Cancer du sein triple néga­tif : paye ton traitement

Mise à jour – 2 novembre 2021 /​/​/​Depuis lun­di 1er novembre, le Trodelvy (voir enca­dré à la fin de cet article) est dis­po­nible pour l'ensemble des patientes concer­nées en France, au nombre de 600 selon l'association #MobilisationTriplettes. En effet, une auto­ri­sa­tion d'accès pré­coce à ce trai­te­ment vient d'être émise par la Haute auto­ri­té de san­té (HAS), sans attendre l'autorisation de mise sur le mar­ché euro­péenne. Cette déci­sion de l'HAS inter­vient alors que le labo­ra­toire amé­ri­cain Gilead, qui pro­duit le Trodelvy, a ren­for­cé sa chaîne de pro­duc­tion, qui ren­dait aupa­ra­vant très com­pli­quée la dif­fu­sion du médi­ca­ment en dehors des États-Unis.


Certaines femmes atteintes du “triple néga­tif”, une forme de can­cer du sein très agres­sive, décident de par­tir en Allemagne pour rece­voir un trai­te­ment inac­ces­sible en France. Et pour finan­cer leurs soins, elles sont contraintes de lan­cer des cagnottes en ligne.

Causette CMJN v2 A

Delphine en est à son qua­trième aller-​retour. Depuis le mois de mai, toutes les trois semaines, elle fait le tra­jet seule, en voi­ture, jusqu’à Dornstetten, une petite ville du sud-​ouest de l’Allemagne, à plus de 700 kilo­mètres de chez elle. Elle ne s’y rend pas pour se mettre au vert ni pour des rai­sons pro­fes­sion­nelles. Elle va y cher­cher un trai­te­ment par immu­no­thé­ra­pie, dans une cli­nique pri­vée, pour ­ten­ter de conte­nir son can­cer du sein quelques mois de plus. Car en France, ce type de pro­to­cole, jugé trop peu effi­cace, n’est pas autorisé.

Delphine est une « tri­plette », sur­nom mignon que se donnent les femmes qui souffrent d’un mal qui ne l’est pas du tout : un type de can­cer du sein sur­nom­mé « triple néga­tif ». Aujourd’hui en France, la majo­ri­té des can­cers du sein se gué­rissent bien. Mais quand il s’agit d’un triple néga­tif, soit 15 % des cas, le diag­nos­tic est moins optimiste.

Survie médiane de qua­torze mois

Pour espé­rer le gué­rir, un seul par­cours, en trois étapes, est pro­po­sé en France : chi­mio­thé­ra­pie, mas­tec­to­mie, radio­thé­ra­pie. Mais dans 20 % des cas, ce trai­te­ment ne fonc­tionne pas et le can­cer méta­stase (il réci­dive dans d’autres par­ties du corps). Cela concerne deux mille femmes par an. « Ces can­cers triples néga­tifs méta­sta­tiques font par­tie des plus agres­sifs qui existent aujourd’hui. Ils se déve­loppent très vite et s’adaptent aux trai­te­ments », détaille Suzette Delaloge, onco­logue à l’institut Gustave-​Roussy (Val-​de-​Marne). Pour ces deux mille femmes, la sur­vie médiane est de qua­torze mois, les chances de gué­ri­son totale, nulles. Les patientes peuvent tout au plus espé­rer frei­ner le déve­lop­pe­ment du can­cer. À ce diag­nos­tic extrê­me­ment sévère, il faut ajou­ter une cruau­té sup­plé­men­taire : le triple néga­tif touche prin­ci­pa­le­ment les femmes de moins de 40 ans, sans antécédent.

Or à cet âge-​là, gagner ne serait-​ce que quelques mois de vie n’a pas de prix. Pour pro­fi­ter encore un peu de ses enfants, notam­ment. C’est pour­quoi, en déses­poir de cause, cer­taines tri­plettes méta­sta­sées se rendent dans des cli­niques pri­vées en Allemagne pour béné­fi­cier d’immunothérapies. « Certes, elles ne fonc­tionnent pas pour tout le monde, mais quand c’est le cas, elles ont des résul­tats sur le long terme », affirme Claude Coutier, fon­da­trice du col­lec­tif #MobilisationTriplettes et elle-​même atteinte d’un triple néga­tif. Le long terme, c’est quelques mois, voire quelques années de vie… « L’immunothérapie a d’autant plus de chances de fonc­tion­ner si elle arrive en début de méta­stase, avant que la patiente n’ait subi trop de trai­te­ments par chi­mio­thé­ra­pie », ajoute Claude Coutier, qui se bat pour que ces trai­te­ments soient acces­sibles aux tri­plettes en France.

