![Témoignages : séparés par la fermeture des frontières, Jean-Louis et Susan s'aiment par écrans interposés 1 img 4290 2 a 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2020/11/img_4290-2-a-1-682x1024.jpg)
Chaque mois, Causette donne la parole à un duo sentimental pour comprendre comment les visions divergentes de chacun·e n’empêchent pas (toujours) le ménage de tourner. Jean-Louis et Susan, jeune couple de septuagénaires binationaux, roucoulaient la moitié du temps en France, l’autre moitié aux États-Unis. Jusqu’à ce que le premier confinement les sépare pour de longs mois. Puisque les deux pays n’ont pas rouvert leurs frontières, les tourtereaux ont décidé de se retrouver sur une île à mi-chemin.
Jean-Louis
71 ans (région parisienne)
« En 2016, j’ai 66 ans, je sors d’une rupture et, retraité, je décide de passer un hiver en Floride pour profiter de la chaleur tropicale de Fort Lauderdale. Prêt à retrouver l’amour, alors que je surfe sur un site de rencontre, je reçois un message d’une certaine Susan. Même âge, mêmes centres d’intérêt et les photos de cette Américaine me plaisent illico. Je ne me trompe pas : dès que je la vois, c’est le coup de foudre. Le mois qui suit est ponctué de rendez-vous galants, les pieds dans le sable. Susan accepte très vite de venir vivre en France chez moi l’été et que je vienne sous son soleil d’hiver l’autre moitié de l’année. Six mois dans le Vaucluse, six mois en Floride. Un amour binational entre les deux rives de l’Atlantique… jusqu’à l’arrivée de l’épidémie.
Le 15 mars 2020, alors aux États-Unis, je décide de rejoindre l’Hexagone. En termes d’assurance-maladie, mieux vaut la sécu française qu’américaine. Pas d’adieu déchirant : ça ne va pas durer éternellement. De retour en France, je me confine seul dans le petit appartement de la région parisienne que je viens d’acheter pour elle et moi. Je passe la quarantaine seul en visio avec ma moitié. À l’annonce du déconfinement, je demande immédiatement un laissez-passer dérogatoire au consulat de Miami, qui, depuis, me balade d’administration en administration. Côté français, même si la Commission européenne annonce permettre aux couples de se réunir, silence radio aussi.
Ça me rend dingue, je ne suis pas un touriste, je suis amoureux et ça fait sept mois que je n’ai pas vu celle que j’aime. J’essaie de tenir comme je peux, sans me laisser abattre. Tous les soirs, à 18 heures, je me connecte à Skype et je l’attends. Pour patienter, je me renseigne sur les dernières infos made in USA. Je suis un passionné de politique américaine (elle aussi) et en ce moment, ça dépote. Puis vient l’appel quotidien : on se raconte nos journées, on se moque du polichinelle de la Maison-Blanche. La voir, même derrière un ordinateur, m’est essentiel. Après des myriades de rebondissements, enfin la bonne nouvelle : je retrouve ma compagne d’ici une semaine à Saint-Martin [dans les Caraïbes, ndlr] et je n’ai qu’une hâte, lui préparer de bons repas arrosés de champagne. »
Susan
71 ans (Fort Lauderdale, Floride)
« Nous sommes en 2016 et ça fait pas mal de temps que j’enchaîne les déceptions amoureuses. À force de désillusions, je m’apprête à résilier mon abonnement sur un site de rencontre quand je remarque le profil de Jean-Louis, un Français. Je ne sais pas pourquoi, mais je me dis : allez, un dernier essai. Après plusieurs coups de fil, premier rendez-vous : je découvre un homme qui a les pieds sur terre, toujours en salopette en jean, son “uniforme”, comme il dit. La connexion est immédiate. Quelques semaines plus tard, je le rejoins en Provence pour un mois et demi. Je n’avais jamais mis un pied en Europe ni traversé l’Atlantique : je vis un rêve éveillé. Depuis notre première rencontre, Jean-Louis et moi échangeons au quotidien. Seul break : quand l’un de nous est dans l’avion pour rejoindre l’autre.
Mi-mars 2020, alors qu’il est en Floride avec moi, les compagnies aériennes annulent de plus en plus de vols. C’est mieux pour Jean-Louis de rentrer en France. Je ne réalise pas vraiment ce qui nous attend et je pense que lui non plus. Pendant le confinement, les coups de fil laissent place aux appels en visio. Le voir à l’écran me rassure, même si la frustration est immense : c’est chimique, j’ai besoin de lui. Mais le pire vient avec la fin du lockdown. Impossible de savoir quand nous allons nous revoir, l’incertitude me pèse. Alors, pour contrer l’absence, il fait en sorte que je me réveille tous les matins avec un mail rédigé par ses soins. Et puis il a cette idée brillante d’installer une caméra dans son salon que je peux commander depuis chez moi. Chaque jour, il cache un petit mot en français (j’essaie d’apprendre la langue) que je dois retrouver en dirigeant l’appareil.
Après des heures de conversations et de plans sur la comète pour enfin nous retrouver, puisque la France et les États-Unis sont hors d’accès, ce sera à mi-chemin, à Saint-Martin, que l’on va pouvoir enfin se serrer dans les bras. Après un vrai parcours du combattant, j’ai déniché un labo qui me livrera mes résultats de tests Covid dans les délais demandés. Le départ est imminent. Je ne sais pas ce que je vais lui dire en le voyant, mais ce dont je suis certaine, c’est qu’il y aura forcément une bouteille de champagne dans l’histoire. »