Marilyn, icône fragile

France Culture consacre l’une de ses Grandes Traversées à Marilyn Monroe, avec une série de cinq émis­sions savou­reuses inti­tu­lées Moi, Marilyn. Archives, témoi­gnages et docu­ments des­sinent quelques unes des facettes de la star, pour tou­jours énigmatique.

monroe
© DR

« Oui, il y avait quelque chose de spé­cial chez moi. J’étais le genre de fille qu’on retrouve morte dans une chambre minable, un fla­con de som­ni­fères vide à la main. » C’est ce que confie Marilyn Monroe en 1954 à l’écrivain Ben Hecht. On l’imagine bien dire ça, avec son sou­rire à la fois écla­tant et vul­né­rable. Et cet humour un peu acide, sur­pre­nant, comme tout ce qui dépas­sait du moule de splen­dide créa­ture écer­ve­lée dans lequel on l’avait enfer­mée, toute vivante, à la fin des années 40. Savait-​elle, soupçonnait-​elle alors, qu’elle fini­rait en effet sur un lit en vrac, un tube de Nembutal auprès d’elle, huit ans plus tard ? Est-​ce parce qu’on connaît la fin de l’histoire que nous aus­si, nous soup­çon­nons tou­jours autour d’elle comme une aura malé­fique, un nuage d’appréhension ? C’est l’une des ques­tions qui court en fili­grane dans l’excellente série Moi, Marilyn créée en 2012 par l’écrivain et psy­cha­na­lyste Michel Schneider, et que France Culture redif­fuse cet été.

Michel Schneider avait écrit aupa­ra­vant le roman Marilyn der­nières séances 1 basé sur la rela­tion ambi­guë et pas­sion­née qu’ont entre­te­nue le psy­cha­na­lyste Ralph Greeson et l’actrice, durant les deux der­nières années de sa vie. Schneider en fera, avec Patrick Jeudy, une adap­ta­tion pour un docu­men­taire. Mais le sujet Marilyn le hante. En 2022 il écrit un essai : Marilyn, les amours de sa vie 2, dans la pré­face duquel il exprime sa fas­ci­na­tion dou­lou­reuse : « Marilyn est une sorte de miroir. Elle nous parle de nous. De notre inno­cence, de notre cruau­té. De ce que nous sommes : éper­dus du désir d’être recon­nus et conso­lés. Art, drogue, pou­voir, diver­tis­se­ment, sexe, elle nous parle de tout ce que nous fai­sons pour ne pas être ce que nous serons au bout de la nuit : soli­taires et incon­so­lés. » Schneider mour­ra d’un can­cer, quatre mois avant la publi­ca­tion du livre.

Dans cette série, il explore en cinq cha­pitres les élé­ments déter­mi­nants dans la vie de la star : « Vivre, mou­rir »« Aimer, être aimée », « Jouer, chan­ter » « Lire, écrire » et « Parler, se taire ». Chaque épi­sode est consti­tué d’extraits de films et de docu­ments, d’interviews, d’analyses, de chan­sons et de témoi­gnages, ponc­tués – c’est le plus trou­blant – de la voix de Marilyn elle-​même. Et sou­vent de son rire. Catherine Deneuve, l’une des inter­ve­nantes de la série, en parle avec jus­tesse : « La voix c’est un par­fum très puis­sant de la per­son­na­li­té de quelqu’un. Moi, j’ai tou­jours pen­sé que la voix évo­quait beau­coup plus de choses que l’image. »

Au fil des cha­pitres, sans ordre chro­no­lo­gique, toutes les facettes de l’actrice s’illuminent tour à tour, éclai­rées par l’intervention de témoins, admi­ra­teurs et admi­ra­trices incon­di­tion­nels. Joyce Carol Oates, Camille Laurens, l’avocat Georges Kiejman, l’éditeur et cri­tique François Guérif, David Lodge, Vanessa Paradis … pour ne citer que quelques noms de cette brillante dis­tri­bu­tion. Tous et toutes décrivent « leur » Marilyn, qu’ils ont racon­tée dans leurs livres ou dans leurs chan­sons, et se sentent proche d’elle par quelque affi­ni­té intime.

Les car­nets secrets

« Peur de me don­ner les nou­velles répliques/​je ne serai peut-​être pas capable de les
apprendre/​je ferai peut-​être des erreurs/​les gens vont pen­ser que je ne suis pas bonne, ou rire et /​me rabais­ser, ou encore pen­ser que je ne sais pas jouer. /​Les femmes ont l’air sévère et critique-​/​inamicales et froides en général/​crainte que le réa­li­sa­teur pense que je ne vaux rien. »
Ce sont les mots que jette l’actrice en 1951 dans un car­net à cou­ver­ture de cuir noir, où se détache le mot « Record ». Car Marilyn écri­vait. C’est dans l’épisode « Lire, écrire », sans doute le plus sai­sis­sant, que Schneider nous parle de cette acti­vi­té presque secrète – elle ne fai­sait rien lire – qui pour­tant jalon­na sa vie entière. « Seuls quelques frag­ments de nous/​toucheront un jour des frag­ments d’autrui […] On peut seule­ment partager/​le frag­ment accep­table pour le savoir de l’autre/ainsi on est/​presque tou­jours seuls. » Rédigeait-​elle ain­si, en vitesse sur un coin de feuille, dans un de ses nom­breux cahiers tou­jours com­men­cés, jamais finis- ou au dos de photographies.