150 000 euros pour trois mois de traitement

Delphine, qui fait les allers-​retours toutes les trois semaines jusqu’à Dornstetten, a été diag­nos­ti­quée il y a trois ans, à l’âge de 36 ans. Son can­cer a méta­sta­sé, elle a déjà fait plu­sieurs chi­mio­thé­ra­pies. Elle a une fille de 4 ans, une autre de 14. Alors, quelques mois de plus avec elles, c’est tou­jours ça de pris. « Personne n’est irrem­pla­çable bien sûr, mais j’aimerais bien faire encore un bout de che­min avec elles. Et c’est dur de s’entendre dire en France “Non, on ne va pas tes­ter l’immunothérapie sur vous, parce qu’il y a de forts risques que ce soit en vain”. » C’est la rai­son pour laquelle, comme une ving­taine d’autres tri­plettes fran­çaises, elle a déci­dé de lan­cer une cagnotte en ligne : il faut comp­ter envi­ron 150 000 euros pour trois mois d’immunothérapie à Dornstetten.

« Tout cela n’a rien de plai­sant, confie Delphine. Se battre, mettre ses enfants en avant pour faire grim­per la cagnotte, deman­der de l’argent à sa famille… » Un incon­fort par­ta­gé par Sabrina, tri­plette de 41 ans : « J’ai l’impression de qué­man­der », avoue-​t-​elle. Lancer une cagnotte, c’est aus­si une charge men­tale sup­plé­men­taire. Il faut d’abord faire de la péda­go­gie, expli­quer que si l’immunothérapie est acces­sible en France pour d’autres can­cers, comme celui du pou­mon, ce n’est pas le cas pour celui du sein, mon­trer le devis de la cli­nique alle­mande, les bilans… « Bref, prou­ver qu’on ne va pas se faire construire une mai­son avec l’argent récol­té, plai­sante Sabrina. Je dois aus­si tenir au cou­rant de mon avan­cée les gens qui m’ont aidée, c’est nor­mal. Mais par­fois, j’ai aus­si envie de par­ler d’autre chose. »

Delphine et Sabrina ne sont pas fières non plus des inéga­li­tés que cela crée entre les dif­fé­rentes tri­plettes, selon leur ges­tion plus ou moins effi­cace des réseaux sociaux et des outils de com­mu­ni­ca­tion. Delphine a réus­si à lever 78 000 euros. Mais d’autres cagnottes atteignent plus de 200 000 euros. « Je trouve que ce n’est vrai­ment pas éthique. Mais je n’ai pas d’autre solu­tion. Si ça ne marche pas, tant pis, mais au moins, j’aurai essayé », conclut Delphine.

C’est pré­ci­sé­ment pour ce droit à l’essai que se bat le col­lec­tif #MobilisationTriplettes. Car le par­cours de Claude Coutier, « vieille tri­plette » détec­tée à 48 ans, donne de l’espoir. En jan­vier 2020, elle a obte­nu une auto­ri­sa­tion tem­po­raire d’utilisation (ATU) pour une immu­no­thé­ra­pie en France, dans le cadre d’un essai cli­nique. « Aujourd’hui, je prends encore ce trai­te­ment, indique-​t-​elle. Il n’a pas fait dimi­nuer mes méta­stases, mais le can­cer ne pro­gresse plus. » Elle a gagné au moins un an et demi de vie. Suffisamment long­temps pour voir naître sa petite-fille. 


Bientôt un nou­veau traitement

Le Trodelvy redonne de l’espoir aux tri­plettes. Cet anti­corps asso­cié à de la chi­mio­thé­ra­pie per­met­trait de trai­ter loca­le­ment de manière effi­cace le can­cer triple néga­tif, même après méta­stase. Il est com­plexe à fabri­quer et, pour l’heure, le labo­ra­toire amé­ri­cain Gilead, qui le pro­duit, ne dis­pose pas des chaînes de pro­duc­tion suf­fi­santes pour le com­mer­cia­li­ser hors des États-​Unis. Seules 78 femmes en béné­fi­cient actuel­le­ment en France, alors que plus de 1 000 seraient éli­gibles, selon l’Agence natio­nale de sécu­ri­té du médi­ca­ment et des pro­duits de san­té. Gilead a affir­mé qu’en novembre 2021, sa pro­duc­tion serait suf­fi­sante pour satis­faire la demande. 

Partager
Articles liés

Inverted wid­get

Turn on the "Inverted back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.

Accent wid­get

Turn on the "Accent back­ground" option for any wid­get, to get an alter­na­tive sty­ling like this.