La journaliste Pauline Maucort a rencontré trois jeunes délinquantes du centre éducatif fermé de Doudeville (Seine-Maritime).
En février 2019, Pauline Maucort enregistrait pour LSD, la fameuse série documentaire de France Culture, un épisode sur les filles violentes, dans le cadre d’une série sur l’enfermement des enfants. Après avoir franchi de nombreuses étapes administratives, elle avait fini par accéder au centre éducatif fermé (CEF) de Doudeville (Seine-Maritime) qui accueille exclusivement des jeunes filles mineures jugées ou en attente de jugement pour toutes sortes d’actes de délinquance. Elle y avait fait la connaissance de trois jeunes qui lui avaient livré leur histoire. « Pour LSD, il nous avait fallu beaucoup couper leurs témoignages. Et c’était vraiment très compliqué. C’était comme leur faire violence que de couper une parole qu’elles n’ont jamais », se souvient la journaliste. L’idée de faire entendre leur voix et leur parcours plus en longueur est alors apparue nécessaire. La case documentaire de création « L’Expérience » lui tendait les bras. Vous pourrez donc entendre leurs pensées se dérouler samedi 4 juillet à 20 heures sur France Culture ou en podcast. Elles racontent leur enfance, leurs parents, les béances, les blessures, les drames, les joies, leur rapport à la violence et à la colère, leurs évolutions, ce qu’elles comprennent ou pas de leur parcours.
La première « mauvaise fille » a fugué du CEF pour rejoindre son ex qui la prostituait. Elle raconte comment avec la psy du centre, elle a travaillé à apprendre à dire non. La seconde a plongé dans la délinquance quand sa meilleure amie s’est suicidée. Faire des conneries, elle s’en rend compte à mesure qu’elle parle au micro, lui permettait aussi d’attirer l’attention de sa mère qui l’a eue extrêmement jeune. Elle-même se pose la question de faire un enfant avec son copain, lui aussi enfermé dans un centre après qu’elle l’a embrigadé avec elle dans le cycle de la violence. La dernière, quoique critique à l’égard du centre et des éducateurs, admet que cet enfermement lui a appris la patience. Et tente absolument de prendre en main son destin. Ce qui frappe dans ce documentaire sonore, c’est la pertinence et la lucidité de ces jeunes filles. Presque trop matures pour leur âge.
« Au tout début, pour LSD, notre angle de travail c’était d’aller voir si la justice était sexiste. Car comme l’a montré le sociologue Arthur Vuattoux, elle ne traite pas les filles et les garçons de la même façon. Il a étudié la justice des mineurs de 2000 à 2010 et démontré que pour les mêmes faits, les jeunes filles écopaient en général de mesures de protection tandis que les garçons étaient sanctionnés. Comme si on présupposait que les garçons étaient forcément coupables tandis que les filles étaient forcément sous influence », explique la journaliste. Qui ajoute : « On voit bien quand on les entend parler que ce n’est pas toujours vrai. Mais surtout l’idée n’est évidemment pas de dire qu’il faudrait plus sanctionner les filles, mais qu’on pourrait peut-être plus souvent protéger les garçons. » Réinterroger le système en tout cas.
Pour obtenir cette parole aussi puissante que touchante, Pauline Maucort a dû s’adapter aux filles plutôt que l’inverse. « D’abord, j’ai vécu un peu avec elles leur quotidien. Puis je leur ai présenté mon travail, fait écouter des reportages que j’avais faits. Rarement dans ma vie je n’ai connu une écoute de cette qualité. Ensuite, elles m’ont posé des tonnes de questions, elles avaient une immense curiosité de l’extérieur. Puis il a fallu que je leur explique bien que moi j’étais tout à fait indépendante du centre et de la justice. Une fois qu’elles avaient accepté le pacte, elles voulaient parler. Il y avait comme une urgence à dire. Mais c’est elles qui avaient le pouvoir. Elles m’ont livré ce qu’elles voulaient me livrer et rien de plus », raconte Pauline Maucort qui jamais, à aucun moment, ne les juge. « Ce que l’on comprend finalement, c’est que ces filles deviennent violentes, car c’est violent de ne jamais être entendu. » Cette fois, soyons nombreux à les écouter.
Écouter Mauvaises filles.
Pour aller plus loin, nous vous recommandons la lecture de Vagabondes, voleuses, vicieuses, de Véronique Blanchard (éd. François Bourin), qui fait partie des huit livres en lice pour le Prix de l’essai féministe Causette. Stay tuned, nous vous révélerons la gagnante lundi 6 juillet !