Cellulite : La fabrique d'un complexe

On la scrute, on la palpe et on la mau­dit. La cel­lu­lite est dia­bo­li­sée depuis un siècle. Entre miso­gy­nie et gros­so­pho­bie, retour sur la nais­sance d’un com­plexe tenace.

112 ceci est mon corps ∏ Marie Boiseau pour Causette
© Marie Boiseau pour Causette

Chaque prin­temps, c’est la même ren­gaine. « J’appréhende le pas­sage au short et au maillot de bain, parce que j’ai de la ‑cel­lu­lite. Alors, à l’approche de l’été, j’essaie de faire plus de sport, je me passe des jets d’eau froide sur le corps et, même si j’ai un peu honte de le dire, je finis presque tou­jours par ache­ter une crème anti-​cellulite », confie Aline, 33 ans, et déjà vingt pas­sés à détes­ter ses ­capi­tons. Une pré­oc­cu­pa­tion plu­tôt com­mune, si l’on en croit les recherches Google sur le mot « cel­lu­lite », qui connaissent sys­té­ma­ti­que­ment un pic au prin­temps. Un com­plexe qui, chez Aline, relève qua­si­ment de l’héritage fami­lial. Sa mère, jeune soixan­te­naire à la sil­houette svelte, l’a encou­ra­gée dès sa pré­ado­les­cence à lut­ter contre la cel­lu­lite : « Une fois qu’elle s’installe, on ne s’en défait plus », prévient-​elle doc­te­ment. Quant à sa grand-​mère, elle s’est bat­tue contre elle toute sa vie. « Je crois que j’ai tout essayé, ou presque. Maintenant, je m’en fiche, mais j’en ai vrai­ment ‑souf­fert », témoigne Colette, 80 ans, plus rési­gnée qu’autre chose.

Une couche de graisse qui a son utilité

Palper-​rouler, bois­sons drai­nantes, exer­cices, régimes, appa­reils anti­ca­pi­tons et autres pro­duits « miracle »… Objet d’une véri­table guerre cultu­relle, la cel­lu­lite n’a pour­tant rien d’un défaut, encore moins d’une patho­lo­gie. Relativement rare chez les hommes, cette couche de graisse sous-​cutanée est pré­sente chez 85 % à 98 % des femmes pubères. « C’est lié à la façon qu’ont les femmes de sto­cker la graisse qui, de cette manière, peut plus faci­le­ment être mobi­li­sée pour la gros­sesse ou l’allaitement », détaille le Dr Michaël Naouri, membre de la Société fran­çaise de der­ma­to­lo­gie. Intimement liée à l’activité hor­mo­nale, la cel­lu­lite est tout sim­ple­ment un carac­tère sexuel secon­daire fémi­nin, au même titre que les seins ou les mens­trua­tions. Et qui, depuis un siècle, fait pour­tant figure d’ennemi à abattre.

« La cel­lu­lite qui hante les vitrines de nos phar­ma­cies est un sou­ci col­lec­tif qui a une date de nais­sance et un pays d’origine : les années 1920 en France. Auparavant, son alté­ri­té par ‑rap­port au reste du corps n’était pas recon­nue, n’était même pas “vue” », relate la socio­logue ita­lienne Rossella Ghigi, qui a consa­cré sa thèse à l’histoire de la cel­lu­lite. Jusqu’alors, celle-​ci n’était rien d’autre que « de la chair fémi­nine adulte », explique l’universitaire dans un ­pas­sion­nant article *. Il fau­dra attendre 1873 pour que le terme fasse sa pre­mière appa­ri­tion dans le Dictionnaire de méde­cine (Littré et Robin), où il désigne une « inflam­ma­tion du tis­su cel­lu­laire ». Si cette défi­ni­tion existe tou­jours, ce n’est pas celle qui a gagné le lan­gage cou­rant, où la cel­lu­lite ren­voie bel et bien à cette couche de graisse à l’aspect capi­ton­né. Celle à qui le corps médi­cal s’est mis à por­ter une atten­tion accrue au début du XXe siècle, dans un contexte de « lipo­pho­bie » (rejet de la graisse) grandissant.

