Chantry. « J’en vois de plus en plus, souligne Marianne Benoît-Truong Canh. Et depuis dix ans, il y a eu un vrai travail de prise en compte de leur parole, d’arrêt de gestes comme l’expression utérine [appuyer sur le ventre, ndlr] et de respect du consentement. » Une évolution salutaire, notamment après la dénonciation des violences obstétricales qui a forcé le corps médical à se former davantage. Mais qui ne règle pas tout. « Il y a une maternité à Besançon qui est à 3 % d’épisiotomies. Nous, on est à 9 %, et la moyenne en France se situe autour de 20 %, dénonce Célia Levavasseur. On n’est pas égales en France, il faut en avoir bien conscience. »
Pour cette pédiatre, la crise sanitaire a « dégradé » les conditions dans lesquelles les femmes accouchent. Arrêt de certains cours de préparation à la naissance, port du masque en plein effort expulsif, absence du second parent… Les jeunes mères de 2020 ont vécu des moments difficiles. La Fondation des femmes a d’ailleurs saisi la Défenseure des droits le 10 novembre. Une demande « en cours d’instruction », selon l’autorité administrative indépendante. Impossible d’avoir un bilan national, pour l’instant. Côté maternités, on assure que les choses se tassent. La présence du second parent semble à nouveau autorisée en salle de naissance. Quant au masque, son port reste recommandé, mais la négo est possible. « L’équipe s’adapte pour éviter tout conflit », précise Camille Le Ray. Ouf !
Au-delà des revendications individuelles et du contexte exceptionnel de la crise sanitaire, les femmes doivent s’emparer sérieusement de la question de la naissance. Célia Levavasseur a la conviction que sans leur engagement, rien ne changera. « Pour moi, choisir son accouchement, c’est le combat de l’époque, après l’IVG et la pilule, insiste la pédiatre. Et c’est par les femmes que ça bougera. »
- Chiffre de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees).[↩]