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Au premier rang, Romain Fauroux, Ambre Febvre, Philippe Torreton et Anne brochet en pleine répétition de "Tout mon Amour" © Sonia Barcet

Spectacle vivant : à Saint-​Étienne, la Comédie pré­pare le « jour d’après »

Depuis fin octobre, les lieux de culture sont fer­més et se lan­guissent autant que leur public de leur réou­ver­ture. Dans les cou­lisses, le monde du spec­tacle vivant conti­nue vaille que vaille de se pré­pa­rer en pré­vi­sion du jour J. Reportage à la Comédie de Saint-​Étienne, où l’on révise Tout mon amour, mis en scène par Arnaud Meunier.

Ce mar­di devait être le jour d’un lan­ce­ment. Celui de la tour­née du spec­tacle Tout mon amour, de Laurent Mauvignier et mis en scène par Arnaud Meunier. Mais les lieux cultu­rels sont tou­jours fer­més. Alors, ce 21 février est plu­tôt deve­nu un faux départ. À l’entrée de la Comédie de Saint-​Étienne, dans la Loire, un pan­neau figé dans le temps affiche encore les dates de spec­tacles qui ne se sont pas tenus. À l’intérieur, pas de queue aux gui­chets et cela fait main­te­nant cent trois jours, depuis la fin du mois d’octobre 2020, que la moquette rouge n’est pié­ti­née que par les employé·es et les élèves de l’école de la Comédie. Pourtant, en cette fin février enso­leillée, la bâtisse semble reprendre vie le temps du filage de Tout mon Amour. Une fois « La Stéphanoise » – la salle en briques noires, clin d’œil au pas­sé minier de la ville – plon­gée dans le noir et le silence, on s’y croi­rait. Pendant 1 h 45, les acteur·rices jouent comme si les spectateur·rices en face d’eux·elles n’étaient pas espacé·es par un siège vide. Comme s’ils·elles ne por­taient pas de masque et n’étaient pas qu’une poi­gnée de jour­na­listes chanceux·ses, de professionnel·les du sec­teur ou de membres de l’institution venu·es accé­der à un plai­sir presque oublié. À la fin de la repré­sen­ta­tion, les applau­dis­se­ments reten­tissent. Mais il n’y aura pas de salut. « Ça res­semble à une pre­mière, mais on ne peut quand même pas dire que ça en est une… Alors on s’est dit qu’on ne salue­rait pas », jus­ti­fie Arnaud Meunier, à la fois met­teur en scène de la pièce et direc­teur de la Comédie. Avant que le rideau s’ouvre, il avait adres­sé quelques mots à cet audi­toire par­ti­cu­lier. « C’est une sen­sa­tion étrange de vous voir. On dirait que la vie nor­male est de retour, alors que pas du tout. »

« On attend. Tels Pénélope qui attend le retour d’Ulysse »

Arnaud Meunier, met­teur en scène et direc­teur de la Comédie

Dans la « vie nor­male » qu’il évoque, ce filage aurait été sui­vi de « vraies » repré­sen­ta­tions. D’abord à Saint-​Étienne, puis dans toute la France. À l’heure actuelle, per­sonne ne peut dire quand et dans quelles condi­tions les théâtres rou­vri­ront. Ce devait être le 15 décembre, mais la flam­bée épi­dé­mique a contraint le gou­ver­ne­ment à repous­ser cette date aux calendes grecques. Alors, comme dans la mytho­lo­gie : « On attend. Telle Pénélope qui attend le retour d’Ulysse. Puisque faire et défaire, c’est vrai­ment ce qu’on fait tous dans la culture depuis un petit bout de temps », se désole Arnaud Meunier.

Malgré l’absence de spectateur·rices, l’enthousiasme est là. Depuis jan­vier, la troupe se pré­pare en s’accrochant à l’espoir de retrou­ver son public. Un opti­misme qui, à en croire la comé­dienne Anne Brochet, fait oublier l’incertitude : « On était tous moti­vés les uns et les autres à aller jusqu’au bout de la créa­tion, jusqu’au bout de ce qu’il fal­lait faire pour que le spec­tacle existe. Maintenant, on va voir quand on le joue­ra devant des gens. » Assise sur un banc, la comé­dienne a l’air les­si­vée. Conséquence d’un rôle éprou­vant à jouer : celui de la mère d’une petite fille qui dis­pa­raît, lais­sant à ses parents et son frère une absence qu’ils n’arrivent pas à com­bler. Dix ans plus tard, une jeune fille se pré­sente à eux, cla­mant être l’enfant qu’ils croyaient per­due. La pièce est donc une his­toire de revenant.