Et les corps se dévoilèrent…

« Ce pro­ces­sus de “patho­lo­gi­sa­tion” de la graisse remonte à la moi­tié du XIXe siècle, moment où il com­mence à y avoir une médi­ca­li­sa­tion à la fois de l’alimentation et de l’obésité, et où la min­ceur devient une norme de beau­té valo­ri­sée dans les classes aisées », pré­cise Solenne Carof, cher­cheuse en socio­lo­gie à l’Institut Gustave-​Roussy et autrice d’une thèse sur les repré­sen­ta­tions liées au sur­poids. Une dyna­mique qui se ren­force au début du XXe siècle, alors que les nou­velles modes ves­ti­men­taires com­mencent à dévoi­ler les corps fémi­nins – adieu cor­sets, bon­jour jupes courtes – et que la socié­té des loi­sirs ouvre la voie aux bains de mer. « C’est là que la cel­lu­lite va deve­nir visible dans l’espace public. Et comme, en paral­lèle, il y a une médi­ca­li­sa­tion du corps, elle va prendre une ampleur par­ti­cu­lière à ce moment-​là », pour­suit Solenne Carof. 

Présentée comme un « pro­blème », voire comme une « intoxi­ca­tion » du corps qu’il fau­drait trai­ter, la cel­lu­lite se retrouve, dès l’entre-deux-guerres, au cœur d’une véri­table
chasse. Une détes­ta­tion qui se répand d’autant mieux que la presse fémi­nine y contri­bue acti­ve­ment : dans les années 1930, les articles sur le sujet se mul­ti­plient dans Marie-​Claire ou Votre beau­té. Paroles de méde­cins à ­l’appui, on y dis­sèque les causes sup­po­sées de ce fléau, que l’on attri­bue volon­tiers à la séden­ta­ri­té, à la vie urbaine ou au tra­vail fémi­nin – tiens donc ! Déjà, on y alerte sur les zones cri­tiques à sur­veiller – à l’époque, les che­villes et la nuque. Et bien sûr, on donne aux femmes mille et une solu­tions pour cor­ri­ger ce vilain « défaut ». 

« Ce qui est par­ti­cu­lier avec la cel­lu­lite, c’est qu’elle exa­cerbe la dimen­sion gen­rée des repré­sen­ta­tions liées à la graisse. Il faut se rap­pe­ler qu’au XIXe et au début du XXe siècle, le corps fémi­nin est consi­dé­ré par nature comme patho­lo­gique, faible, défaillant. Cette concep­tion se retrouve dans les pré­ju­gés sur la cel­lu­lite, qui est une carac­té­ris­tique asso­ciée au fémi­nin », ana­lyse Solenne Carof. Au croi­se­ment de la gros­so­pho­bie et de la miso­gy­nie, exa­cer­bée par les injonc­tions per­pé­tuelles à « tra­vailler » son corps, cette obses­sion anti­ca­pi­tons reste, un siècle plus tard, à l’image de la cel­lu­lite elle-​même, soli­de­ment accro­chée aux femmes. Certes, depuis le milieu des années 2010, quelques figures média­tiques ont pris le par­ti d’assumer leurs cuisses jugées dis­gra­cieuses : la comé­dienne Lena Dunham ou la man­ne­quin « grande taille » Ashley Graham en 2017, les influen­ceuses fit­ness Juju Fitcats ou Nienke Kampman l’année sui­vante… « Un phé­no­mène à la marge, puisque limi­té aux réseaux sociaux, et néan­moins inté­res­sant, car il donne à voir des corps non lis­sés et non retou­chés », ana­lyse Solenne Carof. Alors, à quand la révo­lu­tion du capiton ?

* « Le corps fémi­nin entre science et culpa­bi­li­sa­tion – Autour d’une his­toire de la cel­lu­lite », par Rossella Ghigi. Travail, genre et socié­tés 2004/​2 (no 12).


Bonnes poires

Les injonc­tions à l’adresse des femmes pour perdre leur cel­lu­lite nous font oublier que celle-​ci a ses avan­tages. « Les femmes stockent sou­vent la graisse autour des hanches et des fesses (d’où la sil­houette "en poire"), alors que les hommes la gardent sur­tout dans le ventre (d’où la sil­houette "en pomme"). Or, la graisse abdo­mi­nale est moins saine, car elle favo­rise le dia­bète ou des ‑mala­dies cardio-​vasculaires », explique la Dre Mariëtte Boon, coau­trice du Charme secret de notre graisse (éd. Actes Sud, 2020). Autrement dit, les œstro­gènes « évitent aux femmes de déve­lop­per davan­tage de graisse abdo­mi­nale ». Comme quoi, y’a du bon dans le capiton.

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