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© Ana Castillo pour Causette

Ados : leur monde est queer

De plus en plus de jeunes de 20 ans et moins rejettent la « norme » hété­ro­sexuelle et la bina­ri­té de genre. LGBT, gen­der fluid, non-​binaires, pansexuel·les ou asexuel·les, ces jeunes reven­diquent une plus grande liber­té à s’autodéfinir. Une visi­bi­li­té nou­velle qui n’empêche pas les dif­fi­cul­tés pour se faire accepter.

Au fond du local, un mur a été peint aux cou­leurs du dra­peau arc-​en-​ciel. Une ving- taine de jeunes sont réuni·es dans la petite pièce pour jouer aux cartes, dis­cu­ter dans un cana­pé ou se faire des câlins. Il y a des gar­çons, des filles cis­genres, mais aus­si des per­sonnes trans ain­si que des non-​binaires. En ce same­di fris­quet de novembre, la per­ma­nence pari- sienne de l’association MAG Jeunes LGBT, qui accueille un public entre 15 et 26 ans, fait office de cocon cha­leu­reux et safe.

Eliot, 17 ans, sweat-​shirt noir et che­veux teints en vio­let, voix timide mais pro­pos affir­mé, est trans. Iel (pro­nom neutre, contrac­tion de « il et elle ») fré­quente ce lieu depuis deux ans pour « sor­tir de l’isolement ». « Dans mon ancien lycée, je me sen­tais oppres­sé par l’hétéronormativité. Je me fai­sais un peu har­ce­ler au sujet de ma sexua­li­té. J’étais vrai­ment seul·e. » Un jour qu’iel entend des cama­rades dire à son sujet que c’est un « mec », Eliot se dit que ce n’est pas exact. Est-​iel alors une femme ?

Non plus. Iel découvre le mot sur Tumblr, Eliot est « non binaire », ce qui signi­fie que son iden­ti­té de genre n’est ni homme ni femme, même si iel uti­lise le pro­nom « il » au quo­ti­dien « pour faci­li­ter les choses ». Eliot se défi­nit éga­le­ment comme bisexuel. Aujourd’hui, iel est en ter­mi­nale dans un éta­blis­se­ment de l’Essonne, où les choses se passent mieux. « J’ai fait mon coming out trans sur le groupe Snapchat de ma classe et tout le monde l’a bien pris. » Dans sa famille, les réac­tions sont contras­tées. Son père et sa belle-​mère l’acceptent bien, tan­dis que sa mère a vou­lu le « faire inter­ner » pour qu’iel « rede­vienne une fille ».

“ On accueille de plus en plus de per­sonnes entre 13 et 17 ans qui se posent des ques­tions tôt ”

Billie, gen­der­queer, res­pon­sable de l’accueil à l’association MAG Jeunes LGBT

William, jeune de 19 ans éga­le­ment trans, sweat rouge bor­deaux et lunettes rondes sous une coupe courte et blonde, évoque quant à lui des pro­blèmes dans son tra­vail. Salarié dans le domaine de l’ani- mation auprès d’adolescent·es, il souffre du « mégen­rage » (le fait d’être dési­gné par les mau­vais pro­noms ou adjec­tifs) et de l’utilisation de son dead name, son pré­nom fémi­nin d’avant sa tran­si­tion. Il a vu une autre per­sonne trans faire son coming out auprès de ses col­lègues qui ont igno­ré l’information, et pré­fère donc se taire. « Je le vis assez mal », dit-​il. En ce qui concerne ses orien­ta­tions sexuelle et affec­tive, il se défi­nit comme aroman- tique et pan­sexuel, ce qui signi­fie qu’il ne res­sent pas d’attirance roman­tique, mais peut éprou­ver une atti­rance sexuelle pour une per­sonne, binaire ou non, quel que soit son genre.

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© Ana Castillo pour Causette

Billie, res­pon­sable de l’accueil, en pull vert et lunettes bleues, se défi­nit comme gen­der­queer (un autre mot pour « non binaire »). Iel a rejoint l’association en tant que femme cis avant de se question- ner sur son iden­ti­té de genre. Du haut de ses 22 ans, iel a obser­vé quelques faits révé­la­teurs sur les jeunes accueilli·es par le MAG. D’abord, l’âge médian du public a bais­sé. Fixé à 21 ans il y a quelques années, il s’établit désor­mais à 18 ans. « On accueille de plus en plus de per­sonnes entre 13 et 17 ans qui se posent des ques­tions tôt », explique Billie. Des groupes sont nés pour embras­ser la diver­si­té des pro­fils et évo­quer cer­taines thé­ma­tiques : un pour les per­sonnes trans et non binaires, un autre pour les asexuel·les et les aroman- tiques et un pour les bisexuel·les et les pansexuel·les, élar­gis­sant le spectre du sigle LGBT, qu’on retrouve désor­mais plus sou­vent sous les formes LGBTQIA+ (les­bienne, gay, bisexuel, trans, queer, inter­sexe, asexuel) ou LGBT+.