L’éditeur Bernard Comment raconte dans la série com­ment il se trou­va, presque par hasard, en pos­ses­sion de ces textes. Dans un dîner pari­sien, on lui pro­pose « des papiers de Marilyn » sans beau­coup de pré­ci­sions, déte­nus par la veuve du comé­dien et direc­teur de l’Actor Studio Lee Strasberg. L’éditeur accepte « par pur inté­rêt » avoue-​t-​il, car comme on sait « tout ce qui touche à Marilyn, c’est de l’or ». Mais il tombe des nues lorsqu’on lui remet ces écrits : « J’ai tout de suite mesu­ré qu’on n’était pas dans les potins mon­dains et qu’il y avait des textes extrêmes inté­res­sants et forts. » Ces poèmes, bribes de récits, mor­ceaux de jour­naux intimes, cor­res­pon­dances (et même des recettes de cui­sine), il les publie dans le livre Fragments 3. On en découvre des extraits grâce à des lec­tures, qui émaillent ce cha­pitre pal­pi­tant. Bernard Comment ana­lyse l’écriture chez Marilyn comme un outils d’introspection « pour essayer de se com­prendre. » D’ailleurs, dit-​il : « La poé­sie cor­res­pond à son âme et son rythme intime. »

Mais si elle écrit, Marilyn Monroe est aus­si un per­son­nage ins­pi­rant pour les écrivain·es. Ainsi la poé­tesse Sylvia Plath trans­pose le couple que forme la star avec Arthur Miller dans une de ses œuvres, tout comme Camille Laurens, qui en parle avec jus­tesse. Plus inat­ten­due, l’approche de l’écrivain bri­tan­nique Patrick McGrath, qui voit l’actrice comme un per­son­nage de roman, et de la même façon, précise-​t-​il, que Lady D. Et de nous démon­trer à quel point leur des­tin, à toutes deux, se res­semblent : « Considérées comme les plus belles femmes du monde et les plus célèbres, elles étaient des figures mythiques sur les­quelles des émo­tions de masses se concen­traient », toutes deux en contact avec le pou­voir, liées aux médias dont elles étaient des vic­times sacri­fi­cielles, la mort de l’une comme celle de l’autre livrée aux rumeurs…

Le mys­tère reste entier…

Comme sou­vent, comme tou­jours, après qu’on ait consul­té un docu­men­taire, des
témoi­gnages ou un livre sur Marilyn Monroe, on en sort avec l’impression d’une figure énig­ma­tique. Et d’autant plus envou­tante. Moi, Marilyn ne déroge pas à la règle. La série a beau pro­po­ser des ana­lyses inédites, des inter­pré­ta­tions fouillées de son per­son­nage et de ses moti­va­tions, des récits minu­tieux de cer­tains épi­sodes dra­ma­tiques et déci­sifs de sa vie, le mys­tère Marilyn reste entier. Michel Schneider connais­sait cette pro­pen­sion à l’opacité qui ren­dait l’actrice irré­sis­tible. Aussi, il défi­nis­sait hum­ble­ment sa série : « Dans cet abé­cé­daire per­son­nel, por­trait d’une image bri­sée, j’essaierai de don­ner non pas la véri­té de Marilyn Monroe, mais seule­ment d’éclairer d’un fais­ceau neuf ses véri­tés telles qu’elle les expri­ma en mots et en maux, au cours de sa vie amou­reuse et sexuelle. […] Tout au long de cette Grande Traversée, elle pren­dra ce qui lui était le plus dif­fi­cile : la parole, sa parole, telle qu’elle l’a livrée lors d'entretiens, telle que les témoins sur­vi­vants l’ont écou­tée, telle que nos contem­po­rains tentent de la déchif­frer. Marilyn Monroe nous par­le­ra de Norma Jeane, et Norma Jeane dira : "Moi, Marilyn". »

Les grandes tra­ver­sées : Moi, Marilyn, du lun­di 31 juillet au ven­dre­di 04 Août, à 9H00 sur France Culture, ou en pod­cast. En par­te­na­riat avec Causette.

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  1. Marilyn der­nières séances, de Michel Schneider. Editions Gallimard (poche) 9,70 euros[]
  2. Marilyn, les amours de sa vie, de Michel Schneider. Editions Nami 24,90 euros[]
  3. Fragments, de Marilyn Monroe. Editions Points Documents. 12 euros []
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