Stand-​up : Yann Marguet, le mar­rant suisse

Chroniques qui car­tonnent à la radio, tour­née triom­phale avec son spec­tacle, Yann Marguet domine la scène humo­ris­tique suisse. En pre­nant le par­ti de se moquer de tout, sans jamais bles­ser per­sonne. Comme quoi, c’est possible… 

109 Yann Marguet © Karla Voleau pour Causette
© Karla Voleau pour Causette

Deux heures d’interview à la ter­rasse d’un bar de Lausanne, en Suisse, et beau­coup trop d’interruptions. Des « salut, Yann » éna­mou­rés. Des ser­rages de pognes. Des com­pli­ments en pagaille. Yann Marguet est la nou­velle star de l’humour suisse. Aux der­niers jours de décembre 2019, il a même été élu Vaudois de l’année. Les inter­nautes l’ont dési­gné comme celui « qui a fait le plus rayon­ner le can­ton de Vaud ». Le titre peut faire rica­ner de ce côté-​ci des Alpes. Mais, dans la sélec­tion de per­son­na­li­tés, on trou­vait, excu­sez du peu, l’astrophysicien Michel Mayor, décou­vreur de la pre­mière exo­pla­nète et tout frais Prix Nobel de phy­sique. Foin des recon­nais­sances scien­ti­fiques inter­na­tio­nales, c’est bien Yann Marguet, avec ses chro­niques radio à suc­cès et son spec­tacle joué à gui­chets fer­més depuis près d’un an, qui a empor­té le cœur des Romands.

Thèse en crimino

Le grand gaillard, mi-​bûcheron cana­dien, mi-​hipster new-​yorkais, ne rou­git pas à chaque éloge. Sa barbe soi­gnée s’étire d’un large sou­rire, sous son sem­pi­ter­nel bon­net aux bords rou­lés. Mais on lit dans ses yeux tendres la sur­prise sans cesse renou­ve­lée d’être recon­nu, dans tous les sens du terme. Pourtant, assure-​t-​il, « rien de ce qui m’arrive ne m’étonne vrai­ment. Parce que j’ai tou­jours vou­lu faire rire », -s’excuse-t-il presque.

Découvert sur les ondes de la radio « jeune » de la RTS, Couleur 3, il fait désor­mais un tabac sur les planches avec son spec­tacle Exister, défi­ni­tion. Son par­cours d’humoriste doit cepen­dant pas mal au hasard. « On a failli le lou­per », s’angoisse Frank Matter, ani­ma­teur phare de Couleur 3 et sparring-​partner rigo­lard des chro­niques du comique à la radio. Yann Marguet déboule à son micro au début de ­l’année 2016. « Jusque-​là, j’écrivais une thèse en cri­mi­no­lo­gie, mais je m’en fou­tais. Un autre truc m’appelait. » Un copain lui pro­pose de venir « faire le con » sur une petite radio locale. Parti un peu trop fort, Yann ne tarde pas à prendre la porte. « C’est là que je lui ai mis le grap­pin des­sus », se féli­cite Frank Matter.

Et c’est le début du suc­cès. Qui com­mence avec Les Orties, une chro­nique où l’humoriste donne sa défi­ni­tion déca­pante d’un mot ou d’un concept. Tout y passe : la Saint-​Valentin, les émo­jis, la clope, les régimes. Mais aus­si l’homophobie ou le har­cè­le­ment sexuel. Alors que la vague #MeToo n’a pas encore défer­lé, Marguet dézingue les agres­seurs. « C’est le pre­mier en Suisse à avoir abor­dé ces sujets », sou­ligne Frank Matter. « Le déclic, pour moi, c’est l’affaire Baupin, raconte l’humoriste. J’ai com­men­cé à m’interroger sur moi, sur les moments où j’avais pu faire de la merde. »

“Les règles du jeu [de la socié­té, ndlr] ont été écrites avec un peu d’encre et une bite” 