Une bina­ri­té qui n’a plus de sens

Plusieurs cher­cheurs et cher­cheuses l’ont consta­té : de plus en plus de jeunes ne se recon­naissent pas dans la norme domi- nante de l’hétérosexualité – c’est‑à dire l’hétéronormativité – qui pré­sup­pose que les rela­tions sexuelles ou amou­reuses « nor­males » sont celles qui existent entre hommes et femmes. De même, ils et elles ques­tionnent plus volon­tiers la bina­ri­té de genre – concep­tion selon laquelle les per­sonnes seraient répar­ties dans les caté­go­ries homme ou femme – et les stéréo- types qui vont avec. Pour certain·es, ces caté­go­ries n’ont plus vrai­ment de sens.

La recherche dans le monde anglo- saxon, plus avan­cé sur le sujet, a bien docu­men­té ces évo­lu­tions et démontre que la géné­ra­tion Z des moins de 20 ans se libère encore davan­tage des car­cans que les Millennials de la géné­ra­tion Y. Dans une enquête de 2017 menée par l’université de Cardiff * auprès de jeunes du Royaume-​Uni de 13–19 ans, 69 % des répondant·es étaient en désac­cord avec l’idée qu’il n’existe que deux genres. Toujours outre-​Manche, 43 % des 18–24 ans ne se ver­raient pas comme stric­te­ment hétérosexuel·les, selon une étude YouGov. Aux États-​Unis, seul·es 48 % des 13–20 ans (contre 65 % des 21–34 ans) se défi­nissent comme « com­plè­te­ment hétérosexuel·les », selon une étude du think tank J. Walter. Thompson Innovation Group. Cela ne veut pas for­cé­ment dire que ces per­sonnes s’identifient comme gays, les­biennes ou bisexuelles, mais qu’elles ne se vivent pas comme 100 % hétéros.

59% des vic­times de LGBTphobie dans le milieu sco­laire et l’enseignement supé­rieur ont moins de 18 ans, selon le rap­port 2018 de SOS Homophobie. Le milieu sco­laire a même connu une explo­sion du nombre de cas en 2017 (+ 38 %).

Et dans le monde fran­co­phone ? La socio­logue et direc­trice de recherche émé- rite au CNRS et au Centre de recherches poli­tiques de Sciences Po (Cevipof ) Janine Mossuz-​Lavau a aus­si fait le constat d’une plus grande diver­si­té des res­sen­tis lors des entre­tiens qu’elle a réa­li­sés pour son livre La Vie sexuelle en France (Éditions de La Martinière), une enquête parue en sep­tembre, dix-​sept ans après une pre- mière ver­sion. « Il y a une sorte de flui­di­té dans les rela­tions chez les jeunes, qui peuvent être en couple hété­ro tout en ayant des expé- riences avec des per­sonnes du même sexe. De plus, mal­gré les spasmes d’homophobie et la recru­des­cence des agres­sions [voir le chiffre page 50], l’homosexualité est plus accep­tée, de même que la bisexua­li­té », remarque-​t-​elle, assu­rant avoir trou­vé des témoi­gnages de per­sonnes bisexuelles beau­coup plus faci- lement qu’il y a dix-​sept ans. « Il y a, chez ces jeunes, un refus de la vision binaire selon laquelle on serait soit fémi­nin soit mas­cu­lin, hété­ro ou homo. Elles et eux disent que ce sont des construc­tions et que leurs expé­riences sont plus fluides », cor­ro­bore Caroline Dayer, cher­cheuse et for­ma­trice suisse, spé­cia­liste des ques­tions de genre.

