Témoignages : sépa­rés par la fer­me­ture des fron­tières, Jean-​Louis et Susan s'aiment par écrans interposés

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© Laura Lafon pour Causette



Chaque mois, Causette donne la parole à un duo sen­ti­men­tal pour com­prendre com­ment les visions diver­gentes de chacun·e n’empêchent pas (tou­jours) le ménage de tour­ner. Jean-​Louis et Susan, jeune couple de sep­tua­gé­naires bina­tio­naux, rou­cou­laient la moi­tié du temps en France, l’autre moi­tié aux États-​Unis. Jusqu’à ce que le pre­mier confi­ne­ment les sépare pour de longs mois. Puisque les deux pays n’ont pas rou­vert leurs fron­tières, les tour­te­reaux ont déci­dé de se retrou­ver sur une île à mi-chemin. 










Jean-​Louis

71 ans (région parisienne)

« En 2016, j’ai 66 ans, je sors d’une rup­ture et, retrai­té, je décide de pas­ser un hiver en Floride pour pro­fi­ter de la cha­leur tro­pi­cale de Fort Lauderdale. Prêt à retrou­ver l’amour, alors que je surfe sur un site de ren­contre, je reçois un mes­sage d’une cer­taine Susan. Même âge, mêmes centres d’intérêt et les pho­tos de cette Américaine me plaisent illi­co. Je ne me trompe pas : dès que je la vois, c’est le coup de foudre. Le mois qui suit est ponc­tué de rendez-​vous galants, les pieds dans le sable. Susan accepte très vite de venir vivre en France chez moi l’été et que je vienne sous son soleil d’hiver l’autre moi­tié de l’année. Six mois dans le Vaucluse, six mois en Floride. Un amour bina­tio­nal entre les deux rives de l’Atlantique… jusqu’à l’arrivée de l’épidémie.
Le 15 mars 2020, alors aux États-​Unis, je décide de rejoindre l’Hexagone. En termes d’assurance-­maladie, mieux vaut la sécu fran­çaise qu’américaine. Pas d’adieu déchi­rant : ça ne va pas durer éter­nel­le­ment. De retour en France, je me confine seul dans le petit appar­te­ment de la région pari­sienne que je viens d’acheter pour elle et moi. Je passe la qua­ran­taine seul en visio avec ma moi­tié. À l’annonce du décon­fi­ne­ment, je demande immé­dia­te­ment un laissez-​passer déro­ga­toire au consu­lat de Miami, qui, depuis, me balade d’administration en admi­nis­tra­tion. Côté fran­çais, même si la Commission euro­péenne annonce per­mettre aux couples de se réunir, silence radio aus­si.
Ça me rend dingue, je ne suis pas un tou­riste, je suis amou­reux et ça fait sept mois que je n’ai pas vu celle que j’aime. J’essaie de tenir comme je peux, sans me lais­ser abattre. Tous les soirs, à 18 heures, je me connecte à Skype et je l’attends. Pour patien­ter, je me ren­seigne sur les der­nières infos made in USA. Je suis un pas­sion­né de poli­tique amé­ri­caine (elle aus­si) et en ce moment, ça dépote. Puis vient l’appel quo­ti­dien : on se raconte nos jour­nées, on se moque du poli­chi­nelle de la Maison-​Blanche. La voir, même der­rière un ordi­na­teur, m’est essen­tiel. Après des myriades de rebon­dis­se­ments, enfin la bonne nou­velle : je retrouve ma com­pagne d’ici une semaine à Saint-​Martin [dans les Caraïbes, ndlr] et je n’ai qu’une hâte, lui pré­pa­rer de bons repas arro­sés de champagne. » 

Susan

71 ans (Fort Lauderdale, Floride)

« Nous sommes en 2016 et ça fait pas mal de temps que j’enchaîne les décep­tions amou­reuses. À force de dés­illu­sions, je m’apprête à rési­lier mon abon­ne­ment sur un site de ren­contre quand je remarque le pro­fil de Jean-​Louis, un Français. Je ne sais pas pour­quoi, mais je me dis : allez, un der­nier essai. Après plu­sieurs coups de fil, pre­mier rendez-​vous : je découvre un homme qui a les pieds sur terre, tou­jours en salo­pette en jean, son “uni­forme”, comme il dit. La connexion est immé­diate. Quelques semaines plus tard, je le rejoins en Provence pour un mois et demi. Je n’avais jamais mis un pied en Europe ni tra­ver­sé l’Atlantique : je vis un rêve éveillé. Depuis notre pre­mière ren­contre, Jean-​Louis et moi échan­geons au quo­ti­dien. Seul break : quand l’un de nous est dans l’avion pour rejoindre l’autre.
Mi-​mars 2020, alors qu’il est en Floride avec moi, les com­pa­gnies aériennes annulent de plus en plus de vols. C’est mieux pour Jean-​Louis de ren­trer en France. Je ne réa­lise pas vrai­ment ce qui nous attend et je pense que lui non plus. Pendant le confi­ne­ment, les coups de fil laissent place aux appels en visio. Le voir à l’écran me ras­sure, même si la frus­tra­tion est immense : c’est chi­mique, j’ai besoin de lui. Mais le pire vient avec la fin du lock­down. Impossible de savoir quand nous allons nous revoir, l’incertitude me pèse. Alors, pour contrer l’absence, il fait en sorte que je me réveille tous les matins avec un mail rédi­gé par ses soins. Et puis il a cette idée brillante d’installer une camé­ra dans son salon que je peux com­man­der depuis chez moi. Chaque jour, il cache un petit mot en fran­çais (j’essaie d’apprendre la langue) que je dois retrou­ver en diri­geant l’appareil.
Après des heures de conver­sa­tions et de plans sur la comète pour enfin nous retrou­ver, puisque la France et les États-​Unis sont hors d’accès, ce sera à mi-​chemin, à Saint-​Martin, que l’on va pou­voir enfin se ser­rer dans les bras. Après un vrai par­cours du com­bat­tant, j’ai déni­ché un labo qui me livre­ra mes résul­tats de tests Covid dans les délais deman­dés. Le départ est immi­nent. Je ne sais pas ce que je vais lui dire en le voyant, mais ce dont je suis cer­taine, c’est qu’il y aura for­cé­ment une bou­teille de cham­pagne dans l’histoire. » 

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