Yann Marguet

À la même époque, il signe une tri­bune dans le quo­ti­dien Le Matin pour s’indigner des dif­fi­cul­tés ren­con­trées par les jeunes filles qui demandent la pilule du len­de­main. « Yann est un homme qui dénonce de lui-​même des inéga­li­tés qui ne le touchent pas. Il fait par­tie de ceux qui inter­rogent leur pri­vi­lège mas­cu­lin », appré­cie Léonore Porchet, mili­tante fémi­niste, deve­nue dépu­tée éco­lo, que l’humoriste a aidé à lan­cer une appli­ca­tion de signa­le­ment des har­ce­leurs de rue. Privilège mas­cu­lin qu’il décri­ra avec brio dans une chro­nique dans laquelle il défi­nit « la bite » en affir­mant que « les règles du jeu [de l’organisation de la socié­té, ndlr] ont été écrites avec un peu d’encre et une bite. Une bite qui per­met de ne pas avoir à s’épiler, de ne pas avoir à se maquiller, de ne pas avoir à sen­tir bon, de mieux gagner sa vie, de cou­per la parole, d’être plus enten­du, de ne pas être tour­né en déri­sion, d’être élu plus sou­vent […] ».

La bite. Élégante tran­si­tion vers le deuxième épi­sode de la vie d’humoriste de Yann Marguet. Alors que le suc­cès des Orties bat son plein à l’antenne de Couleur 3, mais sur­tout sur YouTube, avec des vidéos à 150 000 vues en moyenne, il s’arrête à la cen­tième chro­nique et se réin­vente. Place à Sexomax, un per­son­nage lou­foque, cas­quette à hélice per­chée sur la tête et voix enfan­tine. Dans ses pres­ta­tions autant sonores que visuelles – ces chro­niques sont aus­si pen­sées pour être vues en vidéo –, il explore les pra­tiques sexuelles (la pipe, l’échangisme, la levrette) et tout ce qui touche, de près ou de loin, au cul : la méno­pause, la cys­tite ou l’éjaculation précoce.

109 Yann Marguet 2 © Karla Voleau pour Causette
© Karla Voleau pour Causette
Un uni­vers déjanté

Le résul­tat est déton­nant. Au fil de ses chro­niques, Yann Marguet construit un uni­vers déjan­té. Il faut s’y immer­ger pour en per­ce­voir tout le poten­tiel hila­rant. Le prin­ci­pal inté­res­sé l’admet : « Si on com­pile des courts extraits, per­sonne ne peut trou­ver ça mar­rant. C’est une finesse de jouer avec le voca­bu­laire enfan­tin. En extrait, ça fait juste gros beauf. » Il invente un jar­gon fleu­ri, qu’il arti­cule en pous­sant à fond son accent vau­dois. Puis c’est la fête aux gim­micks, deve­nus viraux en Suisse fran­co­phone. Les branché·es y disent désor­mais « ça joue », pour « ça va », et hurlent des « Pénis ! » dans les fes­ti­vals rocks, comme leur héros, sexo­logue d’un genre nouveau.

Sexologue, oui, osons, parce qu’on y trouve son compte sur le fond. Marguet bosse ses sujets et s’appuie sur les sciences pour explo­rer l’univers du sexe. « C’est un tra­vailleur achar­né », rap­porte Frank Matter. Le potache fait œuvre de salu­bri­té publique. « De la véri­table édu­ca­tion sexuelle », confirme Léonore Porchet. L’originalité du pro­gramme, c’est que son pro­pos n’est jamais excluant. Les pra­tiques ne sont pas obser­vées d’un point de vue hété­ro­cen­tré. Et, sur­tout, jamais dans le juge­ment. « Au fait, ce qui est impor­tant, c’est le plai­sir », indique le petit jingle de Sexomax, affi­chant un cli­to­ris rigolard.

Combattre le har­cè­le­ment de rue

L’idée du per­son­nage a ger­mé au hasard d’une conver­sa­tion. « J’ai signé “Sexomax” un tex­to que j’envoyais à Frank, parce que je trou­vais ce nom mar­rant. Le reste du per­so en a décou­lé : j’allais don­ner toutes les semaines à la radio des “conseils sexuels”. Et puis, un jour, un mec m’écrit pour me dire à quel point une de mes chro­niques l’a aidé. L’ampleur prise par Sexo reste étrange pour moi », raconte-​t-​il.