La Toile pour se révé­ler et s’entraider

Dans ce pro­ces­sus, Internet tient une place de choix et devient un lieu de socia­li­sa­tion per­met­tant de se sen­tir moins seul·e. « On peut attri­buer [cette plus grande liber­té] à une plus grande visi­bi­li­té glo­bale des ques­tions LGBT, cer­tai­ne­ment faci­li­tée par les échanges dans le cybe­res­pace et les pos­si­bi­li­tés d’y obte­nir des infor­ma­tions alter­na­tives à la norme », explique la socio­logue du genre Gabrielle Richard. Sur YouTube, des personnali- tés comme l’influenceur Bilal Hassani ou Princ(ess)e LGBT évoquent des sujets liés à l’identité de genre et à l’orientation sexuelle ou affec­tive. Sur Twitter et Tumblr, des jeunes LGBT+ uti­lisent leurs pro­fils pour dis­cu­ter de ces ques­tions, rejoindre une com­mu­nau­té, s’entraider ou tout simple- ment pour exis­ter dans leur iden­ti­té quand c’est dif­fi­cile au-​dehors. C’est le cas pour Zéphyr, 17 ans, étu­diante en pre­mière année de méde­cine dans le nord de la France. Elle a com­men­cé à s’interroger il y a trois ans et se défi­nit aujourd’hui comme gen­der fluid, ce qui veut dire que son iden­ti­té de genre est mou­vante. En ce moment, elle uti­lise le fémi­nin, mais son res­sen­ti peut varier en fonc­tion des jours. « C’est plus facile sur Twitter qu’à l’oral », admet-​elle. C’est aus­si sur Twitter qu’elle a trou­vé des clés pour défi­nir son orien­ta­tion affec­tive vers l’âge de 14 ans. « Depuis toute petite, je disais que si je devais tom­ber amou­reuse, ce serait par rap­port au men­tal et non à l’apparence. Ensuite, j’ai décou­vert le mot “pan­ro­man­tique” et j’ai trou­vé que ça m’allait bien. Les réseaux sociaux m’ont aidée à m’accepter. J’ai remis en ques­tion tout ce qu’on m’avait dit : bleu pour les gar­çons, rose pour les filles et l’idée que l’on naî­trait hétérosexuel·le. J’ai beau­coup pleu­ré quand je me suis dit que je ne l’étais pas, parce que ce n’était pas conforme à ma reli­gion. Je suis musul­mane pra­ti­quante. Puis j’ai fini par me dire que si je crois vrai­ment en Dieu, ce sera à lui de me juger et pas aux autres. Ce n’est plus un pro­blème. J’ai par­lé à ma mère de pan­sexua­li­té et de mes ques­tion­ne­ments sur le genre. C’est com­pli­qué, mais je lui ai dit que je ne chan­ge­rais pas. Finalement, elle a répon­du qu’elle vou­lait juste mon bon­heur et que je res­te­rais tou­jours son enfant. »

15 % C’est l’augmentation des agres­sions phy­siques sur les per­sonnes LGBT en un an. Selon une enquête de SOS Homophobie qui a recueilli, en 2017, 1 650 témoi­gnages d’actes LGBT- phobes, soit 4,8 % de plus qu’en 2016.

Guy, twit­to actif de 22 ans rési­dant à Saint-​Denis (Seine-​Saint-​Denis), bisexuel et trans, a docu­men­té sa double mastec- tomie sur le réseau social et a choi­si pour pho­to de pro­fil une image de lui torse nu mon­trant ses pan­se­ments au niveau de la poi­trine. En mes­sage pri­vé, il nous raconte son par­cours. « J’ai essayé d’être une femme, mais c’était trop… inadap­té, quelque chose clo­chait. Au fond de moi, je res­sen­tais que ça nefonctionnaitpas,malgrémeseffortspour me confor­mer. Aujourd’hui, je vis comme un homme, mais sans me recon­naître pour autant dans les codes gen­rés des­ti­nés aux gar­çons. En fait, ces deux cases m’embêtent. Je me suis long­temps défi­ni pan­sexuel, avant de m’arrêter sur le terme bisexuel, qui est pour moi un terme plus poli­tique. À l’adoles- cence, j’ai vite com­pris que j’étais atti­ré par les gar­çons comme par les filles. Mais depuis que j’ai com­men­cé ma tran­si­tion, j’ai accep­té d’être plus atti­ré par les hommes que par les femmes. J’ai la chance d’avoir des parents très ouverts d’esprit. »

