L’une des meilleures façons de ne pas subir les pressions et injonctions diverses des maisons de disque reste de tracer sa route en marge de l’industrie musicale, et de se produire en « indé ». C’est le cas de Le Juiice, Joanna, Thérèse ou encore Julie Budet, du groupe Yelle. Elles nous en parlent.
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La chanteuse Yseult confiait au Parisien, en novembre 2019, comment elle s’était lancée en indépendante en créant Y.Y.Y., son propre label, après avoir rompu son contrat avec Polydor, filiale de la multinationale Universal. Plus récemment, elle revenait sur ce choix dans l’émission Pas son genre, de Giulia Foïs : « L’industrie de la musique n’est pas pensée pour le bien-être des artistes, mais pour vendre des pots de yaourt, des produits. […] On a essayé de gommer, de modeler qui j’étais. Aujourd’hui, c’est moi qui dis oui ou non, qui gère le marketing de moi-même, les contrats, avec qui je travaille ou pas. » Autant de liberté qui lui permet non seulement de faire la musique qu’elle veut, comme elle le veut, mais aussi de porter, sans pression, les combats qui sont les siens : racisme, grossophobie, entre autres.
Et elles sont de plus en plus nombreuses, les chanteuses qui préfèrent faire leur chemin loin des gros labels. L’artiste Thérèse évoluait au sein du duo La Vague jusqu’en 2020. Elle s’est lancée en solo sur son projet, mêlant rap militant et pop teintée d’influences asiatiques – elle est française d’origine sino-lao-vietnamienne – avec le soutien d’un éditeur et d’un label indépendants. Mais c’est le jeunisme de l’industrie musicale qui l’a convaincue de rester en marge de cette grosse machine : « Ça a été une vraie volonté artistique de ne pas aller vers une major dans un premier temps, car je me disais : “De toute façon, il est probable qu’à 35 piges, pour plein de raisons, je ne les intéresse pas” », explique celle qui a sorti son EP Rêvalité en mars 2021. Et d’ajouter : « L’avantage de mon âge – que j’annonce volontiers en live ou dans les interviews –, c’est le vécu et l’expérience. Je sais mieux ce que je veux, qui je suis : en termes de caractère, mais aussi en termes de liberté de ton et de parole que je ne veux pas lisser. Aujourd’hui, j’ai choisi une équipe qui soutient mon projet et mon discours. Pourtant, je travaille avec une femme et une majorité d’hommes cis. Et quelque part, c’est aussi ce que j’ai envie de dire aux gens : oui c’est possible, oui il y a des gens bien, qui soutiennent les femmes qui ont envie de dire des choses. C’est ça pour moi aussi le féminisme aujourd’hui : trouver ses allié·es et non chercher des ennemis là où il n’y en a pas. »
Manifeste d’empouvoirement
Le Juiice rappe depuis 2018 et se fait très vite remarquer par les médias urbains. Avec son label Trap House, fondé fin 2019, la « trap mama » – du nom du rap dans lequel elle s’illustre – s’autoproduit et développe d’autres artistes. Elle cite en modèle des boss du rap US comme Gucci Mane ou Jay‑Z. Sa mixtape sortie fin 2020 s’appelle d’ailleurs Jeune CEO (PDG en français).Pour elle, être entrepreneure est un véritable manifeste d’empouvoirement pour les filles et les femmes noires. Le Juiice salue l’engagement public et médiatique de ses consœurs chanteuses, comme Yseult – « une amie » –, mais souhaite, elle, incarner une autre manière de faire avancer les choses. « Je bosse dans l’ombre pour changer la situation de l’intérieur. La mienne et celle de mes proches ! » dit l’ancienne gestionnaire en banque qui se rappelle avoir entendu certains pros exprimer leur peur de signer des artistes femmes, réputées « ingérables, instables sur la durée ».
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La chanteuse Joanna est encore étudiante quand elle réalise son premier clip sensuel pop électro Séduction, en 2018, qui fait plus d’un million de vues. Les maisons de disque lui proposent des contrats à tour de bras. Elle choisit de rester indé, sous une formule inédite : la Rennaise a créé son entreprise signée en licence chez BMG, ce qui lui laisse tout le contrôle artistique. « C’est hyper satisfaisant de créer tout un univers, de trouver des idées pour faire des clips qui sortent de l’ordinaire. Je kiffe trop ça, pas envie qu’on le fasse pour moi ! » Et de préciser ce qui l’a fait rester en indé : « Je trouve que les gros labels ne sont pas très créatifs et ont envie de se calquer sur comment Machin a percé pour le copier. Quand t’es indé, tu fais ton truc ! » Et d’ajouter : « Aujourd’hui, je ressens vraiment le besoin de travailler avec des femmes, des compositrices, d’autres réalisatrices… Contrairement à ce qu’on entend souvent, ce n’est pas une difficulté que de trouver ces partenaires-là. La preuve avec la réalisation de ma pochette d’album ou avec le morceau Shoot, de Sally. »
Être épaulée par ses pairs
Mais choisir la liberté n’est pas toujours simple. « Il y a parfois beaucoup de boulot administratif, ça peut être étourdissant, confesse Julie Budet, chanteuse lead du duo Yelle, groupe pionnier en la matière puisqu’il a pris la route de l’indépendance après Pop Up, leur premier album sorti en 2007. Si gérer son « business » et sa créativité en parallèle peut être un gros défi, être indé permet aussi d’être épaulée par ses pairs tout en gardant le contrôle. Joanna a d’ailleurs bénéficié de conseils de son aînée… la chanteuse de Yelle. Si depuis mi-2019, Le Juiice a réuni une équipe artistique pour l’assister, elle s’occupe de « gérer mixes, mastering, stratégie de choix de singles ». Elle a appris à séparer « les moments où [elle] crée ou [est] en studio, et ceux où [elle] bosse sur son label ».
![Musique : la boss, c'est moi ! 2 Therese par Lily Rault 7 A 1](https://www.causette.fr/wp-content/uploads/2021/06/Therese-par-Lily-Rault-7-A-1-683x1024.jpg)
Être indé, c’est aussi pouvoir gérer son image sur les réseaux sociaux comme on l’entend. Sur Instagram, Joanna, qui a sorti en mai son premier album Sérotonine, est par exemple récemment revenue sur sa participation, en 2016, à un clip du « rappeur » Lorenzo, qu’avec son regard actuel elle juge problématique. Pour Julie Budet, s’adresser en direct à sa communauté est enrichissant. « Mais ça peut aussi être très dangereux psychologiquement, car on s’y prend beaucoup de négativité, explique-t-elle. Il faut y aller tranquille, être honnête et en accord avec soi. On ne peut pas trop tricher. »
Resteront-elles cependant toujours en indé ? Le Juiice admet ne pas se fermer totalement la porte des majors pour l’avenir. Quant à Thérèse, autrice et interprète de Chinoise ?, elle fera des rendez-vous en major, quand elle estimera son propos et son univers suffisamment solides et installés dans le paysage musical. « Et ce sera une collaboration artistique et financière, pour aider à porter ma vision. »Voilà qui a le mérite d’être clair.
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