Laurent Mauvignier, son auteur, qui a fait le dépla­ce­ment à Saint-​Étienne pour ce jour de filage, a res­sen­ti une « étran­ge­té » à entendre, dans le contexte actuel, ce texte qu’il a écrit en 2012 et qui parle de choses qui réap­pa­raissent. « J’ai l’impression qu’on peut dire que ce per­son­nage d’Élisa [le nom de la petite fille qui dis­pa­raît, ndlr] est une méta­phore du théâtre. À un moment don­né, il a dis­pa­ru, mais il revient. Dans le contexte dans lequel on est, on espère tous que cela sera le cas. »

« Il n’y a que la culture qui per­met de par­ta­ger la même émo­tion, au même moment, avec une salle pleine de gens que l’on ne connaît pas » 

Anne Autran

Il règne à la Comédie un cli­mat doux-​amer. En plus du faux départ de la pièce, ce 21 février marque aus­si le der­nier jour d’Arnaud Meunier en tant que direc­teur de l’institution. Il se consa­cre­ra désor­mais exclu­si­ve­ment à la direc­tion de la salle de spec­tacle la Maison de la culture de Grenoble, poste qu’il occupe depuis jan­vier. Avec sa cas­quette de met­teur en scène, il assure que « oui, bien sûr, on est heu­reux de répé­ter, de se retrou­ver, même si ne pas pou­voir trou­ver le public aujourd’hui, c’est une ampu­ta­tion d’un membre très violent. Mais le fait de quand même s’entraîner, ça nous main­tient dans une acti­vi­té. » Dans son rôle de direc­teur de théâtre, il s’alarme, par contre : « D’un point de vue éco­no­mique, on ne peut pas conti­nuer ad vitam aeter­nam à répé­ter des spec­tacles qui ne voient pas le jour. C’est comme si les res­tau­ra­teurs conti­nuaient à cui­si­ner alors qu’ils ne sont pas auto­ri­sés à vendre. On ne peut pas conti­nuer éter­nel­le­ment à pro­duire s’il n’y a pas d’accès à la visi­bi­li­té publique. »

Se réin­ven­ter pour ne pas sombrer

Arnaud Meunier a fait les comptes : entre les deux théâtres qu’il gère, évoque, c’est plus de vingt-​deux spec­tacles prêts à être livrés au public, qui ne seront jamais joués. À l’échelle du pays, ce chiffre est, sans aucun doute, ver­ti­gi­neux. Une situa­tion qui est encore plus catas­tro­phique du côté des théâtres pri­vés. Malgré les mesures gou­ver­ne­men­tales (prise en charge d’une par­tie des coûts, aides for­fai­taires, auto­ri­sa­tion à répé­ter pen­dant le deuxième confi­ne­ment…), le compte n’y est pas. La crainte de voir des salles dis­pa­raître est de plus en plus réelle. Leurs fer­me­tures entraî­ne­raient la perte de cen­taines d’emplois dans un sec­teur où l’on flirte déjà sou­vent avec la pré­ca­ri­té. Anne Autran, cos­tu­mière de Tout mon Amour au sta­tut d’intermittente, ne peut qu’en témoi­gner. « Pendant les deux confi­ne­ments, je n’ai plus rien eu à faire. Beaucoup de pro­jets ont été annu­lés, cer­tains ne ver­ront sans doute jamais le jour. » Elle aus­si évoque la frus­tra­tion de ne pas savoir si ses créa­tions seront un jour mon­trées au grand jour. Alors que dans le hall de la Comédie reten­tit le bruit d’une bou­teille de cham­pagne qui s’ouvre, l’espoir et la cer­ti­tude reprennent vite le des­sus : « Il n’y a que la culture qui per­met de par­ta­ger la même émo­tion, au même moment, avec une salle pleine de gens que l’on ne connaît pas. » 

Arnaud Meunier se montre plus scep­tique. Si « les affa­més » conti­nue­ront de venir au théâtre, il s’inquiète du public que seule la média­tion amène jusque dans les salles. Problème : « Ce travail-​là, il n’est plus fait en ce moment. » Alors, comme ailleurs, la pan­dé­mie va sans doute for­cer le monde de la culture à se réadap­ter, à trou­ver des modèles dif­fé­rents. « Cette crise nous oblige à deve­nir spon­ta­néistes, nous qui sommes des grands pré­vi­sion­nistes. On voit tou­jours presque à un an et demi, deux ans à l’avance. Là, il faut qu’on apprenne à pou­voir être très réac­tif et à se réin­ven­ter pour le mois pro­chain, la semaine prochaine. »

En atten­dant de pou­voir retrou­ver son public, la Comédie de Saint-​Étienne savoure ce petit moment un peu hors du temps. « Ici, aujourd’hui, s’émeut le désor­mais ex-​directeur des lieux, même si on était que soixante-​quinze dans la salle, on a réus­si à retrou­ver ce petit shoot de “ah, c’était donc ça le théâtre”. » 

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