S’il ne se reven­dique pas « humo­riste fémi­niste », il est tout de même l’auteur de la meilleure cam­pagne de com­mu­ni­ca­tion contre le har­cè­le­ment de rue, celle de la ville de Lausanne : une vidéo qui nous entraîne dans un musée ima­gi­naire, dans le futur. Crâne lus­tré, grosses lunettes d’intello et che­mise col mao, Yann Marguet y joue au guide racon­tant au public le sexisme des loin­taines années 2000. Et décrit, l’air sen­ten­cieux, des pra­tiques – sif­fle­ments, com­men­taires gra­ve­leux, mains aux fesses – qui, dans cette dys­to­pie heu­reuse, ont dis­pa­ru de l’espace public. C’est d’une ima­gi­na­tion folle et impla­cable. Loin des cam­pagnes dans les­quelles les agres­seurs appa­raissent subli­més en bêtes féroces quand les vic­times sont mon­trées en pauvres choses fra­giles. Sourire aux lèvres, l’humoriste se dit « extrê­me­ment fier » du résul­tat.

“Beaucoup ont vou­lu le récu­pé­rer, mais ont échoué. C’est un sau­vage, un dif­fi­cile à capturer”

Frank Matter, ani­ma­teur de Couleur 3 et sparring-​partner 

Mais, une fois encore, il bifurque, refu­sant de se can­ton­ner à un sujet « deve­nu ban­kable », reconnaît-​il. « Beaucoup ont vou­lu le récu­pé­rer, mais ont échoué. C’est un sau­vage, un dif­fi­cile à cap­tu­rer », se réjouit Frank Matter. Alors, il fait le grand saut. Au prin­temps 2019, il se lance dans une tour­née des salles de spec­tacle hel­vètes avec un seul en scène.

“Toute petite chose fragile”

Une per­for­mance méta­phy­sique où ­l’artiste se montre encore une fois inven­tif, en pro­vo­quant un dia­logue avec Dieu, repré­sen­té par une voix off, celle du dou­bleur en fran­çais de Morgan Freeman. Frissons garan­tis. Devant un public conquis, il s’essaie à la défi­ni­tion de l’existence et va ain­si « de l’infiniment grand à l’infiniment con ». Ses com­pa­rai­sons font tou­jours mouche : « La vie, au début, je ne m’y atten­dais pas. Après, j’y ai pris goût. Et il faut se taper la fin de merde. C’est Game of Thrones, en fait. » Entre digres­sions per­son­nelles sur son enfance dans la petite ville de Sainte-​Croix, dans le Jura suisse, et dis­ser­ta­tions sur « la douve du foie », un para­site qui infecte les voies biliaires des her­bi­vores, Yann Marguet appro­fon­dit cette sen­si­bi­li­té qu’on sen­tait déjà poindre à la radio. Les yeux humides, sa maman, petite dame à la voix douce, dévoile la véri­té de son ­cos­taud : « C’est un vrai tendre. » Frank Matter, le com­plice en grosses rigo­lades, le confirme : « Yann est une toute petite chose fra­gile, il est très émo­tif. Il a pleu­ré pour la der­nière des Orties. » Le prin­ci­pal inté­res­sé pré­fère dire sobre­ment de lui qu’il est « ami­cal ». Avant de répondre cha­leu­reu­se­ment à un énième admi­ra­teur lausannois. 

Reste le Graal convoi­té par tous et toutes les ressortissant·es aux vel­léi­tés artis­tiques des pays fran­co­phones : ren­con­trer le suc­cès à Paris. Il y tra­vaille acti­ve­ment, mul­ti­pliant les contacts, étu­diant déjà de nom­breuses pro­po­si­tions. Dans ses Orties, en défi­nis­sant « les Français », il a d’ailleurs chro­ni­qué très jus­te­ment les rap­ports com­plexes que les Suisses, comme les Belges ou, dans une moindre mesure, les Québécois, entre­tiennent avec l’Hexagone. Comme des petits frères qui rêve­raient que leur aîné tapa­geur leur prête plus d’attention. Dans le cas Marguet, ça vau­drait sacré­ment le coup.

21 sep­tembre 1984

Naissance à Sainte-​Croix (Suisse)

21 sep­tembre 1984
2003

S’installe à Lausanne

2003
2005

S’essaie à HEC,
puis au droit, puis à la cri­mi­no­lo­gie. En vain.

2005
2015

Première radio à Rouge FM

2015
2016

Timeline Heading 5

Démarre Les Orties sur Couleur 3. Suivront Sexomax, Fusil McCul

2016
mai 2019

Timeline Heading 6

Premier spec­tacle, Exister, défi­ni­tion, créé à Lausanne

mai 2019
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