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© Diana Polekhina

Lutter contre l'obésité, est-​ce grossophobe ?

On a posé la ques­tion à l'autrice Gabrielle Deydier, la fat acti­vist Corps cools, la pré­si­dente du Collectif natio­nal des obèses Anne-​Sophie Joly et à Anthony Fardet, char­gé de recherches en nutrition.

Une « épi­dé­mie qui s’aggrave » : c’est en ces termes, allè­gre­ment repris dans les médias, que l’Organisation mon­diale de la san­té (OMS) a qua­li­fié l’évolution de l’obésité en Europe. Dans un rap­port publié le 3 mai, l’institution rap­pelle qu’aujourd’hui « 59 % des adultes et près d’un enfant sur trois sont en sur­poids ou obèses ». Un phé­no­mène qui ne cesse de s’amplifier et contre lequel l’OMS appelle à lut­ter acti­ve­ment. De leur côté, les militant·es anti-​grossophobie dénoncent depuis des années les dis­cri­mi­na­tions médi­cales et la stig­ma­ti­sa­tion sociale dont font l’objet les per­sonnes obèses et insistent sur la néces­si­té de nor­ma­li­ser les corps gros. Alors, lut­ter contre l’obésité est-​ce, en soi, ali­men­ter la stig­ma­ti­sa­tion des per­sonnes grosses ?

Anthony Fardet

Chargé de recherche en nutri­tion et direc­teur de recherche à l’université de Clermont-Ferrand

« Les cam­pagnes de pré­ven­tion ne ciblent pas les per­sonnes obèses. Elles servent à lut­ter contre l’obésité. Ce n’est pas la même chose. Les auto­ri­tés de san­té sont dans leur rôle en essayant de faire de la pré­ven­tion, car l’obésité concerne 17 % des adultes en France. Or, être en sur­poids aug­mente le risque de déve­lop­per des mala­dies graves comme le can­cer, le dia­bète ou les mala­dies car­diaques. Il est nor­mal d’alerter la popu­la­tion. Mais il faut évi­dem­ment faire atten­tion à la manière dont les mes­sages sont for­mu­lés. Parler de mala­die est sans doute mal­adroit, car de nom­breuses per- sonnes consi­dé­rées comme obèses – dont l’IMC est supé­rieur ou égal à 30 – n’ont aucun pro­blème de san­té. Il serait plus cor­rect de par­ler de déré- gula­tion méta­bo­lique chro­nique. Les gens ne sont pas obèses juste parce qu’ils mangent mal ou qu’ils ne font pas assez de sport. Si cela peut être le cas bien sûr, tout ne dépend pas d’eux. La pol­lu­tion et la pré­sence de per­tur­ba­teurs endo­cri­niens ont des consé­quences sur les hor­mones et peuvent jouer un rôle dans l’obésité, ain­si que la géné­tique dans une moindre mesure. La lutte contre la stig- mati­sa­tion est davan­tage un enjeu psy­cho­so­cial qu’une ques­tion médi­cale ou scien­ti­fique. À mon sens, cela passe sur­tout par l’éducation des plus jeunes au res­pect de la différence. »

Anne-​Sophie Joly

Présidente du Collectif natio­nal des asso­cia­tions d’obèses (CNAO)