Plus de visi­bi­li­té, plus de dis­cri­mi­na­tion aussi

La ving­taine de jeunes que nous avons interrogé·es pour cet article témoignent d’une grande diver­si­té de situa­tions – milieux sociaux, régions, édu­ca­tion. Leurs réfé­rences cultu­relles englobent Prince, le chan­teur gay Troye Sivan, l’auteure de BD trans Sophie Labelle, le comé­dien queer Ezra Miller ou encore la chan­teuse pan- sexuelle Chris (ancien­ne­ment Christine and the Queens). Les per­son­na­li­tés « out » – tra­dui­sez : qui ont fait leur coming out – ou les per­son­nages de fic­tion sont présenté·es comme inspirant·es. Il faut dire que la pop culture s’essaie à plus de repré­sen­ta­ti­vi­té. Des séries comme Orange is the New Black, Transparent ou, en France, la mini­sé­rie d’Arte J’ai 2 amours sur un homme bisexuel et poly­amou­reux, donnent plus de visi­bi­li­té à des per­son­nages LGBT. De même que la série de Desiree Akhavan, The Bisexual, sor­tie en octobre 2018 au Royaume-​Uni et bien­tôt dif­fu­sée sur Canal+, qui dépeint les erre­ments de Leila, une femme qui, après s’être sépa­rée de sa com­pagne, découvre sa bisexua­li­té et les pré­ju­gés de son entou­rage. Des dis­cours comme celui d’Anne Hathaway lors de la remise de prix de l’ONG Human Rights Campaign, en sep­tembre 2018, dénon­çant le « mythe hété­ro­sexuel », ont aus­si été remarqués.

93 % des per­sonnes bisexuelles et pan­sexuelles inter­ro­gées ont enten­du des pro­pos biphobes et/​ou pan­phobes. C’est ce que révèle une étude menée cette année par cinq asso­cia­tions LGBT+ sur la bipho­bie et la panphobie.

Malgré ces quelques per­cées progres- sistes, les jeunes LGBT+ doivent encore batailler contre les dis­cours hété­ro­nor­més. Celestia, 20 ans, étu­diante en ciné­ma au look d’écolière japo­naise ren­con­trée dans un café pari­sien, est pan­sexuelle. Sa pre- mière petite amie s’appelait Rose. « Pourtant, j’entends encore des dis­cours qui disent que si je sors aujourd’hui avec un gar­çon, je suis hété­ro­sexuelle avec une atti­rance pour une fille. Comme si l’hétérosexualité était la matrice en fonc­tion de laquelle il faut abso­lu­ment se défi­nir. Alors que moi, je suis atti­rée par les humains et je trouve qu’il faut res­pec­ter les mots choi- sis », dit-​elle. Miel, ving­te­naire tra­vaillant dans la lin­ge­rie de luxe, se pré­sente comme bisexuelle sur l’application de ren­contres OkCupid, où l’on peut aus­si bien se défi- nir comme gay que « demi­sexuel » (ne pou­vant être atti­ré sexuel­le­ment qu’après avoir noué un lien affec­tif fort avec une per­sonne) ou encore hété­ro­flexible. Elle songe à être plus regar­dante sur l’ouverture d’esprit de ses par­te­naires. « Je n’évite pas les hommes hété­ros, mais je com­mence à me deman­der si je ne devrais pas le faire. Quand je dis que je suis sor­tie avec des femmes, ils me pro­posent sys­té­ma­ti­que­ment des plans à trois et ça excite un fan­tasme chez eux. C’est fati­gant », partage-​t-​elle.

La vio­lence peut aller plus loin que les simples cli­chés biphobes. Dans le local de l’association MAG Jeunes LGBT, la dis­cus­sion se pour­suit avec Billie, jeune respon- sable de la per­ma­nence. Iel observe un mou­ve­ment para­doxal. Les jeunes LGBT+ sont plus visibles, ils et elles s’affichent sur les réseaux sociaux, en parlent en milieu sco­laire, se regroupent, militent pour leurs droits. Mais cette visi­bi­li­té s’accompagne de haine. « Je ne connais pas une per­sonne au MAG qui n’a pas ren­con­tré de pro­blèmes de har­cè­le­ment sco­laire. Les ques­tions de san­té men­tale reviennent aus­si sou­vent, car le taux de dépres­sion est plus fort chez les per­sonnes LGBT+. » L’idée que l’affirmation d’identités plu­rielles serait une « mode » l’agace. « Je connais des gens plus vieux qui n’ont jamais été binaires. La dif­fé­rence, c’est que ces com­mu­nau­tés sont aujourd’hui sur Internet avec des nou­velles ter­mi­no­lo­gies et qu’il y a une pos­si­bi­li­té de s’identifier. » Iel-​même se dit asexuel (ne res­sen­tant pas d’attirance sexuelle pour autrui) et a décou­vert le mot à l’adolescence. « Jusqu’à ce que je ren­contre des per­sonnes comme moi, je pen­sais que j’étais cassé·e et que la com­mu­nau­té LGBT ne s’occupait pas de cette orien­ta­tion. Découvrir que d’autres ont un vécu simi­laire, ça t’enlève un poids. »

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