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© Pixabey

Entendre la parole des « Mauvaises filles »

La jour­na­liste Pauline Maucort a ren­con­tré trois jeunes délin­quantes du centre édu­ca­tif fer­mé de Doudeville (Seine-​Maritime). 

En février 2019, Pauline Maucort enre­gis­trait pour LSD, la fameuse série docu­men­taire de France Culture, un épi­sode sur les filles vio­lentes, dans le cadre d’une série sur l’enfermement des enfants. Après avoir fran­chi de nom­breuses étapes admi­nis­tra­tives, elle avait fini par accé­der au centre édu­ca­tif fer­mé (CEF) de Doudeville (Seine-​Maritime) qui accueille exclu­si­ve­ment des jeunes filles mineures jugées ou en attente de juge­ment pour toutes sortes d’actes de délin­quance. Elle y avait fait la connais­sance de trois jeunes qui lui avaient livré leur his­toire. « Pour LSD, il nous avait fal­lu beau­coup cou­per leurs témoi­gnages. Et c’était vrai­ment très com­pli­qué. C’était comme leur faire vio­lence que de cou­per une parole qu’elles n’ont jamais », se sou­vient la jour­na­liste. L’idée de faire entendre leur voix et leur par­cours plus en lon­gueur est alors appa­rue néces­saire. La case docu­men­taire de créa­tion « L’Expérience » lui ten­dait les bras. Vous pour­rez donc entendre leurs pen­sées se dérou­ler same­di 4 juillet à 20 heures sur France Culture ou en pod­cast. Elles racontent leur enfance, leurs parents, les béances, les bles­sures, les drames, les joies, leur rap­port à la vio­lence et à la colère, leurs évo­lu­tions, ce qu’elles com­prennent ou pas de leur parcours. 

La pre­mière « mau­vaise fille » a fugué du CEF pour rejoindre son ex qui la pros­ti­tuait. Elle raconte com­ment avec la psy du centre, elle a tra­vaillé à apprendre à dire non. La seconde a plon­gé dans la délin­quance quand sa meilleure amie s’est sui­ci­dée. Faire des conne­ries, elle s’en rend compte à mesure qu’elle parle au micro, lui per­met­tait aus­si d’attirer l’attention de sa mère qui l’a eue extrê­me­ment jeune. Elle-​même se pose la ques­tion de faire un enfant avec son copain, lui aus­si enfer­mé dans un centre après qu’elle l’a embri­ga­dé avec elle dans le cycle de la vio­lence. La der­nière, quoique cri­tique à l’égard du centre et des édu­ca­teurs, admet que cet enfer­me­ment lui a appris la patience. Et tente abso­lu­ment de prendre en main son des­tin. Ce qui frappe dans ce docu­men­taire sonore, c’est la per­ti­nence et la luci­di­té de ces jeunes filles. Presque trop matures pour leur âge.

« Au tout début, pour LSD, notre angle de tra­vail c’était d’aller voir si la jus­tice était sexiste. Car comme l’a mon­tré le socio­logue Arthur Vuattoux, elle ne traite pas les filles et les gar­çons de la même façon. Il a étu­dié la jus­tice des mineurs de 2000 à 2010 et démon­tré que pour les mêmes faits, les jeunes filles éco­paient en géné­ral de mesures de pro­tec­tion tan­dis que les gar­çons étaient sanc­tion­nés. Comme si on pré­sup­po­sait que les gar­çons étaient for­cé­ment cou­pables tan­dis que les filles étaient for­cé­ment sous influence », explique la jour­na­liste. Qui ajoute : « On voit bien quand on les entend par­ler que ce n’est pas tou­jours vrai. Mais sur­tout l’idée n’est évi­dem­ment pas de dire qu’il fau­drait plus sanc­tion­ner les filles, mais qu’on pour­rait peut-​être plus sou­vent pro­té­ger les gar­çons. » Réinterroger le sys­tème en tout cas. 

Pour obte­nir cette parole aus­si puis­sante que tou­chante, Pauline Maucort a dû s’adapter aux filles plu­tôt que l’inverse. « D’abord, j’ai vécu un peu avec elles leur quo­ti­dien. Puis je leur ai pré­sen­té mon tra­vail, fait écou­ter des repor­tages que j’avais faits. Rarement dans ma vie je n’ai connu une écoute de cette qua­li­té. Ensuite, elles m’ont posé des tonnes de ques­tions, elles avaient une immense curio­si­té de l’extérieur. Puis il a fal­lu que je leur explique bien que moi j’étais tout à fait indé­pen­dante du centre et de la jus­tice. Une fois qu’elles avaient accep­té le pacte, elles vou­laient par­ler. Il y avait comme une urgence à dire. Mais c’est elles qui avaient le pou­voir. Elles m’ont livré ce qu’elles vou­laient me livrer et rien de plus », raconte Pauline Maucort qui jamais, à aucun moment, ne les juge. « Ce que l’on com­prend fina­le­ment, c’est que ces filles deviennent vio­lentes, car c’est violent de ne jamais être enten­du. » Cette fois, soyons nom­breux à les écouter. 

Écouter Mauvaises filles.
Pour aller plus loin, nous vous recom­man­dons la lec­ture de Vagabondes, voleuses, vicieuses, de Véronique Blanchard (éd. François Bourin), qui fait par­tie des huit livres en lice pour le Prix de l’essai fémi­niste Causette. Stay tuned, nous vous révé­le­rons la gagnante lun­di 6 juillet !

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