« Il faut faire de la pré­ven­tion auprès du grand public. C’est comme cela qu’on fera recu­ler la stig­ma­ti­sa­tion des per­sonnes obèses. 67 % des Français pensent encore que perdre du poids, c’est une ques­tion de volon­té. Or l’obésité est liée à de nom­breux fac­teurs et ne se réduit pas à l’alimentation ou à l’activité phy­sique. Il faut com­mu­ni­quer, vul­ga­ri­ser, expli­quer tout ça. Expliquer aus­si pour­quoi les régimes à répé­ti­tion, non contrô­lés, sont dan­ge­reux. Le but n’est pas de faire mai­grir tout le monde, mais de don­ner une infor­ma­tion qui soit très prag­ma­tique et bien­veillante, pour que les gens concer­nés, mais aus­si les autres, aient tous les outils pour com­prendre. Aujourd’hui, quand vous allez chez votre géné­ra­liste, il n’est pas for­mé sur le sujet. Et on a des patients qui, à force de mau­vaises expé­riences, se retirent du sys­tème de san­té. Il faut que l’État le dise clai­re­ment : l’obésité est une mala­die chro­nique, recon­nue par l’OMS et par l’Union euro­péenne, et nous devons lut­ter contre. C’est essen­tiel pour for­mer les pro­fes­sion­nels de san­té et faire chan­ger le regard de la socié­té sur les per­sonnes en obésité. »

Gabrielle Deydier

Autrice d’On ne naît pas grosse et réa­li­sa­trice du docu­men­taire On achève bien les gros

« Lutter contre l’obésité n’a rien de gros­so­phobe. Ce n’est pas lut­ter contre les per- sonnes grosses. Et cela n’a rien d’antinomique avec la lutte contre la gros­so­pho­bie. Dire que l’obésité ne serait qu’une ques­tion de regard, qu’elle ne serait pas une mala­die, que lut­ter contre serait eugé­niste ou, encore, que le terme aurait été inven­té pour engrais­ser les big phar­ma, est pour moi dan­ge­reux et com­plo­tiste. C’est une ques­tion de san­té publique. Ce qui est gros­so­phobe, c’est la forme que la lutte contre l’obésité peut prendre. Techniquement, l’obésité est un syn­drome méta­bo­lique qui fait que l’on a des risques accrus de patho­lo­gies. L’un des pro­grès à envi­sa­ger serait de sor­tir de l’IMC comme cri­tère de l’obésité et par­ler d’obésité quand ces comor­bi­di­tés se déclenchent, afin de ne pas consi­dé­rer les per­sonnes grosses comme for­cé­ment malades. Tant qu’on consi- dére­ra aus­si l’obésité comme une mala­die mono­fac­to­rielle, on sera dans l’échec. Il y a plus d’une cen­taine de fac­teurs de risques, notam­ment les per­tur­ba­teurs endo­cri­niens, la dépres­sion ou la pau­vre­té. Rappeler cela per­met­trait des prises en charge médi­cales bien­veillantes et individualisées. »

Corps cools

Fat acti­vist et créa­trice de l’association Fat Friendly

« Pour moi, vou­loir lut­ter contre l’obésité est gros­so­phobe. Ces dis­cours entre­tiennent l’idée que la gros­seur est mau­vaise par essence et légi­ti­ment la vio­lence envers les per­sonnes grosses. Les attaques sont d’ailleurs sans cesse jus­ti­fiées par le fait que les gens gros seraient malades ou que leur san­té serait en dan­ger. 30 à 50 % des per­sonnes dites obèses n’ont pas de troubles méta­bo­liques asso­ciés. Le der- nier rap­port de l’OMS parle d’“épi­dé­mie”, comme si c’était conta­gieux ! L’argument selon lequel ces rap­ports et ces cam­pagnes ciblent l’obésité et non les per­sonnes n’a pas de sens pour moi. C’est comme dire que l’on sépare l’artiste de l’agresseur. On devrait s’intéresser à l’impact des discri- mina­tions sur les corps gros plu­tôt que de cher­cher à les faire mai­grir. Les études montrent qu’être sou­mis à des microagres- sions quo­ti­diennes a des consé­quences sur le corps simi­laires à celles que l’on impute à la gros­seur. Aussi long­temps que l’on vou­dra qu’il y ait de moins en moins de per­sonnes grosses au lieu de sou­hai­ter qu’il y ait de plus en plus de gens en bonne san­té, rien ne chan­ge­ra. L’urgence, c’est d’améliorer la qua­li­té de vie des per­sonnes grosses. »

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