Luisa Attali : « Accompagner l'IVG par la parole, c'est per­mettre à la patiente d'en faire quelque chose de positif »

Luisa Attali est psy­cho­logue cli­ni­cienne au pôle de gynécologie-​obstrétrique et séno­lo­gie des hôpi­taux uni­ver­si­taires de Strasbourg. Avec quatre autres psy­cho­logues, gyné­co­logues et sages-​femmes, elles signent un livre, Histoires d’IVG, his­toires de femmes. Elles démontrent l’importance de la parole et de l’écoute lors d’une Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) et la prise de sens qui peut en décou­ler. Elles en pro­fitent éga­le­ment pour décons­truire un cer­tain nombre de pré­ju­gés dont l’avortement peine à se défaire.

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Causette : Ce livre est né d’un groupe de parole entre spé­cia­listes de l’IVG et d'orthogénie. Quel était son but ini­tial ?
Louisa Attali : Le but, c’était qu’on puisse tra­vailler ensemble et amé­lio­rer nos pra­tiques. Des ren­contres se fai­saient déjà dans le cadre de l’Observatoire de l’IVG à Strasbourg. J’avais envie de déve­lop­per les thé­ma­tiques liées à l’avortement et mettre en évi­dence qu’en fait, la demande d’IVG est du côté de la vie. Souvent les anti-​choix l’associent à la mort. Alors que non. Les femmes, les couples qui font une demande d’IVG apprennent pleins de choses sur la vie. Il y a une envie d’avancer. 

Justement, vous insis­tez dans votre ouvrage sur le fait que l'IVG n'est pas un acte de mort. Pourquoi est-​ce impor­tant à sou­li­gner ?
L.A. :
Cet évé­ne­ment, bien qu’il soit conno­té néga­ti­ve­ment, peut ne pas l’être. C’est sou­vent une souf­france, sou­vent du côté de la dou­leur, mais cela peut être construc­tif. Comme me l’a dit une de mes patientes : « J’ai remis à jour mon disque dur. » Et c’est tel­le­ment logique, quand on y pense. L’IVG est un droit et un droit c’est posi­tif. Il y a une notion de rési­lience. Il faut que celles pour qui cela a été dif­fi­cile apprennent à rebondir.

Vous sou­li­gnez l'importance du dia­logue entre la patiente et le ou la professionnel·le de san­té dans ce pro­ces­sus. Pourquoi ?
L.A. : Parce que nous sommes des êtres de paroles. Il faut se battre, pas seule­ment pour l’IVG, mais pour ne pas le réduire à un acte sim­ple­ment médi­cal. Le geste médi­cal doit être accom­pa­gné par la parole. Ce sont tous ces mots autour qui vont faire sens et en faire quelque chose de positif.

Vous expli­quez que les IVG pré­coces sont par­fois le symp­tôme de quelque chose, qu’il y aurait un sens der­rière ?
L.A. :
Oui. Je vais vous don­ner un exemple. On a une femme qui ne veut pas consciem­ment de sa gros­sesse. Ce n’est pas pos­sible, pas le moment. C’est son droit. Bien sûr, il ne s’agit pas de géné­ra­li­ser mais lorsque l’on prend la gros­sesse comme un symp­tôme, comme l’expression d’un désir incons­cient, ça ouvre un sens à l’IVG. Cela va per­mettre à la femme d’avancer. Ce n’est pas du tout pour les culpa­bi­li­ser, l’inconscient nous échappe, c’est bien ça le pro­blème. Mais il est pos­sible que cette femme soit tom­bée enceinte au même âge que sa mère. Elle pre­nait la pilule, elle fai­sait atten­tion et puis là, elle l’a oublié – il est fon­da­men­tal par contre de noter que la contra­cep­tion et l'IVG, c'est le droit d'oublier. Qu’est-ce que vient signi­fier, aus­si, des gros­sesses répé­ti­tives ? Parfois, cette répé­ti­tion est néces­saire pour pou­voir avan­cer et se défaire de son iden­ti­té. Un peu comme un rite de passage. 

Autre pré­ju­gé : la place de l’homme lors d’une IVG. On a ten­dance à pen­ser qu’il est volon­tai­re­ment absent de la pro­cé­dure. Alors que pas for­cé­ment ?
L.A. :
Oui, c’est vrai qu’on a beau­coup de pré­ju­gés vis-​à-​vis des com­pa­gnons, des « géni­teurs ». Alors qu’il fau­drait, avec l’accord de la femme, per­mettre des consul­ta­tions avec eux. Par exemple, moi, je fais des entre­tiens de couple. Ça les aide énor­mé­ment. Souvent, les hommes ont envie d’être plus actifs mais ça leur échappe com­plè­te­ment, ils sont mal à l’aise, ne savent pas com­ment gérer. C’est vrai­ment dom­mage, parce que même si ce n’est pas dans leurs corps, ils vivent aus­si l’événement.

"Jamais, pas une fois, je n’ai pas ren­con­tré une femme qui a fait une IVG comme moyen de contraception."

Luisa Attali

Incompréhension de la contra­cep­tion, femmes qui se servent de l’avortement comme d’un moyen de contra­cep­tion… Parmi les pré­ju­gés que vous ten­tez de décons­truire, il y a ceux autour des IVG répé­ti­tives. 
L.A. : Oui, nous avons un à un cha­pitre entier sur l’IVG dites répé­ti­tives. Combien de fois ces femmes sont stig­ma­ti­sées alors que la répé­ti­tion, c’est sou­vent un symp­tôme qui exprime une souf­france qui n’est pas sans sens. Jamais, pas une fois, je n’ai pas ren­con­tré une femme qui a fait une IVG comme moyen de contra­cep­tion. D’ailleurs, l’IVG ce n’est pas vrai­ment un choix. Les femmes que je ren­contre, si elles avaient le choix, elles retour­ne­raient en arrière pour ne pas être enceinte. L’IVG, c’est une déci­sion, par­fois dif­fi­cile. C’est pour ça qu’il faut sen­si­bi­li­ser les pro­fes­sion­nels, pour amé­lio­rer la prise en charge. Que les femmes puissent être enten­dues dans les délais légaux, sans avoir à par­cou­rir des cen­taines de kilo­mètres pour ren­con­trer un pro­fes­sion­nel bienveillant.

