On la scrute, on la palpe et on la maudit. La cellulite est diabolisée depuis un siècle. Entre misogynie et grossophobie, retour sur la naissance d’un complexe tenace.
![Cellulite : La fabrique d'un complexe 1 112 ceci est mon corps ∏ Marie Boiseau pour Causette](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/06/112-ceci-est-mon-corps-∏-Marie-Boiseau-pour-Causette-434x1024.jpg)
Chaque printemps, c’est la même rengaine. « J’appréhende le passage au short et au maillot de bain, parce que j’ai de la ‑cellulite. Alors, à l’approche de l’été, j’essaie de faire plus de sport, je me passe des jets d’eau froide sur le corps et, même si j’ai un peu honte de le dire, je finis presque toujours par acheter une crème anti-cellulite », confie Aline, 33 ans, et déjà vingt passés à détester ses capitons. Une préoccupation plutôt commune, si l’on en croit les recherches Google sur le mot « cellulite », qui connaissent systématiquement un pic au printemps. Un complexe qui, chez Aline, relève quasiment de l’héritage familial. Sa mère, jeune soixantenaire à la silhouette svelte, l’a encouragée dès sa préadolescence à lutter contre la cellulite : « Une fois qu’elle s’installe, on ne s’en défait plus », prévient-elle doctement. Quant à sa grand-mère, elle s’est battue contre elle toute sa vie. « Je crois que j’ai tout essayé, ou presque. Maintenant, je m’en fiche, mais j’en ai vraiment ‑souffert », témoigne Colette, 80 ans, plus résignée qu’autre chose.
Une couche de graisse qui a son utilité
Palper-rouler, boissons drainantes, exercices, régimes, appareils anticapitons et autres produits « miracle »… Objet d’une véritable guerre culturelle, la cellulite n’a pourtant rien d’un défaut, encore moins d’une pathologie. Relativement rare chez les hommes, cette couche de graisse sous-cutanée est présente chez 85 % à 98 % des femmes pubères. « C’est lié à la façon qu’ont les femmes de stocker la graisse qui, de cette manière, peut plus facilement être mobilisée pour la grossesse ou l’allaitement », détaille le Dr Michaël Naouri, membre de la Société française de dermatologie. Intimement liée à l’activité hormonale, la cellulite est tout simplement un caractère sexuel secondaire féminin, au même titre que les seins ou les menstruations. Et qui, depuis un siècle, fait pourtant figure d’ennemi à abattre.
« La cellulite qui hante les vitrines de nos pharmacies est un souci collectif qui a une date de naissance et un pays d’origine : les années 1920 en France. Auparavant, son altérité par ‑rapport au reste du corps n’était pas reconnue, n’était même pas “vue” », relate la sociologue italienne Rossella Ghigi, qui a consacré sa thèse à l’histoire de la cellulite. Jusqu’alors, celle-ci n’était rien d’autre que « de la chair féminine adulte », explique l’universitaire dans un passionnant article *. Il faudra attendre 1873 pour que le terme fasse sa première apparition dans le Dictionnaire de médecine (Littré et Robin), où il désigne une « inflammation du tissu cellulaire ». Si cette définition existe toujours, ce n’est pas celle qui a gagné le langage courant, où la cellulite renvoie bel et bien à cette couche de graisse à l’aspect capitonné. Celle à qui le corps médical s’est mis à porter une attention accrue au début du XXe siècle, dans un contexte de « lipophobie » (rejet de la graisse) grandissant.
Et les corps se dévoilèrent…
« Ce processus de “pathologisation” de la graisse remonte à la moitié du XIXe siècle, moment où il commence à y avoir une médicalisation à la fois de l’alimentation et de l’obésité, et où la minceur devient une norme de beauté valorisée dans les classes aisées », précise Solenne Carof, chercheuse en sociologie à l’Institut Gustave-Roussy et autrice d’une thèse sur les représentations liées au surpoids. Une dynamique qui se renforce au début du XXe siècle, alors que les nouvelles modes vestimentaires commencent à dévoiler les corps féminins – adieu corsets, bonjour jupes courtes – et que la société des loisirs ouvre la voie aux bains de mer. « C’est là que la cellulite va devenir visible dans l’espace public. Et comme, en parallèle, il y a une médicalisation du corps, elle va prendre une ampleur particulière à ce moment-là », poursuit Solenne Carof.
Présentée comme un « problème », voire comme une « intoxication » du corps qu’il faudrait traiter, la cellulite se retrouve, dès l’entre-deux-guerres, au cœur d’une véritable
chasse. Une détestation qui se répand d’autant mieux que la presse féminine y contribue activement : dans les années 1930, les articles sur le sujet se multiplient dans Marie-Claire ou Votre beauté. Paroles de médecins à l’appui, on y dissèque les causes supposées de ce fléau, que l’on attribue volontiers à la sédentarité, à la vie urbaine ou au travail féminin – tiens donc ! Déjà, on y alerte sur les zones critiques à surveiller – à l’époque, les chevilles et la nuque. Et bien sûr, on donne aux femmes mille et une solutions pour corriger ce vilain « défaut ».
« Ce qui est particulier avec la cellulite, c’est qu’elle exacerbe la dimension genrée des représentations liées à la graisse. Il faut se rappeler qu’au XIXe et au début du XXe siècle, le corps féminin est considéré par nature comme pathologique, faible, défaillant. Cette conception se retrouve dans les préjugés sur la cellulite, qui est une caractéristique associée au féminin », analyse Solenne Carof. Au croisement de la grossophobie et de la misogynie, exacerbée par les injonctions perpétuelles à « travailler » son corps, cette obsession anticapitons reste, un siècle plus tard, à l’image de la cellulite elle-même, solidement accrochée aux femmes. Certes, depuis le milieu des années 2010, quelques figures médiatiques ont pris le parti d’assumer leurs cuisses jugées disgracieuses : la comédienne Lena Dunham ou la mannequin « grande taille » Ashley Graham en 2017, les influenceuses fitness Juju Fitcats ou Nienke Kampman l’année suivante… « Un phénomène à la marge, puisque limité aux réseaux sociaux, et néanmoins intéressant, car il donne à voir des corps non lissés et non retouchés », analyse Solenne Carof. Alors, à quand la révolution du capiton ?
* « Le corps féminin entre science et culpabilisation – Autour d’une histoire de la cellulite », par Rossella Ghigi. Travail, genre et sociétés 2004/2 (no 12).
Bonnes poires
Les injonctions à l’adresse des femmes pour perdre leur cellulite nous font oublier que celle-ci a ses avantages. « Les femmes stockent souvent la graisse autour des hanches et des fesses (d’où la silhouette "en poire"), alors que les hommes la gardent surtout dans le ventre (d’où la silhouette "en pomme"). Or, la graisse abdominale est moins saine, car elle favorise le diabète ou des ‑maladies cardio-vasculaires », explique la Dre Mariëtte Boon, coautrice du Charme secret de notre graisse (éd. Actes Sud, 2020). Autrement dit, les œstrogènes « évitent aux femmes de développer davantage de graisse abdominale ». Comme quoi, y’a du bon dans le capiton.