Une autre idée reçue : l’avortement mène­rait à des troubles psy­cho­lo­giques, comme les troubles post-​traumatiques. Vous dites qu’il n’y a pour­tant aucune étude qui le prouve. Alors d’où vient cette per­cep­tion ?
L.A. :
Des anti-​choix prin­ci­pa­le­ment. Comme je l’évoque dans le livre, il y a eu des auteurs (qui ont recon­nu plus tard être « anti-​choix ») qui ont fait des études qui démon­traient l’existence d’un trouble post-​traumatique lié à l’IVG. Mais quand on fait la revue de la lit­té­ra­ture inter­na­tio­nale, on peut obser­ver qu’il n’y a aucune étude met­tant en évi­dence l’existence d’un trouble post-​traumatique asso­cié à l’IVG. J’ajoute : tant qu’elle est accom­pa­gnée par la parole. Parce qu’évidemment, une femme qui avorte et envers qui on va avoir des mots bru­taux, évi­dem­ment qu’il risque d’y avoir trau­ma­tisme. Mais il sera lié aux paroles et aux actes vio­lents, pas à l’acte en lui-​même. Dans le cas des femmes qui par la suite peuvent effec­ti­ve­ment avoir des troubles, il s’agit sou­vent de per­sonnes qui ont des struc­tures fra­giles au niveau psy­chia­trique et pour qui cet évé­ne­ment va agir comme un déclen­cheur. Mais cela aurait pu être vrai avec n'importe quelle épreuve. D’où l’importance d’avoir un accom­pa­gne­ment bien­veillant des professionnels.

Justement, ce livre se veut un « outil pour tous les pro­fes­sion­nels », ce qui laisse pen­ser que le sec­teur médi­cal est le pre­mier lieu où sont véhi­cu­lés les pré­ju­gés sur l’IVG…
L.A. :
Effectivement, il y a sou­vent des réti­cences et beau­coup de pré­ju­gés. On a des pro­fes­sion­nels qui pensent que leur métier, c’est être dans les nais­sances, dans l’accompagnement de la repro­duc­tion. Or, être sage-​femme ou gyné­co­logue ce n’est pas être du côté de la vie des bébés, mais du côté de la vie des femmes. Je crois vrai­ment qu’il faut voir autre­ment ces métiers-​là. Il y a de plus en plus de soi­gnants qui font appel à la clause de conscience, qui sont gênés par la prise en charge de demande d’IVG, qui n’ont pas for­cé­ment envie de s’y investir.

Pourtant, l’accompagnement est obli­ga­toire.
L.A. :
Oui, mais je ne sais pas si cela se fait dans toutes les struc­tures. J’ai été sur­prise de décou­vrir que cer­tains pro­fes­sion­nels décou­vraient la contri­bu­tion du psy­cho­logue dans l'accompagnement de l'IVG.

Cette carence vient-​elle d’un manque de volon­té ou d’un manque de moyens ?
L.A. :
Je ne sais pas quels sont les moyens au niveau natio­nal. Mais je pense que le temps, on se le donne. On peut avoir du temps et accom­pa­gner de façon catas­tro­phique. Et on peut n’avoir qu’une minute et trou­ver la parole qui va aider.

Est-​ce qu’il ne fau­drait pas leur apprendre pen­dant leur for­ma­tion à gérer ces situa­tions qui, vous le dites dans le livre, peuvent par­fois être dures à vivres aus­si du côté des pro­fes­sion­nels ?
L.A. :
Si bien sûr. Moi, je le fais en ren­con­trant les internes de méde­cines géné­rales et les sages-​femmes, en étant à l’écoute de leur posi­tion­ne­ment par rap­port à cette thé­ma­tique. Ils sont jeunes, ils découvrent, c’est le moment où ils peuvent s’enfermer dans des pré­ju­gés. Le but étant de cas­ser un peu ça et de les mettre face à la réa­li­té des choses. Il ne faut jamais être dans l’attaque, c’est impor­tant d’établir une confiance. Il faut être dans l’écoute. L’idéal, ce serait que ça se passe dans chaque struc­ture et pen­dant le cur­sus. Parce que c’est quand on est jeune qu’on s’accroche, qu’on se cris­tal­lise à des préjugés.

Enfin, vous évo­quez la bana­li­sa­tion de l’IVG qui « musèle la demande que chaque femme exprime ». C’est-à-dire ?
L.A. :
J’entends par là que bana­li­ser l’IVG, c’est mau­vais dans un sens comme dans l’autre. Du côté des « anti-​choix, » on va dire « elles prennent ça comme un moyen de contra­cep­tion. » Ils consi­dèrent que ce n’est pas un évé­ne­ment dou­lou­reux dans la vie d’une femme et qu'elle y accède tran­quille­ment. Du côté des « pro-​IVG », ce serait dire, « c’est un droit, elle n’a pas à en par­ler. » Sauf qu’effectivement, c’est un droit. Mais les femmes peuvent et doivent en parler.

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Histoires d'IVG, his­toires de femmes, Dr Luisa Attali, Dr Karima Bettahar, Elisabeth Guceve, Françoise Schoch, Dr Françoise Warynski, chez Vuibert.

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